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En toile de fond, derrière les maisons serrées autour du clocher, coiffés d’un bonnet blanc, les pics acérés cisaillent l’horizon. Au loin, le bruit caverneux d’une cascade se perd sous une arche de glace. Le petit garçon, accompagné par le vol d’un gypaète barbu, avance sur le plateau poudré. À chaque pas, ses chaussures mordent le tapis opalescent pour y laisser la trace des crampons. Autour de lui, sur la plaine gorgée de lumière, la neige irradie. Saisi par tant de beauté, l’enfant s’arrête, ému. Il sent alors monter en lui l’impérieux besoin de capter la divine blancheur pour l’ancrer dans la réalité.

De retour à la maison, il dessine à l’encre de Chine sur une feuille de papier blanc, son premier paysage de neige. Bien d’autres suivront. Il est alors âgé de huit ans.

Des années plus tard, fidèle à son rêve, Pierre poursuit sa quête. Toujours à la recherche du blanc neigeux, il peint des paysages hivernaux où les silhouettes noires des arbres sans feuilles se détachent sur un fond clair. Avec obstination, il teste différentes techniques. Une évidence s’impose à lui : pour saisir la clarté il lui faudra faire jaillir la lumière de l’obscurité. Le roi de l’oxymore est né !

Un matin, Pierre remarque la présence d’une tache noire sur le portail du voisin. Cette tache l’obsède. Les jours passent, l’imagination fait son chemin. Avec le temps, le peintre va à l’épure. Désormais il pose la couleur blanc sur la toile, puis la recouvre d’un noir épais. Pour faire sourdre la couleur-fond il creuse la matière, la sculpte au pinceau, au racloir, à la lame de cuir, de métal… Sans jamais se lasser, il nappe ses toiles de bleus profonds, de noirs velouteux et soyeux. Serein et grave, Pierre taille dans la masse des balafres, des stries, des sillons pour y faire jaillir l’authentique clarté, l’incandescente luminosité. En faisant rayonner le noir, par le biais d’une peinture informelle, ce nouveau peintre des origines devient le maître de l’outre noir.

À la fin du siècle dernier, en hommage à la sobriété des cisterciens, l’artiste mondialement célébré réussit enfin à emprisonner la lueur immatérielle dans un verre translucide blanc comme la neige.

Ce noble matériau mono pigmentaire habille désormais la centaine de vitraux de l’abbatiale Sainte-Foy.

Venez à Conques et plongez-vous dans un monde infini. Par le jeu des transparences et des opacités, au gré des lignes souples et obliques, laissez votre regard vagabonder. Chaque vitrail est unique, chaque vitrail a son identité. Au fil de la journée, comme le voulait Pierre Soulages, le vitrail est « émetteur de clarté ».

J’ai la réponse à la question de Shakespeare.

Aujourd’hui enfin, je suis en mesure de témoigner. Oui, c’est bien sur les vitraux d’une abbatiale en Aveyron que vient se poser le blanc quand la neige fond.

 

 

« Ce que je voulais faire avec mon encre, c’était rendre le blanc du papier encore plus blanc, plus lumineux, comme la neige. » Pierre Soulages (8 ans)

 

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Commentaires

olala
Blanc comme neige

Je ne connais ni Conques ni Rodez mais j'ai aimé ton texte, un texte très personnel, précis et... convaincant ! On y sent ton admiration pour l'oeuvre de Soulages.

Particulièrement étonnante et touchante la ténacité et la persévérance de l'enfant puis de l'homme qui réussit in fine à " emprisonner la lueur immatérielle dans un verre translucide blanc comme la neige "

luluberlu
Portrait de luluberlu
Il aurait dû aller à

Il aurait dû aller à Poitiers, il paraît qu’on y a occis Maures. Quant au « blanc », ce n’est pas une couleur. Et je dois avouer que tout ce blanc, à Conques, m’a laissé de marbre (ainsi que la visite à Rodez). Cet « outre noir » m’a outré, et fait l’effet d’une grande supercherie. Heureusemnt, après tout ce noir, il y avait une exposition Fernand Léger.

 

Ceci n’enlève rien à la qualité du texte. Une vision parmi d’autres.

 

Extraits de Wikipédia : ICI

 

 

Le blanc est un champ chromatique caractérisé par une impression de forte luminosité, sans aucune teinte dominante.

Pour certains, le blanc n’est pas une couleur, soit qu’ils suivent la pratique des teinturiers et des peintres, pour lesquels la couleur se pose sur un support blanc, donc sans couleur, soit qu’ils estiment que « c’est la teinte obtenue en mélangeant la lumière de toutes les couleurs » comme l’ont montré les expériences de Isaac Newton. Pour d’autres, et suivant les théories de Goethe, de Hering et de nombreux autres, le blanc opposé au noir est une des trois paires de couleurs pures qui orientent la perception visuelle.

Le blanc s’associe dans la culture occidentale à de nombreux concepts positifs du domaine du sacré. Symboliquement, il s’oppose autant à la souillure, quelle qu’en soit la nature, matérielle ou morale, qu’au noir et aux autres couleurs.

 

plume bernache
Belle rencontre

 

 Un texte qui donne envie d'aller à Conques constater cet exploit : "faire jaillir l'authentique clarté, l'incandescente luminosité en faisant rayonner le noir". Naissance de l'outrenoir...

On voit très bien  l'obstination de ce gamin dans sa recherche de l' absolu. "Roi de l'oxymore" assurément !

 

J'admire la  construction de ce texte et la précision du vocabulaire. On est à Conques et on grandit avec Pierre Soulages. Belle rencontre...

 

 

 

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