
La Reine
Ni de tissu ni de celluloïd, je suis de bois !
Je suis du bois dont on fait…les Reines.
Échouée là. Dans ce fond de grenier peuplé d’ araignées et de souris. Noyée sous un amoncellement de vieilleries. Juste quelques connaissances que j’avais côtoyées naguère. Baigneur en celluloïd troué, Nounours en tissu recyclé… Fi donc ! Pas de mon milieu en fait.
Ce milieu que j’ai fui. Trop rigide, codé, sans fantaisie, sans couleur… Une hiérarchie implacable. Des castes dès la naissance auxquelles on ne peut échapper. Certes, j’étais au sommet de la monarchie. La Reine. Plus que tout autre soumise aux règles. Que je n’avais pas choisies. Aucune liberté individuelle. Triste à mourir, j’étouffais.
Tant et si bien qu’un soir après une party interminable dont je sortis triomphante mais épuisée, je me laissai glisser de la table de jeu et rebondis au sol sur le tapis d’Orient dont les sombres arabesques de haute laine m’absorbèrent incognito. Ivre de fatigue et de toutes les tensions qui régnaient dans la pièce, je sombrai dans un sommeil peuplé de songes étranges.
C’est le ronron de l’aspirateur qui stoppa net mes rêves. Je me sentis emportée dans une tornade de détritus innommables puis rejetée sans aucun égard au fond du jardin sur un tas malodorant. Çà, la liberté ?Je compris mon erreur.
Reine toujours, mais seule rescapée de mon petit peuple de bois. Autant dire rien. La plus misérable des créatures…Je croupis là pendant des jours et des jours, méditant sur ma mauvaise décision.
Longtemps après, une petite main me cueillit sous une touffe de muguet, parmi des œufs de Pâques bariolés et me glissa dans une poche de tablier à carreaux. J’atterris dans une chambre où régnait un grand désordre de jouets. J’en reconnus certains que jadis je dédaignais et me pris à espérer :
Et si je regagnais ma boîte et mes sujets d’autrefois ? De nouveau j’ allais entendre résonner de case en case le joyeux clac clac clac de mon petit talon de bois …
Hélas ! Le roi avait abdiqué, les cavaliers s’étaient cavalés, les soldats avaient déserté, les tours étaient en ruine et l’échiquier en friche.
Ne restait intact que cet insolent de Fou qui de sa voix aigre répétait en boucle :
« Échec et Mat ! Échec et Mat ! Éch… »
