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Nouvelle 2020-2021 : Out of Africa (Les exos de l'atelier)

 

Dis Monsieur ? (épisode 1)

 

— Dis Monsieur, beau monsieur, je voudrais bien savoir…

— Mais quoi donc mon petit, que voudrais-tu savoir ?

— Le soleil, beau monsieur, derrière le toit du père Édouard, pourquoi plonge-t-il chaque soir ?

Et pourquoi le lendemain matin, à l’autre bout du ciel, grimpe-t-il au mur du vieux moulin ?

— C’est un grand voyageur, mon petit. Jamais il ne s’arrête.

— Alors jamais il ne dort ?

— Et non ! Il est infatigable vois-tu. C’est ce qu’on appelle « le mouvement perpétuel ».

— Alors ça veut dire que son voyage va durer « jusqu’à perpète » ?

— Si tu veux…

— Mais la nuit on ne voit rien Monsieur… Comment trouve-t-il son chemin, le soleil ?

— Pourquoi crois-tu qu’il y a une lune et des milliers d’étoiles ? Pas juste pour faire joli ! Elles éclairent bien mieux que nos réverbères et sont de précieux repères depuis la nuit des temps.

— Passe-t-il toujours, le soleil, par le même chemin, monsieur ?

— Comment le saurais-je ? Je ne suis jamais passé de l’autre côté, moi. Et puis qu’est-ce que ça peut te faire ? Avec tes questions, petit, tu me fais tourner la Terr… non, pas la Terre, la tête ! Tu vois à cause de toi j’ai failli dire une grosse bêtise.

Adieu !

 

Dis monsieur ? (épisode 2)

 

— Qu’y a-t-il mon beau monsieur chéri ? Tu as l’air contrarié. C’est à cause de moi ?

— Mais non voyons. C’est ce gamin avec ses questions, qui m’a porté sur les nerfs.

— De quel gamin parles-tu ?

— Ce petit brun aux cheveux en broussaille que l’on voit souvent traîner dans le parc de l’Institut. Il aborde tout le monde et questionne avec beaucoup d’insistance.

— T’a-t-il manqué de respect ?

— Euh non. Mais il m’a retardé et énervé.

— Et alors, tu n’es pas si pressé ? Il est curieux voilà tout, il veut s’instruire. C’est plutôt bon signe pour un enfant. Peut-être que ses parents n’ont pas le temps ou l’envie de lui répondre. Ils n’ont peut-être pas les mots…

— Oh toi tu trouves toujours des excuses à tout le monde.

— Que tu le veuilles ou non, malheureusement beaucoup de gosses restent livrés à eux-mêmes. Et celui-là il a eu de la chance de te rencontrer. Il a sans doute compris que les gens de l’Institut sont de grands enfants. Toujours en recherche de réponses. Toujours envie d’en savoir plus. Comme lui quoi !

— De grands enfants ! Tu exagères. Avec tout ça, il est malin ce petit. Figure-toi que j’ai failli lui avouer que la Terre tourne !

— Et alors, pourquoi ne pas le lui dire ?

— Tu sais bien que nous n’avons pas le droit de révéler ce genre de choses au commun des mortels. Clause de confidentialité. Trop dangereux.

De toute façon, j’ai bien l’impression que ce petit n’a pas cru à mes balivernes. Le soleil qui trouverait son chemin grâce à la lune et aux étoiles… ça l’a rendu vraiment perplexe. Je me demande s’il ne m’a pas pris pour un idiot…

— Un idiot ou un poète… Ou les deux en même temps !

— Arrête de me taquiner. De toute façon, futé comme il est, cet enfant se doute de quelque chose. Je crois même qu’il a l’intuition de la vérité.

 

Dis monsieur ? (épisode 3)

 

Petits pas légers sur le gravier crissant de l’allée principale. Cinq entrechats, deux sautillés à cloche pied et trois roues sur le gazon : juste pour atterrir sur la balançoire accrochée au grand cèdre du parc. Voici la petite Sophie, la fille de la concierge de l’Institut. Cramponnée aux cordes, elle s’élance en avant jambes tendues, pliées pour le retour, tendues, pliées, tendues…

— Hey, Nicolas ? Appelle-t-elle d’une voix perçante et impérieuse, viens me pousser !

Nicolas déboule de l’allée des rosiers où il était posté et obtempère sans façon. Deux petites mains étalées en soleil sur le dos tiède de la fillette et hop ses bras se détendent au maximum, se relâchent, recommencent. Harmonie parfaite  entre les deux gamins. Deux trapézistes de haut vol ne feraient pas mieux.

Jusqu’aux branches ! Plus haut ! Plus haut ! Jusqu’aux nuages ! Encore… Plus fort ! Jusqu’au Soleil ! Elle penche la tête en arrière, ses cheveux flottent en sillage d’or au rythme du balancement. Elle se laisse griser par la vitesse du vent qu’elle génère, elle plane, jubile.

Les branches viennent vers elle. Les nuages, le soleil, elle les invite elle les repousse, ils obéissent, elle est la reine du monde. Sophie adore jouer avec les éléments. Elle se sent « des leurs ». De la famille en quelque sorte. Tenez, hier soir encore, elle a taquiné la lune. Alors que celle-ci, en sa pleine  rondeur, se reposait un moment dans l’étang du jardin avant de poursuivre son périple,  la fillette a lancé une poignée de cailloux pile au bon endroit pour la faire onduler et danser au gré des vaguelettes. Imperturbable mais rayonnant de toute son argenterie, le double lunaire resté là-haut pour donner le change avait bien du mal à réfréner son sourire ironique.

L’ami Nicolas attend son tour de balançoire. Lui il est assez grand, il n’a pas besoin d’aide. Et pour descendre rien de plus facile : sauter du plus haut de sa trajectoire. Atterrir en un viril roulé-boulé sur un tas de sable qui en a vu bien d’autres.

Ils reprennent leur souffle assis dans l’herbe l’un près de l’autre.

  • — Bouf… j’ai la tête qui tourne ! avoue la fillette en relevant une mèche folle derrière son oreille.
  • — Ta tête, elle tourne comme celle du beau Monsieur ? Et comme la Terre aussi ?
  • — La terre tourne ? Qui te l’a dit ?
  • — Ben, lui. Le beau Monsieur de l’Institut justement. Sans faire exprès mais il l’a dit… et je suis sûr que c’est vrai.
  • — Tu sais Nico, ma mère – elle fait le ménage dans son bureau – elle dit qu’il a toujours la tête dans les étoiles. C’est un « as trop… n’homme ». Moi je trouve pas qu’il est trop, il est juste ce qu’il faut, un homme, plutôt beau, voilà.
  • — Mais non voyons, un « ASTRONOME », en un seul mot ! C’est son métier. Il étudie le ciel les étoiles la lune… enfin tout ce qu’on voit dans le ciel, et même ce qu’on ne voit pas. Des astres ça s’appelle.
  • — Quel « désastre » ?
  • — Des astres… Mais tu le fais exprès !
  • — Ben oui !!!

Sophie éclate de rire. Soudain se fige, donne un coup de coude à Nicolas en désignant le sentier au coin du massif d’hortensias :

  • Tiens le voilà ! C’est notre homme. L’astronome.

 

Dis monsieur ? (Épisode 4)

 

Sur le sentier sinuant entre les hortensias, s’avance un grand homme pressé, cartable fatigué sous le bras. Son chapeau de feutre noir laisse danser des mèches argentées au gré de longues enjambées un peu saccadées.

Sans se concerter les deux enfants s’élancent vers lui avec avidité.

— Monsieur, dis monsieur, commence Nicolas  je me demande où se couche le soleil*…

L’homme allonge le pas.

— Monsieur, dis monsieur, enchaîne la fillette, je me demande où les nuits passent leurs journées ?* 

L’homme hausse les épaules et accélère.

 Est-ce qu’il y a encore des étoiles derrière les nuages ?* renchérit le garçon

 Je me demande si le soleil aimerait avoir une ombre*  assène Sophie et puis pourquoi la terre est-elle ronde ?

Là, le beau monsieur s’arrête se retourne d’un bloc, fixe son regard bleu dans celui des deux enfants à tour de rôle, se gratte le menton en levant les yeux au ciel,  se met à rire à tout petits sursauts silencieux et enfin,  d’une voix grave et attendrie :

— Mes petits, vos questions sont pertinentes mais vous êtes trop curieux ! Je ne puis pas vous répondre,  et en hochant la tête il ajoute un peu tristement, du moins pas tout de suite.

Puis sans se retourner, il reprend sa route en courant presque.

Les gamins restent bouche bée, se regardent…

— Qu’est-ce qui vous arrive les gosses ? S’étonne la mère de Sophie passant par là pour aller au travail. On dirait deux statues tout à coup. Cela ne vous ressemble guère.

Ils expliquent la cause de leur désarroi. Pourquoi le beau monsieur ne veut-il pas répondre à leurs questions. Pourtant il sait tout ça, lui. Il est astronome non ? De plus, il paraissait intéressé, troublé même…

— Vous savez, il est gentil, mais toujours dans la lune et il n’est pas très causant. À votre place, je questionnerais plutôt Uranie.

— Uranie ? Qui c’est ??? demandent-ils d’une même voix.

 

(*extraits d’un poème  de Pef : « Demande »

 

 

Dis monsieur ? [épisode 5]

 

Uranie, ah ! peut-être ne l’avez-vous encore jamais rencontrée ? Pas étonnant. Elle travaille la nuit et dort une partie de la journée.

Elle loge au sein même de l’Institut d’Astronomie. Un petit studio qui donne directement sous la coupole d’observation. Elle habite là depuis toujours. Elle dit qu’elle y a été apportée par une comète et qu’elle a grande envie de savoir d’où elle vient. C’est pour ça qu’elle passe sa vie à scruter le ciel avec un télescope.

En fait, elle a été recueillie toute petite par un couple de scientifiques qui s’est occupé de son éducation. Elle est passionnée par les astres, les planètes et tout ce qui concerne l’univers. Une enfant très douée. Très tôt devenue la mascotte de l’Observatoire, elle est maintenant une référence mondiale dans le monde de l’astronomie.

 

— Ça alors ! Elle est astronome elle aussi, comme le beau monsieur ?

— Et oui Nicolas, il y a des astronomes femmes bien sûr, si c’est ce qui t’étonne.

— Pourquoi on ne dit pas « astro-femme » alors ? minaude la gamine.

— Sophie, tu nous fatigues avec tes jeux de mots ! marmonne Nicolas en lui donnant une bourrade dans les côtes. Ce qui déclenche chez elle une cascade de rires.

Le garçon l’ignore et se tourne vers la mère de Sophie :

— Dis-moi Hortense, cette Uranie, on pourrait la rencontrer ?

— Écoute mon petit, juste avant le coucher du soleil, elle vient quelquefois flâner au bord de l’étang avec son chien et jeter du pain aux canards. Alors peut-être…

 

Ce soir-là, les deux enfants tardent à rentrer à la maison. On les appelle plusieurs fois sans aucun effet.

« Nicolas, viens manger, la soupe est sur la table ! Sophie, ça va être froid ! » Ni même : « Si tu tardes, il n’y aura plus de crème au chocolat… » Pourtant elle raffole de la crème, Sophie, surtout celle au chocolat. Celle que fait Maman les soirs où Nicolas dort chez eux.

Ils n’entendent même pas. Assis dans l’herbe près du lac au fond du parc, en attente de la mystérieuse Uranie… Elle tarde. Ne viendra pas…

Tout à coup, jaillie d’une touffe de rhododendron, une petite boule de poils blancs bondit sur les genoux de Sophie et posant les pattes avant sur ses épaules, la renverse et la débarbouille d’un large coup de langue tiède et humide. Mi-ravie, mi-effrayée, la fillette gesticule et pousse des cris perçants.

 

Soudain Elle est là. Au milieu du chemin. Ils l’attendaient et pourtant les voilà surpris. Elle ressemble plus à une fée qu’à une astronome. Du moins telle qu’ils l’avaient imaginée. On dirait un mirage.*

Luxuriante chevelure de lune rousse éparpillée sur des épaules d’aurore, une cape d’azur satiné recouvrant une robe blonde aux nuances perlées. Ses yeux dont on ne saurait dire la teinte éblouissent plus que le soleil couchant qui pourtant exhibe tous ses feux…

 

— Stella ! viens ici ! Laisse donc cette petite fille tranquille !

Ah ? Mais elle parle comme tout le monde. Ce n’était pas une apparition.

— Excusez mon chien, les enfants, il n’est pas méchant mais il est très indiscipliné et il adore jouer.

 

[* Ou un tableau de Francesco Trevisani…]

 

Dis monsieur ? [épisode 6]

Sans façon la belle dame s’assied dans l’herbe entre les deux gamins.

Très vite remis de leur surprise, ils attaquent l’interrogatoire :

— Dis Madame, belle dame, oui ou non, la terre est-elle ronde ? — Et ronde comment : comme une crêpe ou comme une citrouille ? — Et elle tourne n’est-ce pas ? Comme une toupie ? — Et le soleil dans tout ça ?

— Houlala les gosses ! Du calme… C’est donc vous les petits curieux qui assaillent mon ami Auguste. Vous vous accrochez à moi maintenant ?

— Mais on veut savoir. Et le beau monsieur n’a pas voulu nous répondre. Il a dit qu’il ne pouvait pas, du moins en ce moment… et pourquoi ?

— Pourquoi ? Et bien peut-être savait-il que la terre est ronde, mais moi je l’ignorais, pour que nous ne puissions pas voir de l’autre côté…

Une phrase bien étrange qui laisse les enfants sans voix. Stella s’est endormie, le museau dans le creux du coude de la petite fille.

Uranie réfléchit quelques instants et reprend :

— Vous savez mes petits, depuis la nuit des temps, savants, philosophes, mathématiciens, astronomes et autres chercheurs ont payé très cher leurs découvertes, alors…

Sophie écarquille les yeux, ouvre la bouche pour un commentaire, puis s’abstient. C’est Nicolas qui demande :

— Très cher combien ? Genre le prix d’un cheval ?

La jeune femme sourit mélancoliquement en secouant de droite à gauche sa chevelure rousse :

— Le prix de leur vie. Ô… Hypatia, Giordano… et tant d’autres. Il ne fait pas bon bousculer les esprits quand ils ne sont pas prêts à entendre une idée nouvelle. Il est plus confortable de maintenir le peuple dans l’ignorance.

Et plus grave encore, elle ajoute d’une voix brisée :

— L’ignorance et sa complice la haine. C’est plus que jamais vrai… hélas !

— Je comprends rien à ce que tu dis madame, grogne Sophie.

Nicolas lui donne une tape sur le bras.

 — Tu es trop petite pour comprendre, c’est pour ça.

La fillette se renfrogne et se console en caressant la tête du petit chien. La jeune astronome poursuit son explication les yeux dans le vague comme dans un rêve :

  • — Toucher aux mystères du Ciel et de l’Univers a toujours beaucoup dérangé. Les puissants n’aiment ni les femmes ni les hommes trop curieux. Qui pourraient avoir envie de percer les secrets des Dieux, d’aller voir de l’autre côté de la terre par exemple.
  • — Hé bé moi, j’aimerais drôlement y aller voir justement ! s’exclame Nicolas.
  • — Moi aussi moi aussi ! explose Sophie debout déjà prête à partir, la petite chienne réveillée en sursaut, à ses trousses.

Ça tombe bien car sa mère arrive, rouge, ébouriffée et hurlant :

— Ça fait une heure que je vous cherche. Vous n’avez pas entendu ? Papa est furieux. Privés de dessert. Tous les deux, voilà !

La douce Uranie se lève, défroisse sa robe, assagit ses cheveux, rajuste son sourire :

  • — Ne soyez pas trop sévère madame Hortense, c’est de ma faute. Ils avaient beaucoup de questions à me poser. Il faut toujours répondre aux questions des enfants. Et je dois dire que les vôtres n’en manquent pas. Je crois qu’ils en ont encore beaucoup en réserve. Et bien moi j’ai beaucoup de réponses aussi à leur donner. D’ailleurs, il me vient une idée…

 

Dis monsieur ? [épisode 7]

 

Ce soir-là dans la petite chambre de la conciergerie, le sommeil tarde à venir. Sophie et Nicolas tirent des plans sur la comète.

— Moi, je ferai le tour du monde avec toi Nico. 

— Et moi je t’emmène au bout du monde. Tout de suite. Ferme les yeux et compte jusqu’à trois.

Un Deux Trois, ça y est ! La petite écarquille ses yeux rouges un peu larmoyants d’avoir appuyé trop fort pour que ça marche mieux.

— Tu te moques de moi ? Je suis toujours là…

— Je suis très sérieux. Réfléchis : puisque la terre est ronde, le bout du monde il est où ?

— Chais pas… mais j’ai l’impression que tu me mènes en bateau.

— Gare au mal de mer Sophie… débarque ! Sérieusement, regarde cette fourmi sur le globe de la lampe. Si elle part droit devant elle, sans changer de direction où arrivera-t-elle ?

— Ben elle fait le tour du… globe et elle se retrouve à son point de départ !

— Alors voilà, ton point d’arrivée, c’est aussi ton point de départ ! Là où tu es maintenant. Finalement, à quoi ça sert alors d’aller au bout du monde puisqu’on y est déjà ?

— Oui mais elle a fait le voyage, la fourmi ! Elle a pu rencontrer des gens, discuter avec eux, voir des paysages, apprendre des choses, vivre des expériences… ça compte quand même !

— Pour une fille, tu es plus intelligente que je croyais, Sophie…

— Bouh ! Pour qui tu te prends ? Pour un grand savant peut-être ? Tu apprendras, mon cher Nicolas, que

« Le plus court chemin qui conduise à soi-même vous mène d’abord autour du monde. »

— Ça ma petite, tu l’as pas inventé ! Je l’ai entendu hier soir à la télé, en même temps que toi. C’est une phrase d’un philosophe au nom bien compliqué.

— Pour un garçon, tu n’as pas très bonne mémoire. Il s’appelle Hermann von Keyserling… Fastoche !

— Bon ça va… D’ailleurs, le monde c’est bien plus que la terre n’est-ce pas ? Il y a la mer, le ciel, les étoiles, l’infiniment grand, l’infiniment petit… l’Univers ou même les Univers…

— L’uni-vert, l’Uni-bleu ou l’Uni-jaune ?

— Encore tes jeux de mots idiots. On a fait le tour de… la question. On dort maintenant. Demain on se lève tôt pour guetter notre amie astronome. Tu te souviens ? Elle a beaucoup de réponses pour nous.

— Et même qu’elle a une idée. Je me demande ce qu’elle a voulu dire.

— DORS !

[à suivre]

 

Dis monsieur ? (épisode 8)

Le lendemain, les deux enfants se relayèrent toute la journée dans le parc dans l’espoir de revoir la gentille astronome qui avait encore tant de réponses à leur donner. Le soleil commençait à allumer le couchant de son incandescence quand enfin, à contre-jour, un mouvement se fit au bout de l’allée de l’observatoire. Frétillante et messagère de bon augure, la petite chienne folâtre se précipita dans les jambes de Sophie, manquant la renverser. Sa maîtresse n’allait pas tarder à apparaître.

 Le temps passa mais elle ne parut pas.

Il faisait déjà nuit lorsque des pas hésitants crissèrent sur le gravier. Deux notes répétées d’un appel sifflé puis une voix masculine : « Stella ? Où es-tu ? Viens ici coquine ! » L’animal ne bougeant pas des bras de la gamine où elle s’était réfugiée, l’homme s’approcha. Ils reconnurent le Beau monsieur. Sophie l’interpella :

— Monsieur, dis monsieur, Uranie n’est pas là ?

— Hélas petite, elle ne viendra pas ce soir.

— Mais elle sera là demain ? s’inquiéta Nicolas.

— Malheureusement non. Ni demain ni après. Elle ne viendra plus.

Double silence de détresse. Puis Sophie commença à pleurer :

— Mais elle nous avait dit…

— Je sais les enfants, je sais… Elle a dû partir précipitamment cette nuit et regrette de ne pas vous avoir dit au revoir. Mais elle m’a chargé d’une mission.

D’abord, vous inviter dans la coupole pour regarder le ciel au travers de la lunette astronomique. Et surtout elle m’a fait promettre de répondre à toutes vos questions. Toutes. Quoi qu’il m’en coûte…

— Mais pourquoi elle a dû partir ? Et où est-elle allée ?

— Lors de son observation nocturne, elle a appris la fin proche de son aïeule * et a pensé que sa place était à ses côtés avec ses sœurs.

— Et elle habite si loin que ça cette mémé ? Loin comment ? Comme en Amérique ?

— Beaucoup plus loin…

— Comme en Chine alors ? L’astronome secoue la tête.

— Pas aussi loin que la Lune quand même ?

— Vous êtes encore loin du compte… plusieurs millions de milliards de kilomètres. Tellement, qu’on ne compte plus en kilomètres mais en années-lumière… 643 environ. Vous comprendrez mieux plus tard.

— Tu rigoles ? ricana la gamine. Des « ânes élus » quoi ? Et qui savent compter ? Le garçon la foudroie.

— Sophie c’est pas le moment de s’amuser. Il y a cinq minutes tu pleurais et là tu dis des bêtises — Il lui tourna le dos et reprit son questionnement — Mais monsieur, on ne peut pas voyager si loin. Aucun humain n’a pu…

— Les hommes non, du moins pas encore. Mais Uranie, oui.

— Parce que c’est une fille ! claironna Sophie.

— Ah non. Juste parce que c’est une Étoile !

— Une danseuse étoile ? Je m’en doutais, jubila la fillette en faisant une double toupie sur place et rattrapant in extremis la pauvre chienne tout étourdie.

— Pas une danseuse non, une vraie Étoile. La septième Pléiade… changée en étoile comme ses sœurs, pour punir son père, Atlas d’avoir tenté de percer les secrets des Dieux.

— Quelle histoire abracadabra ! On n’est pas obligés de te croire, dis monsieur.

— Bien sûr que non, on n’est jamais obligé de croire, mais quand l’histoire est plus belle que la réalité, pourquoi ne pas la croire ? Pour terminer, je dois poser une question à mon tour. À toi Sophie, de la part d’Uranie. Elle ne pouvait pas amener Stella avec elle. Dans le ciel tu comprends, le Berger l’aurait peut-être réquisitionnée pour garder son troupeau stellaire, et puis ça aurait fait des embrouilles avec la Grande et la Petite Ourse… Alors la belle Dame comme vous dîtes, a pensé que sa petite chienne serait beaucoup mieux avec toi puisque vous avez l’air de bien vous entendre toutes les deux. Tu es d’accord pour la garder ?

Cabrioles, léchouilles, câlins et cris de joie. Lumineuse, la réponse !

Nicolas réfléchissait. Une question le tenaillait encore :

— Dis monsieur, beau monsieur, pourquoi une Étoile, Uranie, serait-elle venue sur terre ? Dans quel but ?

— Ça mon petit, ce n’est pas une question difficile :

Juste pour voir de l’autre côté !

FIN

 

*Bételgeuse

 

Épilogue

 

Les larmes de la nuit

Tout le Ciel a versé

Les larmes de sa nuit

En gouttes argentées

Des tristes turpitudes de notre humanité

Le Ciel aurait eu vent ?

Il y aurait raison – ô combien – de pleurer

Même pour des étoiles là-haut au firmament

Mais dans l’immensité qu’est-ce donc que l’humain ?

 

   
Cette nuit a pleuré

Les larmes de son Ciel

En sa lente agonie la rouge Bételgeuse

Enflamme la tristesse des astres de la nuit

De Rigel à Vega

Des Pléiades à Orion

Qui en sa nébuleuse

Sangle son baudrier

Retenant ses sanglots.

 

   
Sous les yeux de ses sœurs

La géante est mourante.

Brûlée au fond du cœur elle n’était pas si vieille

Juste huit millions d’ans

Ses étoiles la veillent jusqu’au petit matin

Puis toutes elles s’éteignent filant vers l’endemain

Émanées du vallon, des dentelles de brume

À l’aurore ont séché les larmes attardées

Effaçant de la nuit les traces de chagrin

Consolant les souffrants pardonnant aux humains

Le Ciel a épuisé les larmes de sa nuit

Le Soleil a jailli derrière le moulin

message d’Uranie (muse des astronomes)

Illustration : Uranie, muse de l'Astronomie - École italienne du XVIIIe siècle, attribué à Francesco Trevisani (1656 - 1746)

 

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Commentaires

plume bernache
Uranie

 Je suis heureuse,Garance, que tu aies lu ma nouvelle avec plaisir .Il se trouve qu'au moment opportun j'ai rencontré plusieurs articles(Sciences et avenir)

sur Bételgeuse, une étoile géante rouge en fin de vie, et puis Uranie, la muse des astronomes est arrivée par un tableau que je vais essayer de t'envoyer ( ou au moins le lien )Quant à Sophie et Nicolas, j'ai sous la main(ou le cœur…)suffisamment de références bien vivantes !)Voilà tu sauras tout.

 

Mais au fait, et ta petite violoniste? J'espère qu'elle est en attente quelque part et n'attend qu'une occasion de réapparaître dans ton imagination.

Garance
Quelle merveille cette Uranie

Quelle merveille cette Uranie  astronome / étoile !

" Luxuriante chevelure lune rousse éparpillée sur des épaules d'aurore.

Une cape d'azur satiné recouvrant une robe blonde aux nuances perlées "

 

À la re-re-re -lecture de ce magnifique texte j'en suis encore sous le charme...

" Quand l'histoire est plus belle que la réalité, pourquoi ne pas la croire?"

Et Stella l'adorable boule de poils blancs " Le Berger l'aurait peut-être réquisitionnée pour garder son troupeau stellaire, et puis ça aurait fait des embrouilles avec la Grande et la Petite Ourse"

 

Du rêve, de la réflexion , de l'humour, tout y est...

 

C'est magnifique, merci Plume , quel talent,  j'ai passé un délicieux moment...

cfer
Dis monsieur.

Des jeux de mots...de nouvelles pistes de lectures philosophiques...un bon terreau pour grandir en sagesse.

j'ai retenu d'Hermann VON KEYSERLING la citation suivante:

"les français sont le peuple européen civilisé par excellence."

(Mais il n'était pas de ce siècle !)

luluberlu
Portrait de luluberlu
— Dis monsieur ? Qu’est-ce

— Dis monsieur ? Qu’est-ce que c’est un sans-faute ?

— Si tu veux le savoir, relis cette nouvelle !wink

 

(À suivre…)

cfer
Dis monsieur?

Une bien jolie nouvelle où la poésie le dispute à l'humour.

Des trouvailles réjouissantes dans un petit monde féérique !

J'attends la suite avec impatience.

luluberlu
Portrait de luluberlu
2 choses essentielles au

2 choses essentielles au feuilleton :

 

1° susciter l’envie d’une suite pour le lecteur.

2° donner à l’écrivain l’envie d’en écrire une.

 

Pour le premier point, c’est réussi, chaque fin d’épisode laissant le récit en suspension. (Dans le sens de :  « RHÉT.,, Figure qui consiste à piquer la curiosité de l’auditeur ou du lecteur, à lui faire pressentir une chose dont on retarde ensuite l’énoncé, afin de mieux combler son attente ou de surprendre davantage “[Morier 1961] ».

 

Pour le deuxième, il semble également que oui.laugh

 

plume bernache
sources

 

 Sources pour le 4ème épisode, ce poème d'un vieux poète farceur, réédité pendant le confinement(le 1er!!!)

 

 

Je me demande dans quel lit

se couche le soleil,

je me demande où les nuits

passent leurs journées.

Je me demande pourquoi

la nuit tombe,

pourquoi le soleil se lève,

je me demande aussi

s’il y a encore des étoiles

 derrière les nuages.

Je me demande enfin

si le soleil toujours lui,

aimerait avoir une ombre.

( poème d’un éternel gamin de 81ans. PEF (Pierre Elie Ferrier)

luluberlu
Portrait de luluberlu
J’adore… les sophismes de

J’adore… les sophismes de Sophie ! À faire des ronds dans l’eau, la tête ne peut que vous tournebouler. Heureusement, Nico est là qui sait faire un roulé-boulé (viril) ! Poétique à souhait ! On nage en plein surréalisme.

plume bernache
Petit prince

 

 C'est d'un autre Petit prince qu'il s'agit. Sans doute un cousin lointain…

Qui pose beaucoup de questions embarrassantes aux adultes.

Mais tous les enfants ne sont-ils pas des "Petit prince" ?

luluberlu
Portrait de luluberlu
  L'astéroïde B-612 au parc à

 

L'astéroïde B-612 au parc à thème français à Hakone, Japon.

 

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