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Tableau : Arlequin et Pierrot

musique : Musique pour Arlequin et Pierrot d'André Derain

 

  Alice était en visite au musée avec toute sa famille. Cela ne l’enchantait guère, mais c’était ainsi après les repas qui fêtaient, elle ne savait plus quoi… De toute façon, elle détestait ces repas familiaux et l’après-midi qui s’en suivait…

  Aujourd’hui, au menu, c’était donc visite au musée. L’adolescente traînait un peu les pieds et trouvait tout tellement moche. Le temps s’étirait comme de la glue… Que n’aurait-elle donné pour s’évader ?

  C’est alors que son regard fut soudain attiré par un tableau où l’on apercevait un arlequin en compagnie d’un pierrot. Intriguée, curieuse, il lui sembla entendre faiblement résonner la mandoline et la guitare dont jouaient les deux acolytes. Bizarre pensa-t-elle… bizarre… bizarre…

  Alors elle s’approcha. S’approcha. Mais voilà, quand on s’approche trop des choses ou des gens, on peut se laisser entraîner malgré soi dans de surprenantes aventures… Elle ne rêvait pas. Elle était tout près maintenant et elle entendait distinctement le son des instruments de musique. Elle finit par trébucher sur un violon laissé par terre à côté d’une cruche.

— Ah pardon, fit Alice, excusez-moi, mais…

  Elle se retourna et aperçut la salle du musée à travers le cadre du tableau. Elle était donc entrée dans le tableau… Quelle aventure !

— Euh… bonjour, fit-elle, je ne voulais pas vous déranger…

  Les deux artistes firent un signe de la tête pour lui rendre son salut tout en continuant leur petite rengaine. Alice ne savait trop quoi dire et ne voulait pas les interrompre impoliment. Toutefois, n’y tenant plus :

— Vous êtes là depuis longtemps ?

  Et la conversation s’engagea. Tantôt l’un, tantôt l’autre s’interrompait pour répondre.

— Depuis… si je me souviens bien… 1924.

  Mais c’est du temps de… mon arrière grand-mère pensa Alice. Quand le mystère est trop grand il n’est plus question de logique.

— Et oui, ma petite demoiselle, le temps passe… enfin… S’il existe…

— Mais pourquoi restez-vous enfermés là-dedans ?

— Pour divertir le monde, ma petite demoiselle…

— Mais tout de même, vous pourriez faire aussi autre chose, non ?

— Le plus important est de se divertir. Ici on fait la fête.

— Et la vie, ça n’est pas plus important ?

— La vie n’est qu’illusion. Elle n’est pas supportable sans le divertissement…

— Ah oui ? mais pourquoi avez-vous l’air si triste si c’est une fête ?

— Nos déguisements ne sont pas tristes… c’est la vie…

— Quoi la vie ? Alice commençait à être énervée face à ces deux malheureux qui voulaient paraître joyeux et qui commençaient à lui donner carrément envie de pleurer. Pourquoi faites-vous semblant, continua-t-elle, pourquoi continuez-vous à jouer cette comédie au lieu de vivre dans une vraie vie ?

— La vie aussi n’est qu’une vaste comédie, ma petite demoiselle, où chacun a son rôle à jouer… La commedia dell’arte…

— Ce n’est pas vrai, se rebiffa Alice, la vie est vraie et je ne joue aucun rôle.

— Vous jouez le rôle d’Alice, et pour l’instant vous le faites assez bien. Vos répliques sont peut-être un peu trop impulsives… mais c’est de votre âge…

— Arrêtez, je n’habite pas dans un théâtre ! Et là, Alice se dit que, quelquefois, elle aurait bien aimé ne vivre certains moments que le temps d’une représentation ( les repas de famille, par exemple. ).

— Bien pire que ça, rajouta l’arlequin, « la vie n’est qu’une horrible répétition d’une représentation qui n’aura jamais lieu ».

— Ah non, dit Alice qui en avait vraiment assez, je ne veux pas de ce divertissement qui empêche de vivre. Et que faites-vous quand votre numéro est terminé ?

— Nous ne pouvons faire autrement que d’en recommencer un autre, si nous voulons continuer à vivre…

— Non, cria Alice, je ne veux pas de cette vie-là. Vous n’êtes que des prisonniers de vous-même. Vous n’êtes même pas drôles. Vous êtes même ridicules dans vos costumes. Vous, l’arlequin tout bariolé de couleurs. Et vous, pierrot lunaire, votre pyjama est grotesque. Il n’y a que votre petite larme à l’œil de sincère dans toute cette comédie. Moi, je veux une vraie vie, sans déguisements, sans mensonges, sans divertissements stupides. Laissez-moi partir cria-t-elle, hors d’elle, en reculant et en trébuchant de nouveau sur le malheureux violon qui traînait par terre.

  Elle tomba et se retrouva sur le tapis, au pied du tableau où les deux incarcérés avaient repris leur position initiale.

  Tout le monde se retourna, et sa mère demanda :

— Mais que s’est-il passé ?

— J’ai trébuché sur un violon, voilà !

— Cette enfant est folle, ajouta la tante qui ne supportait pas que l’on fasse du bruit dans un musée, il faut toujours qu’elle dérange tout le monde. Quel manque de politesse ! Mais tu sais, la vie se chargera de le lui apprendre.

— Oui, c’est inquiétant, elle a beaucoup d’imagination… Elle sort souvent du cadre…

   

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Commentaires

olala
Rencontre inattendue

Rentrer dans le cadre ? Y rester ? En sortir ? Qu'est-ce qu'il vaut mieux ? La vie se chargera bien de te l'apprendre petite Alice, la vie qui s'apprend et apprend !

luluberlu
Portrait de luluberlu
« Elle tomba et se retrouva

« Elle tomba et se retrouva sur le tapis, au pied du tableau où les deux incarcérés avaient repris leur position initiale. »

Et paf ! un tour Derain !

On retrouve les thèmes chers à l'auteure. Pas sûr qu'Alice ait raison à propos de la vie.

J'ai bien aimé la chute.

 

plume bernache
sortir du cadre

 

 Elle a beaucoup d'imagination cette petite Ann…pardon, Alice !

 Et de la jugeotte aussi.

 Pourquoi ne pas vivre une vraie vie plutôt que cette comédie qui les rend tristes ?

 

 

 

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