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Contrainte (les exos de l'atelier): un texte, forme indifférente, sur une musique de : Melanie De Biasio - Your Freedom Is The End Of Me

Six heures, au petit jour frisquet, Mélanie sort son vieux vélo de la remise et la voilà partie pour l’usine.

Elle pédale sur la petite route blanche qu’elle connaît par cœur. Chaque jour depuis ses quatorze ans, elle descend la pente douce jusqu’à la chapelle, passe sur le pont de pierre longe le bois contourne la ferme des Baradis, traverse les vergers de pruniers, accélère sur la longue ligne droite.

À six heures heures quarante-cinq elle stoppe devant la grille surmontée de l’enseigne en fer forgé PRUNODOUX. De la vapeur s’échappe de la sécherie, se mêlant à la brume bleue du petit matin.

Dans le vestiaire elle enfile sa blouse grise, emprisonne son abondante chevelure dans la charlotte de plastique verdâtre, vérifie qu’aucune mèche ne s’échappe, pour éviter un nouvel avertissement de Gorgot le contremaître. Dans le hall, elle s’avance vers le guichet et lui tend sa carte de présence, sans oublier le bonjour réglementaire. Elle est parfaitement à l’heure. Ni une minute de retard ni une d’avance. Son temps est trop précieux pour qu’elle en gaspille la moindre miette. Passage aux lavabos obligatoire, lavage des mains avec ce désinfectant à l’odeur irritante et lacrymogène, enfin ajustage des gants plastiques qui lui donnent des démangeaisons insupportables mais qu’elle doit pourtant supporter.

Elle s’installe à son poste sur la ligne de chaîne, entre Josefa et Dolorès. Elles ont juste le temps d’échanger un « ça va? » et un sourire mais le grincement de la machine qui se met en route empêche toujours d’entendre la réponse qui de toute façon est toujours la même, faute d’envie et de temps pour en dire plus. L’odeur d’engrenages graissés à chaud se mêle aux effluves écœurants des prunes bousculées.

Le distributeur de fruits rythme les gestes de la jeune fille : « cring- plouc » elle ensache-elle clôt, pousse vers l’étiqueteuse qui « splash— schuitt » lisse colle. « Cring- plouc-splash-schuitt » dix heures par jour. Demie pause cinq minutes toutes les deux heures, arrêt de trente minutes à la mi-journée. Le temps d’avaler un sandwiche croquer une pomme.

Cette rengaine mécanique commande ses yeux ses bras son souffle. Seules ses pensées voguent dans un espace fluide indéfini. Pas question de laisser l’usine absorber son cerveau. Entièrement habité par le souvenir de la dernière soirée avec Joseph. Deux mois déjà qu’il est parti. Quand reviendra-t-il ? Reviendra-t-il ?

Enfin la chaîne arrête son flux, Mélanie bâille, étire ses bras les secoue pour s’assurer qu’ils sont encore de chair et de sang, elle déploie ses jambes de plomb. À pas saccadés mais de plus en plus souples, elle s’approche de la sortie. Gants extirpés douloureusement et sans regret jetés à la poubelle, crinière enfin libérée, elle secoue la tête, s’ébroue. Elle suspend sa blouse et ferme le placard métallique. Le cliquetis des portes compose un allegretto quotidien dont se délectent les ouvrières à la fin de leur journée. Vite la carte de sortie le bonsoir calibré servi au contremaître et la grande grille s’ouvre devant le flot de travailleurs pressés de rentrer chez eux.

Mélanie enfourche sa bicyclette, elle fonce sur le chemin du retour. Cheveux au vent comme un drapeau victorieux, elle hume l’air frais parfumé de nature. Elle se laisse bercer par le ronron régulier de la dynamo. Dans la lueur rouge du phare cyclope elle savoure le temps présent. Elle se sent libre de corps et d’âme.

Au détour du bois elle aperçoit sur la colline une petite lumière. Celle de sa maisonnette. Son cœur alors se met à danser le chabada : Joseph est revenu, il a allumé la lampe du perron et sans doute a-t-il fait du feu dans la cheminée car déjà elle hume l’odeur de la fumée portée par le vent du nord. Mélanie debout sur les pédales gravit l’ultime pente vers son logis, impatiente de se jeter dans les bras de son homme.

 

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Commentaires

olala
Mélanie

Un texte parfaitement en accord avec la musique de Mélanie : travail à la chaîne mécanique, répétitif, les mêmes gestes indéfiniment, à longueur de journée, à longueur de semaine, d'année, de vie... Une échappatoire heureusement : la liberté de la pensée et le retour le soir vers la chaleur et la douceur, une échappatoire que, contrairement à moi, tu as réussi à placer dans ce joli texte. Une véritable prouesse pour moi à l'écoute de la musique !

 

plume bernache
   Mer-schuitt. Euh

 

 Mer-schuitt. Euh merci.

 

Pourrais-je remplacer "elle ensache son abondante chevelure" par "elle emprisonne son abondante chevelure" pour éviter la répétition quelques lignes plus bas…(J'avais pourtant relu et re relu)

luluberlu
Portrait de luluberlu
Scotché par la musique et le

Scotché par la musique et le texte : « splash— schuitt » ! yesbig_grin

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