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Dans ton cerveau mité s'amoncellent les blancs,

pointillés anonymes qui hantent ton regard

d'une absence infinie.

La mémoire en partance, tu vogues, silencieux

Sur les ombres du temps.

 

Et dans tes yeux de craie emmitouflés d'hier,

ta conscience chavire,

lumière noyée de gris au fond d'une rue sombre.

Il n'est plus l'heure de dire, ni même de rêver...

mais de rendre les larmes

à la vieillesse amère.

 

Comme après le jusant, tes plages délavées

offrent aux rares badauds leurs quelques pacotilles

oubliées par les flots.

 

L'aube ingrate est si rance à tes veines flétries.

 

Parfois, dans un hoquet,

des lambeaux de ta vie s'animent au hasard

comme un théâtre fou,

jouant quelques chicots d'une pièce vieillotte,

fragile bandoulière de souvenirs hagards,

mosaïque confuse,

mille-feuilles rouillé,

moignon gesticulant d'une existence échue.

 

Alors, de ta voix grêle,

quelques jacasseries tremblotent

et terminent, gluantes,

sur ton menton fané.

 

- Et même, tu souris -

 

Mais la frêle indigence reprend en main ta flamme

et l'étouffe sans bruit ;

le manège s'éteint.

 

À nouveau désertés,

tes jours mornes s'empilent dans le couloir du temps.

Par saccades cruelles, maussade et monotone,

une horloge gangrène les escarres des heures.

 

Et passe, passe, passe, passe l'immense joie de te sentir vivant.

 

Désormais,

plus personne n'habite au creux de ta pâleur

et de tes mains de cendres.

Dans le poing de l'oubli,

seules tes rides salées racontent ton histoire

et murmurent les rires, les amours et les pleurs.

 

 

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Commentaires

Croisic
Oui, c'est ça ! Oui, tout

Oui, c'est ça !

Oui, tout sonne juste !

Oui, j'aime tous ces mots/maux (hélas?)

Ces images furent les miennent durant de longues années et j'aime profondément

la manière dont vous les traitez.

Vous avez écrit un très, très beau poème !!!

Merci.

Damy (manquant)
Poème très émouvant, très

Poème très émouvant, très poignant sur la vieillesse dans l'état Alzheimer avec quelques flashs intermittents de lucidité. J'ai particulièrement été sensible à l'allégorie de la mer "comme après le jusant...". Les mots "chicot" et "moignon" tranchent brutalement dans l'ensemble délicat du vocabulaire ("voix grêles", "menton fanés"...). Ils rendent cet état repoussant alors que le reste sublime, apprivoise dans une poésie très belle. On a beau sublimer, les détails sordides sont indélébiles. Les rides seules sont un livre des sensibilités humaines.

 

Je trouve que l'évocation parallèle de l'état psychologique et de l'état physique est très réussi. (Le corps est le reflet de l'âme. J'ajouterai l'inverse dialectique).

 

Inutile de dire que je suis sous le charme du rythme musical 12/6 avec les fausses notes à 13 -17 (l'avant dernière strophe est particulièrement dissonnante dans l'ensemble). Je ne sais pas si c'est voulu, mais celles-ci m'évoquent les faux-pas hésitants en danse comme si la musique avait des hiatus, comme si elle ne s'accordait pas à la partition harmonieuse des automnes tranquilles, comme si elles ne pouvaient empêcher la "gangrène".

 

 

micdec
Je rejoindrais assez Pierrot

Je rejoindrais assez Pierrot dans son appréciation, "des vers libérés plus que des vers libres"

Bravo, Madame !

Je viens de lire en remuant les lèvres et c'était bien plaisant, d'un équilibre surprenant.

Quelqu'un m'a dit de vous un jour : "tu verras, elle a des éclairs de génie".

Pour moi, c'en est un, d'éclair et de génie. Visitée par les muses, hein ?

Pour ce poème, je me sens flatté d'avoir été invité par vous sur ce site.

Bien entendu, le sujet m'agace mais la forme, ici, prime.

Joli boulot !

Et tant pis si vous l'avez vécu.

 

N.B : faut lire avec diérèses à répétition, quand même :-)

N'embrassez pas les grenouilles

Pierrot
Ce poème a toutes les

Ce poème a toutes les qualités d'un classique ( fluidité, rythme, sonorité ) sans en avoir les travers.

Plus que de poésie "libre" (terme galvaudé), il s'agit ici de poésie libérée. L'auteur s'est affranchie de la prosodie, non par idéologie, mais parce qu'il apparaissait un frein à l'expression de ses émotions.

Ce n'est pas autrement qu'ont procédé à la fin du XIXème les "pionniers" de ce mode d'écriture poétique.

L'auteur a présenté son texte en vers libres afin d'y marquer sa respiration, mais il eût tout aussi bien être proposé en prose poétique. C'est, à mon goût, un critère de qualité de l'écriture.

J'ai beaucoup apprécié la sensibilité toute tinuvélienne de cette poésie.

anubis1 (manquant)
Avis de publication : oui

On sent une grande maîtrise du rythme dans ce texte en vers libre...

 

Le thème m'a beaucoup parlé, il est très bien traité, avec douceur, douleur et nostalgie, mais sans complaisance. La vieillesse, les pertes (mémorielles, capacitaires,...), la solitudeet la douleur de celui qui voit son proche s'effilocher... J'y ai vu ces choses et j'ai aimé les mots qui me les ont fait voir. Beaucoup de sensibilité dans ce texte, mais pas de sensiblerie. C'est fort et c'est beau.

Merci pour ces rides salées donc : Oui

luluberlu
Portrait de luluberlu
Ce que j'aime dans la poésie

Ce que j'aime dans la poésie en prose ou libre, c'est que l'on n’a pas à s'enquiquiner à vérifier le nombre de pieds (d'ailleurs, ça ne l'est pas) et toutes ces fariboles (là je vais me faire incendier par les ayatollahs des vers en pieds... Zauront raison cheeky).

Quoi qu'il en soit, je suis bluffé. C'est du grand art. Je l'ai relue plusieurs fois tant j'ai été ému.  Ce poème vous étreint et ne vous lâche pas. Il nous prépare (du moins pour certains) à une condition future que je ne souhaite à personne. L'auteur a fait preuve d'un sens de l'observation aigu et d'une sensibilité qui force l'admiration.

Heureusement, ce "- Et même, tu souris -" qui vient là répandre une poussière de lumière sur le tragique d'une telle fin de vie m'a aidé à reprendre mon souffle... Malheureusement trop vite étouffé. "Et passe, passe, passe, passe l'immense joie de te sentir vivant."

Un poème qui honore notre site.

Publication : oui, sans conditions.

Merci.

 

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