En jaune et bleu
Elle s’appelle Iryna. Un rêve de bébé. Un petit bout de fille. Un bouton de rose à l’orée du printemps…. Des yeux lavande pâle bordés de longs cils soyeux pour donner un peu d’ombre. Quelques mèches d’or tendre sur un front de nacre pure. Deux petits bouts de tresses rebelles blotties dans le creux du cou. L’aube d’un soleil levant… Le premier matin du monde… Une merveille de la vie… Le souffle est en suspend… Magie de l’innocence…
Elle soulève ses paupières blanches.
— Papa, maman, où êtes-vous ? Je suis là, venez me chercher.
Elle entrouvre sa bouche porcelaine…
— Maman, papa, venez me chercher, je suis là…
Mais aucun cri ne sort… Elle n’est plus que silence…
Un peu plus loin, elle aperçoit la plage dorée qui chatouille ses petits pieds. Le bonheur d’écraser cette chaleur à chaque pas… Et plus loin encore, au-dessus, les yeux qui se remplissent de bleu à ne pouvoir tout contenir… le regard qui se perd où le ciel embrasse la mer… L’air au parfum de l’iode… Un goût de vie en jaune et bleu…
Mais le sable qu’elle voit a soudain de grosses taches rouges. Du sang partout. Qui a fait çà ? Et le ciel ? Le ciel est tout barbouillé de gris et de noir ? Mais pourquoi ? Qui a bien pu tout salir ? Pourquoi il n’y a plus d’air à respirer ? Je veux revenir à la plage comme avant… je veux encore grandir… je veux encore jouer avec le jaune et bleu… je voudrais un câlin… je suis là…
Iryna ferme doucement ses yeux d’ange.
Iryna va mourir, à Marioupol, là, sous les gravats bombardés par la folie des hommes.
Iryna, la plage et le ciel bleu, si bleu, c’était ton drapeau de l’Ukraine martyrisée en jaune et bleu.
Mais où est Dieu ? Le ciel est vide, si vide…
Dieu ? Mais Dieu est mort aujourd’hui à Marioupol. Il avait les yeux lavande, une mèche d’or pâle sur un front de nacre pure, des joues de porcelaine, une bouche qui suppliait en vain sans un cri…
Honte à ces grands singes qui ont inventé un dieu bien à l’abri dans des temples dorés et qui le massacrent à la sortie sans vergogne. Monstres d’hypocrisie de mensonges et de haine. Folie du pouvoir et de l’argent qui rend les animaux plus humains que les hommes.
Iryna…. L’humanité tout entière réclame ton pardon.
Commentaires
Tu vois chère A.Nonyme, je trouve justement que la douceur poétique et la délicatesse de ta première partie ne font que souligner, par effet de contraste, le sordide de cette action de guerre touchant les plus fragiles des innocents.
Mais je conçois ton besoin d’un grand verre d’eau fraîche ; en effet c’est vraiment de ça qu’on a envie pour chasser la nausée à l’écoute de ces horreurs. Et je trinque avec toi en toute amitié.
Chère Plume,
Je comprends tout à fait ton point de vue. En effet, le dernier paragraphe annule l'esprit littéraire du début.
Ce que j'avais écrit me donnait en quelques sortes une impression d'image d' Epinal, quelque chose d'un peu lénifiant. La mort du petit Jésus.... Un jeu d'écriture un peu indécent sur une réalité bien trop sordide.
Alors je n'ai pu m'empêcher de lancer un dernier " coup de gueule" et ça fait du bien comme on boit un grand verre d'eau après avoir mangé trop de sucre...
Merci à toi.
Le premier paragraphe, magnifique portrait de ce bébé, "bouton de rose" au "front de nacre pure" et "bouche de porcelaine" que l'on imagine si bien.
La plage dorée et les yeux qui se remplissent de bleu "à ne pouvoir tout contenir"..."goût de vie en jaune et bleu" : Un tableau impressionniste pour lequel les mots ont remplacé le pinceau (Tiens tiens...)
Après, "le ciel tout barbouillé de gris de noir", quel contraste : j'ai le cœur tellement serré !
Je vais quand même me permettre une remarque (et non une critique !) : Même si je suis tout à fait d'accord avec le propos des quatre dernières lignes, j'aurais arrêté le texte après "sans un cri" . La force évocatrice et émotionnelle du début, renforcée par la poésie des images suffit à créer l'émotion et la révolte contre la folie des hommes etc .
Avoir réussi un texte poétique aussi beau et puissant en si peu de temps, bravo !!!