
Depuis le temps que dans la malle j’attendais ce moment… Enfin quelqu’un me prend dans ses bras. Euh… ça, c’est ce dont je rêvais. La réalité c’est plutôt : une main me saisit du bout des doigts, tandis qu’une bouche éructe « Beurk ! ça sent le rat fermé ».
Puis soudain adoucie « Oh, mon Tintin… c’est toi ? » Je reconnais la mélodie parlante de Lili, mais la voix a mué. Grave et un peu enrouée. Lili c’était ma petite maman, ma confidente, ma copine, ma maîtresse d’école, mon amour ou ma tourmente selon les jours.
Moi, je suis Tintin. Le Tintin, Son Tintin. Une espèce d’ours bien ou mal léché, mais surtout un nounours à cajoler. Je ne suis ni vert ni gris.
« Taillé dans le tissu reteint d’une capote de soldat ». Je ne sais ce qu’est un soldat encore moins une capote. Mais cette phrase, je l’ai entendue tant de fois murmurée par Ida, la couturière qui me donna forme ; c’est devenu pour ainsi dire mon acte de naissance.
J’ai rencontré Lili un matin devant la cheminée où rougeoyaient les dernières braises de la veillée de Noël. Livré par un vieux monsieur à barbe blanche (sûrement postiche, car ses cheveux étaient noirs comme ceux d’un corbeau qui aurait des cheveux).
La petite fille m’a serré contre son cœur que je sentais tambouriner sous sa chemise de nuit. Le mien s’est mis à battre à l’unisson. Sa chevelure embaumait le miel dont elle avait la couleur. Ses yeux étincelaient autant que les boutons de bottine extra-lucides cousus de part et d’autre de mon museau. Affublé d’une truffe brodée de laine écarlate. Lumignon qui se repérait de loin, croyez-moi ! Un peu moins bien sûr après toutes ces années passées à l’ombre d’une vieille malle au grenier.
Mon poil ras est un peu rêche. Sauf celui de mon oreille gauche devenu tout fin et très doux à force d’être trituré et un peu suçoté par ma Lili à l’heure du dodo. (à suivre)
