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Il m’aura fallu revenir aujourd’hui en ces lieux pour que s’ouvre la porte de mes souvenirs. Il fait doux, il fait gai, le printemps dévoile ses couleurs et l’air se fait caressant, presque timide.

Je te revois encore, ancré dans la terre lourde de la butte, tellement vigoureux et plein de promesses à l’époque. Veillé par une vigne et un vieux moulin « désailé » ! Ton envergure et ton ampleur, ta hauteur surtout impressionnaient au début les trois bambins que nous étions. Mais t’apprivoiser et nous apprivoiser ne fut pas tâche très difficile. Tu nous accueillais chaque fois en nous gratifiant de surprises toujours plus étonnantes et réjouissantes.

Nos airs ébahis et émerveillés la première fois que nous t’avons découvert tout encapuchonné de flocons blancs et gracieux, t’en souvient-il ? Tes fleurs frissonnaient et moutonnaient légèrement dans la brise, pareilles à de délicats et fragiles flocons de neige.

Un peu plus tard, barbouillant de rouge ta belle et verte frondaison les cerises tant convoitées enfin ! drupes cramoisies au ventre rebondi, juteuses et parfumées à souhait, flatteuses en boucles d’oreille et dont nous nous gavions avec des airs complices et gourmands.

Que de temps passé perchés entre ciel et terre près des nuages ou à califourchon sur tes branches accueillantes, avec des airs de princes et princesse vénérés !

Nous avions notre grenier à trésors à la maison ; toi tu étais notre « grenier » à gourmandises et douceurs, notre « fuie », notre salon des conciliabules, notre « volière » secrète, abritée et pourtant ouverte à tous les vents ! Un havre de paix, de douceurs et… joyeuses chamailleries parfois, où, à l’abri des plus grands, nous refaisions le monde en mordant avec délectation dans tes fruits charnus et presque noirs !

Plaisantes étaient aussi les rares cueillettes en prévision de clafoutis et autres petites chatteries ! Clafoutis, pas… confitures ; non ; c’eût été du gâchis : des fruits si beaux et alléchants dans leur robe de velours incarnat. Il y avait suffisamment d’autres cerisiers ailleurs. Tu étais notre cerisier et nous comptions bien te protéger de tous les confituriers et confiseurs importuns !

Que d’heures passées, enjouées et insouciantes, lovés entre tes bras ou batifolant à l’ombre de ton épais feuillage.
Aujourd’hui, comme moi, tu t’es tassé et as pris des rides. Tes plaies ouvertes d’où coulent des perles de résine collante se sont un peu étendues. Bon, ne nous le cachons pas nous avons vieilli l’un et l’autre !! Je ne parviendrais plus à grimper aujourd’hui comme nous le faisions autrefois mes frères et moi ! Tant pis, « c’est pas gave, c’est dans l’ode des soses » comme aurait dit ma petite nièce.

Usés l’un et l’autre certes, mais toujours là.  

Tout proche, le moulin semble encore veiller sur toi et c’est un peu comme si tu prenais l’air à l’entrée de la maison de retraite !

Je ne sais si nous nous reverrons. Alors je glisse ce petit message d’amitié et d’adieu sous une grimace de ta vieille écorce.  
 

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Commentaires

plume bernache
grenier à gourmandise

 

 Beaucoup de souvenirs se réveillent en lisant ce texte tendre et un peu nostalgique.

J'aime bien le paragraphe sur la"fuie" "salon de conciliabules" et" grenier à gourmandises".

 

J'affectionne ces " grimaces des vieilles écorces " surtout quand elles s'enguirlandent de quelque lierre ou lichen coloré comme c'est le cas sur le vieux cerisier de mon voisin.

 

Mais j'aime aussi les jeunes cerisiers couverts de "drupes" écarlates au ventre rebondi.

 

 

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