
— Tire la langue Bernard !
Le gamin fronce les sourcils serre les dents.
— Comment veux-tu que je t’examine si je ne peux voir ta gorge ? Tu as perdu ta langue peut-être ? Madame Einstein, raisonnez votre fils…
— Ah docteur, il est aussi têtu et rebelle que son grand-père, soupire-t-elle en caressant les cheveux ébouriffés de son fils. Elle lui chuchote quelque chose dans l’oreille. Il retrouve sa langue :
— Mais Maman tu dis toujours que c’est malpoli de tirer la langue à des étrangers comme a fait Pépé Albert. Après y’a des photos partout sur les « roseaux z’osiaux » et tout le monde te harcèle avec ça. Même quand t’es mort.
Le médecin éclate de rire.
— Tu as raison petit. Mais je ne suis pas un étranger et je n’ai même pas d’appareil photo. De plus je ne sais pas ce que c’est « les rets aux z’osiaux »… Alors tu vois, avec moi tu ne risques rien.
Le drôle obtempère sans plus barguigner. Il écarquille les yeux, ouvre tout grand la bouche et propulse rageusement sa fine langue pointue.
— Tout le portrait de son grand-père, affirme le praticien. J’espère qu’il a aussi hérité du même cerveau génial.
— Oh vous savez docteur, réplique la mère du bout des lèvres, sa réputation est très surfaite. Son « thé au riz de lard est à l’éviter », la recette était connue déjà par le gars… hum… son nom m’échappe. Un italien.
— Vous voulez dire « le gars l’il est » au ciel depuis deux siècles ?
— C’est cela, oui ! Un certain Galli… Mathias ? Non… Gali Léon je crois. Oh, et puis peu importe son nom : D’ailleurs il a très mal fini
— Si je puis me permettre – mais le prenez pas mal madame Einstein – un de mes confrères Coyote… euh Tokyote a fait beaucoup mieux que votre beau-père. Il a découvert la « Nativité Restreinte ».
— Bof, ça alors, docteur, c’est pas sorcier : pas d’étreinte à deux, pas de nativité ! Voilà.
— Sauf pour Marie ? ironise le médecin.
— Là, c’est une exception, celle qui confirme…
— Une exception, ou un miracle… ou juste un mensonge. Non, soyons sérieux : je vous parle d’une méthode très scientifique, accessible au commun des mortels et surtout des mortelles. Qui plus est, « ce riz sur le gâteau », une pratique agréée par le Pape !
— Vous « m’intriquez », docteur ! Dites-m’en davantage.
— Une méthode très consensuelle : Elle regroupe les formules « Aime c’est deux » « Nativité restreinte » et « Étreinte restreinte ». Plus connue sous le label de son inventeur, le docteur Kyusaku Ogino. Les Italiennes, paraît-il, disent plutôt « Oggi-no » littéralement « aujourd’hui, non ».
Madame Einstein interrompt le discours promotionnel :
— Quoi qu’il en soit, docteur, permettez-moi d’ajouter deux caractéristiques à la méthode de votre fameux japonais : « Probabilité Relative » et « Éfficacité très Restreinte ».
De toute manière,
« la théorie c’est quand on sait tout mais que rien ne fonctionne. »
Le petit Bernard tel un ressort, s’écrie soudain
— Pépé Albert disait pareil !
— Il avait raison ton grand-père. Mais écoutez bien ceci madame :
« Areuh ! Areuh ! »
— Oui, et alors ?
— Parole d’un nouveau-né n’est-ce pas ? Écoutez mieux et vous entendrez le fond de sa pensée :
« Heu-reux ! Heureux d’exister. Grâce à vous Docteur Ogino ! »
— Pfff ! soupire la maman de Bernard. Si votre cher Kyusaku avait pris le soin de traduire correctement son mode d’emploi, il y aurait eu moins d’erreurs dans la pratique !
— La pratique oui ! intervient Bernard d’un air savant, Pépé Albert disait : « La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi »

Commentaires
Seule une imagination fertile pouvait se permettre de relever le défi. C'est chose faite!
"Areuh!" et " Heureux!" Comme une évidence. Il fallait y penser. Bravo!
Et bien d'autres trouvailles qui rendent le texte drôle et truculent.
Un texte plein d'humour et de malice.
Bien aimé entre autre : Le " thé au riz de lard " et le " gars l'il est " !
Finalement je me réjouis sincèrement de ne pas être inscrite sur les " roseaux z'osiaux "
Le médecin : moqueur ou seulement fâché avec l'orthographe et la grammaire ? !!!
Ton texte mérite vraiment d'être parcouru des yeux et pas seulement lu pour en savourer toutes les finesses et traits d'humour.