
Petit Jérémie soupire. Il n’a jamais aimé le calcul, les multiplications, les divisions et autres casse-tête… Pouah ! Et aujourd’hui il les aime d’autant moins que la neige a fait son apparition. « À la fenêtre on entend blanchir » la cour de l’école et tous les jardins et parcs alentour. C’est comme si le ciel pleuvait des fleurs de coton, une multitude de fleurs de coton. Lentes et silencieuses elles descendent, se balancent, papillonnent gracieusement. Tout s’étouffe et s’emmitoufle dans la musique du silence et dans les yeux de Jérémie il y a des étoiles.
— Maîtresse ? s’entend-il demander soudain, oubliant que l’heure est aux mathématiques ! Maîtresse ? Dis où va le blanc quand la neige elle fond ?
Regard sévère et réprobateur de maîtresse.
— Sur ta page de cahier on dirait. Désespérément vide je crois voir. Allez remets toi vite au travail avant que je ne me fâche.
Petite moue du garçonnet qui se promet de poser le soir même la question à ses parents. Mais ce soir-là justement… Papa lit son journal ! Et maman est très très très occupée comme d’habitude !
— Pff ! Avec les grands c’est toujours comme ça. Ils savent pas, ou ils veulent être tranquilles et alors ils trouvent une parade. Tiens, qu’est ce que je disais ?
— Tu as fini tes devoirs ? interroge maman ; allez, vite au lit ; il est déjà tard ; n’oublie pas de te laver les dents !
Jérémie n’insiste pas, s’éclipse doucement, et s’en va chercher un peu de consolation et de réconfort dans la douceur de ses draps. Quelques courts instants seulement et le voilà déjà au pays des rêves. Étrangement, là, au bord de ses rêves, se tient un chevalier : tête chenue, barbe blanche, tout de blanc vêtu sous une étole d’hermine.
— C’est comment tu t’appelles ? Interroge Jérémie.
— On m’appelle « Myster » Blanc.
— T’es anglais ?
— Du tout. Non. Mon cheval s’appelle Crin blanc. Veux-tu que je te fasse visiter mon royaume ?
— Ton royaume ? Tu as un royaume ? Oui, oui s’exclame le petit garçon radieux et déjà impatient.
Un voyage éclair comme il n’en existe que dans les rêves et les voilà à la porte du dit royaume. Une sorte d’igloo au milieu d’un paradis de verdure et de fraîcheur, un igloo gigantesque à ciel ouvert entouré de blanches éoliennes.
Semblant descendre du ciel ou jaillir du sol des stalactites et stalagmites se rejoignent en riches arabesques et lumineuses guirlandes.Tout près, un clapotis mélodieux : celui d’une cascatelle égrenant ses notes espiègles et éclaboussant de ses légères et écumeuses mousselines pâquerettes, stellaire, alysse, muguet, perce-neige et gypsophile… Ici et là des cerisiers, pommiers, amandiers et lilas, dans leurs somptueuses et vaporeuses parures blanches, friment un peu devant l’innocente et gracieuse candeur de l’enfant.
— Viens, entrons, suggère le chevalier.
Ouah ! font les yeux de Jérémie. Ouah ! font les lèvres enfantines.
— Trop beau - s’exclame-t-il, ébloui par le spectacle qui s’offre à lui.
Une véritable féerie, une orgie de blanc. Des hérons, des goélands, des mouettes, quelques cigognes même, tout un panel d’oiseaux joliment emplumés de blanc, des pingouins au ventre d’albâtre et smoking d’apparat, des ours polaires aussi et des éléphants aux longues défenses d’ivoire l’invitent à se joindre à eux dans un joyeux brouhaha de grognements et piaillements confus. Les oies qui gardent l’entrée l’encouragent à leur tour. De petits lutins en porcelaine s’affairent tout autour de tables en marbre blanc et lui proposent qui des roudoudous en coquilles nacrées ou de la barbe à papa, qui un cornet de glace à la noix de coco. Celui-ci d’énormes meringues et des dunes blanches. Celui-là un verre de lait et un peu de nougat.
Au-dessus de lui un vol de colombes comme autant de corolles opalines et un nuage malicieux qui lui fait un clin d’œil.
À mille lieues du pays de la vraie vie le petit Jérémie. Tout est si sombre et compliqué parfois à la maison et à l’école… Surtout ne rien perdre de ce merveilleux moment et de toute cette joyeuse et chaleureuse ambiance, rire, chanter, courir, jouer avec ses nouveaux amis et…
De très loin lui parvient soudain le bruit étouffé de volets qui s’ouvrent, celui d’une voix qui l’interpelle :
— Jérémie, Jérémie… allez… se lève… s’habiller… cartable… école… La réalité qui le rattrape ! Las, plus de chevalier, d’igloo et de magie. Enfui le beau rêve.
Mais Jérémie n’est pas vraiment triste, il sourit même tout en se préparant, car maintenant il sait, il sait où va le blanc quand la neige fond. Il sait où… il a envie d’y croire et de rêver encore un peu !
" à la fenêtre on entend blanchir " Chanson de Clio : Des pas dans la neige.

Commentaires
Un texte délicieux dans lequel, comme le petit Jérémie, on a envie de s'attarder. Ce royaume est vraiment merveilleux et crois bien que je n'en ai rien perdu .
Particulièrement aimé, entre autre:
"Tout s'étouffe et s'emmitoufle dans la musique du silence"
Bravo bravo!!!
Quelle fraîcheur dans ce joli conte ! On se prend à rêver.
OUI ! « À la fenêtre on entend blanchir » la cour de l’école et tous les jardins et parcs alentour. C’est comme si le ciel pleuvait des fleurs de coton, une multitude de fleurs de coton. Lentes et silencieuses elles descendent, se balancent, papillonnent gracieusement. Tout s’étouffe et s’emmitoufle dans la musique du silence et dans les yeux de Jérémie il y a des étoiles. »
Trop beau !