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Deux centimètres et trois petits grammes

 

Parmi des centaines d’autres. Mille dangers me guettent. Je me souviens de cet énorme souffle chaud, ce grognement, ces gouttelettes de bave tiède tombant sur ma carapace brune. Miracle, un mulot apeuré me bouscula et je me mis à rouler, rouler jusque sous un roncier infranchissable pour le sanglier qui s’apprêtait à me dévorer… Cela je l’ai compris plus tard. Voilà comment j’ai eu la vie sauve. Juste la frayeur d’un mulot en fuite… Destin ou premier coup de chance ? Dans ma vie  j’en ai connu bien d’autres. C’est grâce à une succession de petits miracles que je suis encore là depuis bientôt… deux cents ans !

Sous mon roncier protecteur, à l’abri des becs et des dents j’ai pu me développer tranquillement et m’ancrer de toutes mes racines dans ce sol que désormais je ne quitterai plus. Sédentarité obligée. Mais alors, comment se procurer le carburant nécessaire à ma croissance ? Chez nous, arbres, pas de pompe à essence ni caddies de supermarché… On se débrouille. Partage, solidarité, générosité.

Là tu te vantes petit Chêne ! Ta générosité, ton sens social, en fait, c’est une coopération nécessaire avec tes voisins. Certes par ton système racinaire tu offres tes sucres à tes « amy…céliums ». En contrepartie, ils t’apportent les nutriments dont tu as besoin. Collaboration vitale finalement.

Mais j’ai plein d’autres contacts qu’est-ce que vous croyez ? Avec mes confrères, on joue à celui qui gagnera le Ciel le premier. Moi je ne me suis pas mal débrouillé : 30 mètres de haut au temps de ma splendeur !

Enfin c’est plus qu’un jeu, c’est une vraie compétition non ? Vous avez tous tellement besoin de lumière !

Oui mais on s’entraide. Moi je suis le plus grand. Je donne un peu d’ombre aux jeunes pousses sans regarder si c’est ma famille. Mon voisin, lui, abrite un nid de pics qui débarrassent toute la communauté des insectes ravageurs… Vous les humains, vous ne comprenez pas toujours ce genre de cercle vertueux, il me semble.

Bon, arrête de faire ta morale de grand Roi de la forêt. Dis-moi plutôt qu’est-ce que ce gros trou noir à la base de ton tronc ?

Râaa… bien mauvais souvenir. Une nuit de juin, il y a déjà dix ans. La semaine avait été torride. J’avais eu du mal à propulser mes deux cents litres d’eau jusqu’au bout de mes branches. Je voyais mes pauvres petites feuilles se recroqueviller douloureusement. Et puis vers minuit, un orage se déclara. Enfin la pluie allait nous sauver. Mais soudain un immense fracas. TCHZZZZ ! Un éclair me transperça de la cime aux racines. Brûlure atroce. Puanteur d’enfer… La Foudre ! J’aurais pu mourir. Mais je me suis cramponné, j’ai serré mes écorces, bloqué ma sève et me voilà, un peu amoché mais debout ! Tout mon petit monde racinaire prend soin de moi et me maintient en vie. Survivre au Feu du Ciel, dites, ce n’est pas rien ! Miraculé ! On vient me voir de loin. Oui monsieur, des Humains. Et pas pour me débiter en rondelles. On me vénère. On m’a décoré du titre de « Casse del Fé del ciel » (Chêne du Feu du Ciel)*. Les amoureux, experts en coup de foudre, viennent sous ma ramure échanger des serments. Pour seuls témoins les tourterelles…

On fait la ronde autour de moi en chantant des prières pour protéger les récoltes. Des vœux sont exaucés. Quant au Trésor dont on me dit gardien ? Vous n’en saurez pas plus !

 

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Commentaires

luluberlu
Portrait de luluberlu
« Deux centimètres et trois

« Deux centimètres et trois petits grammes »

 

Faut pas glander pour atteindre 30 mètres ! Haut, hissez haut !

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