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Il savait que la terre est ronde. Ou, « Peut-être savait-il que la terre est ronde » ?

Peut-être ; deux petits mots qui s’unissent. Ensemble ils abordent la sagesse du doute. Ils accordent le droit à la relativité d’un point de vue. Voir sous un angle arbitraire dû à notre position géographique autant qu’humaine.

 

Je suis insignifiante. Je suis invisible à l’homme et je n’ai qu’un aperçu très limité de la terre.

Mon monde est liquide. Riche de forêts de kelp, infiniment profondes. Celles-ci m’accueillent toujours en m’offrant l’opportunité d’échapper à un prédateur. Coopération tacite et millénaire. Je coexiste avec beaucoup d’êtres très différents. Formes couleurs texture, unicellulaires ou multicellulaires, vertébrés ou invertébrés, animaux, végétaux, et aussi à la frontière des deux. Sans compter tous ceux que j’ignore et que l’homme n’aura jamais le privilège de pouvoir répertorier. La vie ici est sereine. Elle suit son cours selon les règles édictées par la nature. Et même si il n’y paraît pas (pour l’homme) à première vue, elles sont justes. Elles apportent la paix de vivre sa vie. Mon monde est beau, riche, et aussi dangereux. Cela n’altère en rien la joie de vivre. Ici, chacun connaît l’exact prix de son existence et l’accepte. Se battre s’il n’y a pas d’autre choix pour protéger la vie !

À la frontière, la surface sépare la terre de l’eau pour que tout le monde ne puisse pas voir en dessous. À moins d’oser franchir la frontière ! Un choix toujours saisi par les grands découvreurs. Les visionnaires !  Ceux-là sont exceptionnels de par leur nombre et leur audace !

Voici mon histoire. Je vous la lègue pour que vous puissiez voir au-delà des choses qui sont encore inconcevables.

J’ai rencontré un homme de cette trempe. Je l’ai observé longtemps avant qu’il ne parvienne à m’observer. Je l’ai attiré par hasard, et par un subterfuge alors inconnu des scientifiques. Mais sans le faire exprès. Il me fallait détourner l’attention d’un requin-pyjama pour survivre. Immédiatement ! Je me suis changée en une sculpture. Artiste, je suis à l’occasion et dans l’urgence. Avec tout ce que mes bras ont pu agripper dans l’instant, je me suis habillée d’algues, de sable, de débris de coraux et d’oursins. De coquilles de moules, d’oreilles de mer dont l’intérieur nacré est du plus bel effet. L’homme passé par là n’avait rien vu du danger qui venait de me menacer. À son approche, incertaine de ses intentions, j’ai fuit en écroulant mon œuvre. Il est resté sur place, médusé, si j’ose dire. Rapidement je me suis éloignée rejetant de l’encre dans mon sillage. J’ai regagné ma tanière. Le lendemain il a trouvé mon trou. Jour après jour il est revenu. Je le repérais souvent avant qu’il ne me voie. Mais à force de patrouiller dans mes eaux, il a appris mes habitudes. Alors je lui ai accordé un statut de résident (à l’épreuve) dans mon monde. J’étais fatiguée de me cacher. De devoir attendre son départ pour rejoindre ma maison. Nous nous sommes observés à bonne distance pour commencer. Puis nous nous sommes approchés, rapprochés jusqu’au contact. Il me tendait un doigt. Indécise, curieuse, et en sécurité dans mon trou j’ai déroulé mes ventouses très doucement. Je l’ai touché, palpé longuement. Si longtemps, qu’il a été obligé de lâcher mon étreinte pour remonter respirer. Il a procédé avec une extrême douceur. J’ai eu envie qu’il revienne. Il ne m’a pas déçu. Je lui ai fait confiance. Spontanément nos sensations l’ont emporté sur la peur de l’inconnu. Nos étreintes inattendues et sincères nous guidaient vers l’amitié. Elle s’est imposée. Nos apparences n’étaient d’aucune importance face à nos sentiments communs. Ce lien n’a fait que se renforcer. Pas un seul jour nous avons manqué pour nous retrouver. Nous avons nagé ensemble jusqu’aux confins de mon environnement. D’abord je le suivais. Et puis je suis devenue son guide. Je nageais détendu. Me propulsant en ouvrant mes huit bras en un parapluie stellaire surprenant et parfait. Il m’a suivi quand je chassais. Il m’a observé. Jamais il ne m’a dérangé. Jamais il n’est intervenu d’une manière ou d’une autre. Même quand je fus en danger de mort. Et je l’en remercie. Je sais qu’il l’a fait par respect pour mon habitat et ses lois, si différentes de son monde. Il a mérité d’être bienvenu dans cet échantillon d’océan. Le lieu de mon existence heureuse et peut-être privilégiée. Je lui ai montré les trésors inconnus de l’homme qui y pénètre sans agrément préalable. Il a vu les facéties de mes déplacements imitant le bipède terrien, ou la gracieuse danseuse. Il a vu ma phénoménale propension à unifier mon apparence sur mon milieu. Intégration parfaite, innée, pour me protéger. Il m’a surprise jouant avec les petits poissons. D’un coup ! Je relevais mes tentacules. Juste pour le plaisir de voir onduler leur ban. Ils faisaient vibrer la lumière sur leurs écailles, à chaque demi-tour synchrone. C’est un beau spectacle en mouvement. Il m’a regardé m’enrouler dans une algue, à la manière d’un empereur s’enveloppant dans sa cape pour passer inaperçu parmi ses sujets. Un jour, sauvagement attaquée par un foutu « pyjama », j’ai bien failli mourir. Il était là ! Il m’a accompagné jusqu’à mon refuge. J’étais atrocement blessée ! Il me manquait tout un bras. J’étais faible. Lui, il était inquiet et triste. Je le sais ! Car j’ai reçu les messagers chimiques de son désarroi. Me voir si mal en point et être si impuissant face au destin. Alors voilà la faiblesse de l’homme ? ai-je pensé avant de me recroqueviller pour me réparer. J’y ai mis toutes les forces de ma nature ! Lui il revint chaque jour me visiter ! J’étais blafarde. J’avais les yeux fermés mais je sentais sa présence anxieuse et attentive. Je me suis reconstruit un nouveau bras tout neuf. Il n’en croyait pas ses yeux ! J’ai survécu ! L’homme était soulagé, heureux comme jamais ! Qu’il est étonnant cet homme ! Mais s’il ne venait plus me voir il me manquerait.

Il est venu chaque jour de ma vie.

Maintenant je meurs tandis que je ventile et protège mes œufs. Que peut-il y avoir au bout d’une vie si ce n’est l’espoir de la transmettre ? La nature fait toujours bien les choses ? À l’inverse de l’homme qui balbutie encore dans la connaissance, la nature elle, a des des milliards d’années d’expérience. Elle a pris le temps de l’échec pour sélectionner les meilleures solutions. Elle est une championne du recyclage. Matériaux, nourriture, eau, énergie elle recycle tout inlassablement ne générant aucun déchet. Mon ami était là, pour voir éclore mes œufs. Il a vu mes petits happés par leurs destins. Il m’a vu mourir. Il m’a vu, le cœur serré, emportée pour servir de repas au premier affamé venu.

 

Maintenant j’ai l’éternité pour rêver la terre. Plate sûrement au dessus de la surface de l‘eau, mais qui sait ?

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Commentaires

Garance
Réflexions suite à ton 3 ième épisode

De mes lointains souvenirs de cours de philo, en te lisant je pense à Nietzsche pour qui il est important, pour élever l'homme , d'aller au-delà des valeurs de la société occidentale moderne afin d'en instituer de nouvelles.

il disait aussi " Dieu est mort" !

Pour rire, des plaisantins ont rajouté que, sur sa tombe, la main céleste a eu le dernier mot en écrivant " Nietzsche est mort".

 

A partir de là, on peut imaginer un grand changement.

Mais comment?

 

Est-ce que mes idées sont les bonnes ou en tout cas meilleures que celles de mon voisin ou bien ce sont les siennes qui sont les meilleures ?

 

Aristote pensait qu'il était possible de trouver la vérité en observant le monde qui nous entoure.

 

Mais Descartes assurait que nous ne pouvions être sûrs de rien et que nous n'existons vraiment que lorsque nous pensons.

 

Montaigne, sceptique s'il en est, ne tolérait aucune vérité absolue et souhaitait que chacun accepte la condition humaine.

 

Rien n'est simple, parce que si Rousseau pensait que l'homme était bon par nature et qu'il naissait libre pour vivre enchaîné, Hobbes pensait le contraire.

Pour lui, l'homme était mauvais par nature et que seule une main de fer pouvait l'empêcher de dévier.

 

Alors, que penser?

 

J'aime assez l'idée de Sartre qui dit que s'offre à l'homme la possibilité de créer sa propre finalité et trouver par là-même un sens à sa vie...

Manuella
Portrait de Manuella
T'as bien fz ! Le repas était

T'as bien fz ! Le repas était limite indigeste ! cheekywink

enlightened

plume bernache
une espèce à part"

 Je viens enfin de regarder les videos d'Arte que tu recommandes:  Époustouflant ! Un survol des espèces en particulier de la notre, et de leur place dans le monde: Une fabuleuse leçon !

Un petit faible pour le "tardigrade"…pas près de remporter un concours de beauté, mais pour tout le reste, mamma mia!

plume bernache
sélection naturelle

 

 Une jolie nouvelle cet épisode4, qui donnerait envie de devenir poulpe, étoile de mer, ou seiche car tout cela est très sensuel. Qui étais-tu Caty dans une précédente existence? Évidemment la fin est moins enviable…

" La nature a pris le temps de l'échec pour sélectionner les meilleures solutions"…"L'homme balbutie dans la connaissance" (Et pourtant il fait mine de tout savoir)Très bien vu tout cela!

 Belle leçon d'humilité ! Et belle métaphore, mais en est-ce une? Car il me semble bien que de telles créatures existent réellement.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Après la lecture d’un texte

Après la lecture d’un texte aussi dense visuellement (bien que liquide) et tentaculaire, j’ai enfilé mon « pyjama » pour aller dormir et me requin… quer.

 

Je n’ai pas trop compris la logique des « épisodes », car, à l’évidence les 1,2, 3 et 4 n’ont pas de rapport entre eux. Il s’agit plutôt d’une suite de réflexions habillées en nouvelles. Intéressant tout de même.

 

Terre, Terre… J’accoste.

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