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Bonsoir Panurge. Vois-tu cet homme là-bas en train de courir les bras levés vers le ciel ?

— Oui, je le vois. Mais dis-moi Paul, pourquoi court – il ainsi ?

 
— Pour essayer d’attraper le temps par la queue. Il n’en a jamais assez. C’est tous les jours pareils. Heureusement que demain matin ça va changer !

— Pardon Paul, que veux-tu dire ? Qu’est-ce qui va changer demain ?

— Tout Panurge, tout. N’oublie pas que le concept de temps est une invention humaine. Pour t’aider à comprendre, je te donne rendez-vous demain à l’aube, ici même. Bonne nuit Panurge.

— Bonne nuit Paul.

— Bonjour Panurge, bien dormi ? Maintenant écoute-moi ! Vois-tu ce gros camion là-bas avec sa benne levée ?

— Oui Paul, je vois le camion, mais je ne vois rien tomber de sa benne.

— Quel jour sommes-nous Panurge ?

— Nous sommes le 17 mars 2020.

— Oui, c’est le premier jour du confinement. Eh ! bien à partir d’aujourd’hui Panurge, tous les matins une benne comme celle-ci déposera devant ta porte un cadeau inestimable.

— Alors Paul, là je crois que tu te moques de moi ! Récapitulons, si j’ai bien compris, tous les matins je vais recevoir un cadeau invisible. Quel drôle de présent !

— Crois-moi Panurge, si le cadeau est invisible, il n’en est pas moins précieux, je dirai même vital ! Écoute-moi bien, chaque matin la benne déversera devant ta porte d’énormes brassées de temps… du temps libre, sauvage et gratuit !

— Ah ! J’ai compris, la benne distribue du temps perdu.

— Non pas du tout.

— Alors c’est du temps mort.

— Non plus. Fais-moi confiance Panurge, elle distribue du bon temps, du temps pur, c’est même du temps béni.

— Du temps béni par qui ?

— Par le gouvernement.

— Alors d’après toi Paul, tous les matins jusqu’au 11 mai on va me livrer d’énormes brassées de temps ?

— Oui, c’est bien ça Panurge.

— Mais que vais-je faire moi, de tout ce temps ? Je n’ai rien demandé.

— À toi de voir Panurge. Tu es le maître. Je comprends ta sidération. C’est du jamais vu. Tu vas devoir t’y habituer. Allez ! Je veux bien essayer de t’aider. Par exemple Panurge, tu pourras prendre ton temps pour le donner. Tu ne seras plus obligé de le gagner. Tu pourras aussi le perdre, le laisser couler, le tuer même si tu en as envie. Tu n’auras plus besoin de lui courir après comme ce malheureux que nous avons vu hier soir. Que sais-je d’autre ? Ah ! Oui, tu pourras aussi en profiter pour écouter le chant du silence ou bien celui des oiseaux. Le ciel ne sera plus habité par les avions. Mais le plus important à mes yeux est que tu pourras prendre le temps de faire une nouvelle rencontre… la rencontre de toi avec toi-même. Alors, Panurge, qu’en dis-tu ?

— Pour ce qui est de la rencontre, je dis que ce n’est pas nécessaire. J’ai toujours eu la chance de bien m’entendre avec moi-même. Oh ! Comme le temps file ! Excuse-moi Paul, là il faut que j’y aille !

— Du calme Panurge ! Je vois que tu n’as rien compris. Oui, je reconnais qu’il faut un certain temps pour s’habituer à un changement aussi radical. Je te répète qu’à partir de ce jour tu vas entrer dans une autre temporalité. Fini le temps compté du monde économique. Plus de travail. Plus d’obligations. Plus de montres. Fini le temps éclaté, le temps apprivoisé par nos horloges. À partir de maintenant tu vas faire l’expérience du temps long, du temps sans entraves. Tu vas faire l’expérience de la durée.

— Ah ! Ça y est j’ai compris... la durée comme qui dirait une petite éternité ? Merci Paul pour ton cadeau, mais je me demande si vivre dans la durée sans aucune contrainte ne serait pas au final un cadeau empoisonné.

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Commentaires

plume bernache
contrains-toi

 

 Panurge, et si tu te créais tes propres contraintes pour rythmer la durée?

 Mais sont-ce encore des contraintes si c'est toi qui les fixes?

Une contrainte agréable est-elle encore une contrainte?

Houla, il nous faudrait un (ou une) philosophe pour débattre de ce problème.

 

En tout cas voilà une fable qui fait réfléchir.

 

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