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Jean-Baptiste Del Amo : « Une éducation libertine »

 

Il se faisait tard mais peu lui importait. Peu importait aussi à Amédée que le ciel fut chargé, fuligineux en diable et parcouru de zébrures coruscantes qui annonçaient un orage imminent. Pour rien au monde il n’eût omis sa petite escapade coutumière. Comme à l’accoutumée donc il sortit et, comme à l’accoutumée, emprunta la rue des Prouvères. Prouvères, un nom qui étonnamment le ramenait des années en arrière alors qu’enfant il usait ses fonds de culotte sur les bancs de l’école et s’échinait, bien malgré lui il faut le dire, sur la lecture et l’étude du roman de Renart. Tybert et les prouvaires… il se souvenait encore du sobriquet de l’affreux chat. Surprenante mémoire !!

Le vent s’était levé. Il remonta le col de son veston. Plus très frais le veston, du genre breneux même ! Mais là encore, peu lui importait. Ce n’était plus, si toutefois cela l’avait été un jour, sa préoccupation première. Non. Sa préoccupation première, depuis moult années déjà, c’était ce petit bistroquet miteux devenu au fil des jours un lieu de rendez-vous incontournable. Madame Louise, la gérante, avait bien tenté de l’égayer un peu, blanchi les murs à la chaux, posé des rideaux fleuris. Elle avait même rubéfié un morne aquarium trouvé à la décharge, d’un rouge en parfaite harmonie avec les quelques poissons qui y avaient barboté un temps. Mais depuis les murs avaient grisaillé, les rideaux ternis et l’aquarium, « d’algoÏde » qu’il était, s’était vidé de ses tranquilles et rouges locataires. Seul demeurait le gin qu’elle vous servait à discrétion et jusque tard dans la nuit parfois. Et du gin Amédée en redemandait plus qu’il n’aurait dû. En résultaient bien souvent des jambes flaccides et un esprit embué qui ne le ramenaient pas toujours à la maison ! Tant de fois on l’avait retrouvé écroulé, à le cuver sur le trottoir d’une rue avoisinante, la rue des Traînées. Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris, serrant la queue et portant bas l’oreille comme dans la fable !! Et pour cause : cette rue, il s’était toujours interdit de l’emprunter, car son nom à lui seul, estimait-il, impliquait débauche et turpitude.

 

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Commentaires

plume bernache
retour vers le passé

 

 Sacré Amédée et sa surprenante mémoire ! Un effet du gin peut-être? Pour moi, pas besoin de gin pour raviver les aventures de Renart. En te lisant, je me souviens de celle où le rusé faisait le mort devant la charrette des poissonniers pour leur chiper les anguilles puis le loup venait à son tour essayer de les lui extorquer...mais il reçut sur la tête un pot d'eau bouillante. Depuis il resta chauve et sujet à s'enrhumer pendant l'hiver.

 

 Une ambiance dans ce texte. Surannée. Le cadre, les personnages. On imagine le faible éclairage, l'odeur du gin...du "rat ferméwink".  Malgré les efforts louables de cette brave madame Louise et grâce à l'utilisation de ces mots imagés que l'on n'emploie plus....sauf dans les livres de Del amo et dans l' huluberluesque atelier d'écriture de Cours de pile.devil

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