
L’horloge du prieuré venait de sonner les 5 heures, la soirée s’annonçait brumeuse, le moment de porter le bois nécessaire à entretenir pour la nuit le feu au sommet de la tour.
La tour à feu, comme l’appelaient les gens de Talmont, était une bâtisse érigée sur un plateau rocheux par Edouard de Woodstock, dit, le Prince noir.
Frère Mathias, religieux de la congrégation des frères prieurs, occupait avec cinq ou six de ses coreligionnaires ce prieuré bâti sur le rocher près de la tour. C’est Mathias donc, vaillant petit soldat que le bon Dieu, et surtout le maître des lieux, avait chargé d’allumer et d’entretenir le feu au sommet de la tour afin de prévenir les bateaux entrant et sortant de l’estuaire, allant ou partant de Bordeaux, des dangers de l’océan, des bancs de sable en perpétuels mouvements au gré des tempêtes hivernales fréquentes à cet endroit.
Mathias était homme de bon commandement, toujours de bonne volonté et prompt à accomplir sa tâche avec la conscience que chacun s’accordait à lui reconnaître. Toutefois, son embonpoint légendaire et persistant était une entrave à l’accomplissement de sa mission. Chargé comme une mule, un quart de brasse ou presque sur le dos, il avait du mal à se hisser au sommet de la tour, sur la plate-forme ou il devait allumer le feu.
— Pas surprenant Mathias, tu manges comme quarante curés à t'en faire péter la sous-ventrillère lui serinait tous les jours Victor. Comment peux-tu hisser le contenu de ton estomac et le bois au sommet de la tour ? Heureusement pour toi, là où nous sommes, le bon Dieu ne peut pas te voir… on lui a d’ailleurs interdit l’accès au réfectoire.
Le servir, oui, mais pas à n’importe quel prix. Mathias laisse dire et s’acquitte de sa mission à grand-peine, mais sans se plaindre à aucun moment.
Son ami et frère, Victor, responsable du réfectoire et témoin chaque jour de ses goinfreries, était homme discret et tolérant. Il avait, autre fonction, le soin d’entretenir les fresques du prieuré ? Son coup de pinceau faisait l’admiration de tous. Le dessin de la tour du prince noir trônait donc, en bonne place, sur le mur frontal du réfectoire. Cette tour allait devenir par la grâce de Gaston de Foix, un des fils du comte de Gurçon et lointain cousin de l’illustre Gaston Phébus, un des joyaux de l’architecture maritime.
« Cordouan, roi des phares, phare des rois. »
Las ! Mathias, Victor et ses frères prieurs, artisans besogneux, sombrerent dans l’oubli, délaissés à jamais des mémoires.


Commentaires
Tout en s'amusant avec Frère Mathias, on apprend beaucoup de choses sur le phare de Cordouan. Pas seulement puisque on croise aussi Gaston Phébus, le Prince noir, Gaston de Foix et ton voisin de Gurçon...Même le "quitte" Bon Dieu ! Mais on m'a toujours dit qu'il était partout qu'il voyait tout...on m'aurait donc menti?
J'aurais bien voulu apprendre l'Histoire de cette façon...Très pédagogique Maître Yep Yep.