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Je ne veux pas passer au tableau (inspiré d’un roman de Danielle Faussette) nuit de la lecture 2023
Aujourd’hui, c’est jeudi, j’ai mal au ventre

« Tu as trop mangé de chocolat », me dit ma mère. Mais moi, je sais bien que le chocolat ne donne pas mal au ventre seulement le jeudi. Mon père pense que j’invente une raison de rester à la maison au lieu d’aller à l’école parce que je suis paresseux. Moi je veux bien être courageux, mais je n’y peux rien, mon ventre ne l’est pas. Mais s’ils me demandaient, je pourrais leur expliquer ce que mon ventre veut dire. En fait, c’est le jeudi que la maîtresse envoie un élève au tableau pour corriger les mathématiques, et moi, moi j’ai très peur d’aller au tableau. Et quand j’ai peur, je ne sais même plus compter. Je ne peux pas en parler à mes copains, ils se moqueraient de moi ! je suis sûrement le seul à avoir peur et j’ai honte. Je ne peux pas non plus en parler à la maîtresse : elle me dirait que je n’ai pas bien appris mes tables d’addition. Pourtant je les ai revues avec mon grand frère. Rien qu’en pensant à mon copain Maurice qui récite tout par cœur quand il va au tableau, je me sens tellement nul que mon ventre est encore plus malade.

Dans le bus qui nous amène à l’école, tout le monde rit et parle ; mais moi, je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à ce maudit tableau. Je m’installe dans la classe et le supplice commence. La maîtresse regarde tous les élèves et cherche une victime. Son regard balaie de gauche à droite l’ensemble de la classe. Le mien cherche du secours sous mon bureau ou derrière le camarade assis juste devant moi. Je frissonne d’angoisse, tremble de terreur, pantèle d’anxiété. Ce regard prédateur va-t-il se poser sur moi ? Pénétré par la peur, je n’ose plus bouger. La chance qui d’ordinaire me boude va-t-elle enfin me sourire ?

Les maîtresses d’école savent, paraît-il, débusquer au premier coup d’œil l’élève qui sera la risée de toute la classe. C’est du moins, sur l’instant et dans l’émotion, l’impression qui me vient à l’esprit. La peur d’être l’heureux élu, si l’on peut dire, me fait trembler d’effroi. La sentence tombe. C’est mon camarade Michel qui a tiré le gros lot et par là même m’ôte une belle épine du pied. Fidèle à lui-même, il s’acquitte de sa tâche avec le brio qu’on lui connaît habituellement. La récréation arrive à point nommé.

Une rumeur, comme on en croise seulement dans les cours d’école, nous apprend que l’inspecteur d’académie visitera notre classe en fin de matinée. La récréation terminée, je rentre avec mes camarades, pas rassuré pour autant : l’interrogation en mathématique doit se poursuivre et mon calvaire avec. Mais ! coup de théâtre salvateur ! monsieur Lamourane, le fameux inspecteur d’académie, homme élégant et affable s’il en est, après avoir frappé à la porte, entre dans notre classe. La maîtresse, le teint blême, la mine défaite, l’accueille avec une crispation, il me semble, tout juste contenue. Je crois que je tiens là ma revanche. La peur est en train de changer de camp. 

 

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Commentaires

olala
Je ne veux pas passer au tableau

Une analyse très juste et fine de la peur chez le jeune enfant, timide et doutant de soi de surcroït. Qui, dans le primaire ou le collège au moins, n'a pas connu cette angoisse et... les crampes qui vont avec !!

Particulièrement bien aimé aussi le dernier paragraphe de ton texte : la peur qui change de camp avec l'arrivée de l'inspecteur ! Si bien rendue et... juste aussi ! Presque un euphémisme comme le dit si bien Plume Bernache ! Je le sais pour l'avoir vécu. Brrrr angryla terreur de bien des enseignants !

Merci pour ce joli moment de lecture qui nous ramène bien des années en arrière et a un petit goût de jeunesse !!

plume bernache
merci

 

 

Yep-yep, on t’aura mal renseigné au sujet des maîtresses qui du premier coup d’œil…Non, pas toutes !angel

En revanche,  le teint blême la mine défaite la crispation lorsque l’élégant Lamourane entrait dans la classe…c’est presque un euphémisme !crying

Une revanche « de bonne guerre » de la part de ce petit écolier sensible dont le prénom commencerait par un…D peut-être ?

 Tout cela très bien mis en scène et en mots. On s’y croirait. De plus, merci, ça me rajeunit.smiley

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