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Si on m’avait dit...

 

Si pour mes cinquante-cinq ans, on m’avait dit que je ne mourrais jamais...

 

J’en suis à cent trente-deux et je pète la forme... Enfin, physiquement... Enfin presque. Mes chevilles ont tendance à ne plus se rappeler ce pour quoi elles sont faites, et ça fait deux fois en deux jours que j’embrasse le sol. Violemment.

 

J’aime pas trop.

 

Mon œil droit aussi me joue des tours. Il s’éteint, il se rallume, il s’éteint, il se rallume...

 

Les toubibs vont pas tarder à me convoquer, simples réglages !

Ils ont fait d’énormes progrès ceux-là, tiens...

 

Enfin, faut voir...

 

Rien ne leur échappe, aux toubibs.

Rien...

 

C’est facile, on est tous reliés.

 

En vrai, j’ai pas envie...

J’ai pas du tout envie d’y aller à leur bon Dieu de réglages. Mais si j’y vais pas, c’est eux qui vont s’amener...

 

J’ai déjà donné.

 

Mon Cub, c’est chez moi, c’est le seul espace de liberté qu’ils nous ont laissé. Même si c’est pas très grand, pas question qu’ils y remettent les pieds comme la dernière fois.

Va quand même bien falloir faire quelque chose pour mes chevilles... Et mon œil, hein ?

 

À part ça, ça va...

 

Bon, d’accord, moralement c’est pas terrible... Pas terrible du tout.

J’ai juste un peu envie de mourir de temps en temps, juste un peu quoi. C’est long cent trente-deux années.

 

Ouh là ! Je vais y avoir droit à ma convoc !

Ils vont me faire la totale là !

 

M’étonne même que Le Chef n’ait pas déjà bourdonné. L’ont direct inséré sous la peau du crâne et c’est relié à un morceau du cerveau. C’est tout petit.

C’est Le Chef.

On peut pas l’éteindre. Jamais.

 

On est tous reliés. Pour le meilleur et pour le pire.

 

Ouais, si à l’époque de mes cinquante-cinq balais on m’avait raconté l’avenir, mon avenir...

 

C’est arrivé en 2018. Octobre 2018, à partir du 21 pour être précis !

Oh, il n’y a rien eu de très violent, genre grosse guerre nucléaire, chutes de météorites géantes ou encore épidémie planétaire. Non... Rien de tout ça.

Il n’y a pas eu non plus d’attaque d’extra-terrestres ! Ah ah ah, non !

 

Ce fut beaucoup plus simple.

 

Les banques.

Ce sont les banques qui ont foutu le bordel.

Ça nous pendait au nez.

 

Une grosse a merdé. Je sais plus laquelle exactement. Tout le système s’est écroulé. Pareil qu’avec les dominos qu’on aligne.

 

Sur le coup, plus rien fonctionnait.

 

Non, pas de guerres, pas d’épidémies, mais trois milliards d’êtres humains ont payé de leur vie les magouilles de ces foutus brasseurs de fric... Ouais, trois milliards et des brouettes.

 

Je compte pas les animaux...

 

Pour une fois, ce sont les pays riches qui ont payé le plus lourd tribut. Trop habitués à ce que tout nous tombe dans l’assiette, trop habitués à ouvrir le robinet pour que l’eau coule à flots !

 

En trois mois, trois milliards.

Ça a fait un sacré trou...

Surtout pour ceux qui ont dû creuser ! Oui bon, c’est pas drôle.

 

Il n’y avait vraiment plus rien qui fonctionnait.

 

Ceux qui vivaient encore à ce moment-là étaient persuadés que l’hécatombe allait continuer de plus belle, genre chacun pour soi et que je tue mon prochain pour un radis rachitique ou pour un demi-verre d’essence.

Mais miracle ! Un peu partout sur la planète des gens, des gens du peuple, des gens humains, se sont regroupés par dizaines, par centaines, par milliers, des échanges ont eu lieu, des décisions efficaces ont été prises, des conseillers ont été élus. Après maints déboires, les communications ont été rétablies et chaque communauté fut reliée aux autres.

 

Ouais, ouais, on a très vite tous été reliés.

 

Rassurée, dirigée, stimulée, chaque personne a repris le chemin de son ancien travail.

 

Les conseillers veillaient.

 

En moins de deux ans, tout fonctionnait de nouveau. Tout sauf les banques, fini le règne du pognon ! C’était toujours ça de gagné.

 

Plus de frontières non plus.

 

À ce moment-là de l’histoire, on en était quand même à cinq milliards et demi de morts.

 

Je me rappelle bien du chiffre.

 

Dans le tas, il y a eu une petite place pour ma famille... ils y sont tous passés...

 

J’ai rien pu faire...

 

C’est comme ça...

 

Où j’en étais moi ?... Ah oui, le fric ! Eh ben, plus de fric, plus de barrière. C’est là qu’on s’est aperçu que loin d’être un moteur, l’argent-roi avait de tout temps été un frein. À mourir de rire, hein ?

 

Oui, je sais... pas drôle... pas drôle du tout...

 

Dans tous les domaines, les sciences ont fait un bond spectaculaire. D’ailleurs, ce ne fut pas un bond, ce fut une avancée fulgurante sans fin. Mais attention ! Tout ça sous le sévère contrôle des conseillers, fallait pas recommencer les bêtises du passé.

 

Des vrais pères pour nous, les conseillers.

 

Oui... Des vrais pères...

 

Ils se sont occupés de tout et de tout le monde. De là, on les a affectueusement appelés : les toubibs.

 

Les toubibs... ça sonnait bien...

 

LA grande découverte, ça a été de tous nous relier. Tous les cerveaux de tous les humains furent reliés par les merveilles du progrès.

Au début c’était bien, vraiment bien. On pouvait communiquer avec qui on voulait et quand on voulait d’un bout à l’autre de la planète. On pouvait faire tout plein de choses avec ce système. Ça nous a beaucoup apporté, beaucoup.

 

C’est de là que quelqu’un a surnommé le bidule qu’on avait mis sous la peau du crâne : Le Chef !

 

Et puis... et puis petit à petit, ils s’en sont servi pour nous surveiller, nos gentils toubibs.

 

Et puis... et puis petit à petit, ils ont fini par tout contrôler. Ils ont fini par nous contrôler. C’est dommage car on... Merde ! Ça bourdonne ! Ils vont... Eh ! Faites comme chez vous ! Eh.........................................................................................

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En rangeant le fond de mon Cub où régnait un tas de vieilleries, ben j’ai retrouvé un enregistrement vocal...

 

Mon journal.

 

Je l’avais complètement oublié.

 

Je l’ai écouté.

Ça m’a remué.

 

Faut dire que là, j’attaque ma cent quatre-vingt-douzième année, eh oui !

 

Toujours en pleine forme et toujours relié, ça n’a pas changé.

 

Ça a juste été perfectionné...

 

Oui, mais bon, pour en revenir à mon journal, le trou est trop gros, il s’est passé trop de temps, trop de choses. J’ai pas le courage de tout raconter...

 

Et ces souvenirs... ma famille...

 

J’ai du mal à croire que le passé ait existé.

 

Merde... Comment j’ai pu délaisser aussi longtemps mon journal ?

On dirait qu’il était comme enfoui, oublié...

 

Ou effacé ?

 

Vu les derniers mots que j’y ai lancés, les toubibs ont dû débarquer, c’est cousu. Et pis hop ! Un petit réglage ! Pour le bien commun, pour mon bien.

C’est toujours d’actualité d’ailleurs, c’est toujours les mêmes d’ailleurs, les toubibs...

 

Oui, un petit réglage et hop ! La vie en rose !

 

Mouais... En tout cas, ils ont fini par prendre un pouvoir absolu sur toute chose, sur tout être vivant.

 

C’était inévitable, je pense...

 

...

 

Bon sang ! Qu’est-ce qu’on est devenu ? Qu’est devenue l’humanité ?

 

Ma famille...

 

Cent quatre-vingt-douze années... C’est long. Oui bordel de merde ! C’est long ! C’est bien trop long !

 

... Mourir...

 

... Je me rappelle... Voilà ce à quoi on était destiné dans ma jeunesse.

 

Oui... Ne plus vivre... Mourir... Ne plus exister, ça doit vraiment être... OH ?!... Eh ! C’est mon Cub ici ! EH ! Vous n’avez pas..........................................................................................................................................................................

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Commentaires

pifouone
Bonsoir Plume. D'accord pour

Bonsoir Plume. D'accord pour le "couvre chef" anti contrôle, on est jamais trop prudent. Je brevète et on partage les bénéfices (enfin, on va voir hein...).

Didier.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Le bonheur est présenté non

Le bonheur est présenté non seulement comme une promesse pour surmonter sa souffrance, mais aussi de voir ses expériences comme des opportunités pour se renforcer. Le culte du bonheur créé de nouvelles hiérarchies émotionnelles où ceux qui râlent, ceux qui sont en colère, sont « pathologisés », vus comme des gens dont il faudrait se débarrasser. Donc, quoi de mieux qu’un petit implant Facebook pour être tous reliés, surveillés, « bonheurifiés ».

 

La technologie au service (sévice) de la dictature du mental. Ça commence par un iPhone et puis on parle d’homme augmenté (un bon implant et hop !) ou transhumanisme.

 

Volilà un sujet qui m’a toujours fasciné. Il n’est certes pas nouveau, il n’y a qu’à relire les auteurs de SF (les antiques) comme Ray Bradbury, Philip K. Dick ou Isaac Asimov (et bien d’autres).

 

Bravo !

plume bernache
toubibs

 

 Patience (on n'est plus à quelques années près) bientôt il n'y aura plus de toubib pour faire les réglages. Ça ira peut-être mieux…ou pas!

Et si on inventait un super "Couvre Chef"permettant d'échapper à tout contrôle ?

Allez, à cent quatre vingt douze ans on peut encore rêver non?

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