
Pour le Capitano Renato Gianfranco, c’est le jour J. Au lever du soleil, 6 heures 56 minutes et 15 secondes, sera son heure de gloire. Aux commandes de son U boot 33, il sortira le premier du bassin numéro un. Mission de reconnaissance dans l’estuaire. Ne pas se faire repérer par l’ennemi.
Cinq, quatre, trois, deux, un… Zéro ! Il scrute le tableau de bord. Tous les voyants sont au vert. Il lance le moteur. L’hélice répond au quart de tour. Le commandant enclenche l’ouverture du sas. Les lourdes portes d’acier s’écartent lentement en un glapissement qui donne le frisson. Est-ce le sous-marin qui vibre ou son propre squelette qui trépide ?
Excitation extrême. Volupté. Ivresse. Transe.
Une vague immaculée l’appelle l’englobe le propulse vers un au-delà inconnu. Perdu tout contrôle. Plus conscience de son corps. Grand blanc. Couloir de la mort ? Déjà ? Il aurait rêvé une fin plus glorieuse. En héros.
Soudain une explosion de lumière de son de mouvement le disperse en une éruption de particules virevoltantes, captant et diffusant mille sensations. Le sentiment d’exister ressurgit, s’amplifie, se démultiplie. Renato est ici. Maintenant. Mais il est aussi là-bas, hier. Ou il y a cent ans. Et demain, ailleurs, dans mille ans. Ou plus…
Le temps n’a plus de sens ou bien en a-t-il trop ?
Embarqué sur un petit voilier violet voguant sur un océan de confettis vibrionnant. Invité par une créature échevelée un peu fofolle, il se baigne dans un fluide doré aux reflets troublants. Glacé. Brûlant.
Fauché par le mistral, soufflé au sein d’une prairie odorante et fleurie, il partage l’ombrelle de la jolie Margot. Pas le temps de conter fleurette. Tout se déchire en lambeaux et part au gré du vent. Lui-même n’est plus qu’un débris en dérive. Trouve un appui qui se débine.
Manège infernal. La tête lui tourne. Une vraie toupie. Devient fada.
Pas étonnant il valse à toute allure dans les bras de la coquine Mélusine. Ah, sa robe blanche aux transparences aguichantes, bouclée de sages petits nœuds de velours bleu.…Il se laisserait bien séduire. La belle serait-elle sorcière l’entortillant en maléfices ?
Un peu de répit au bord du bassin aux nymphéas bleus. Non, blancs ! Rouges ! et puis tiens, jaunes là ! Pourquoi ce carrousel de couleurs ?
Passent sans le voir trois dames en barque glissant sous un pont japonais. À peine entrevues, pfft, déjà disparues !
Soudain, en pleine campagne. Coup de soleil. Été. Meules de foin dorées. Non, bleues ! Mais non, vertes. Oh et puis qu’importe ? Si seulement il pouvait s’y attarder un peu plus longtemps. Un petit somme ? Mais non, ici la sieste n’est pas de mise…
— Renato ?
Quelqu’un l’appelle.
— Renato, il est tard !
Tard ? Il ne sait plus ce que ça signifie.
— As-tu fini ton exposé sur les impressionnistes ?
Il a surtout l’impression d’émerger d’un univers parallèle… Féérique. Et vertigineux
— Mais… regarde-moi un peu Renato… Tu es tout bleu !
Bleu, lui ?
— Mon pauvre chéri, tu t’es endormi le nez sur ton bureau, au milieu de tout ton « fourniment »….
Oh, le gros tube de peinture bleue entamé hier soir pour illustrer son travail sur Klein… il l’aura mal rebouché. Sa feuille est constellée de taches bleues. Bleu Klein. Hey ! C’est pas vilain…
Une nouvelle œuvre vient peut-être de naître.

Commentaires
La froide évocation d'une mission guerrière (malheureusement toujours d'actualité) laisse vite place aux douces images impressionnistes:
"un océan de confettis"
"3 dames en barque sous un pont japonais"
" Meules de foin dorées"
" sa robe...bouclée de sages petits noeuds de velours bleu"
Que ça fait du bien dans ce monde de brutes!
A la fin de cette lecture nous avons vraiment envie de croire avec Dostoîevski que "la beauté sauvera le monde".
Ah bon ? Et tiens, la nymphe que je suis fait Ah ! Elle aussi.
Quel Klein d'oeil ! J'en suis baba... Le nain que je suis fait Ah ! Ça me boote !