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Un texte inspiré par une émission de France Culture - Série : la E.ghost company - synopsis de Sedef Ecer
                                       

Quand il arriva dans le « grand jardin d’où l’on ne revient pas », Georges se sentit empli de ravissement et de sérénité. Tout était si beau, si calme… Le moutonnement des nuages lui rappelait son troupeau sur les sommets de l’Aspin. Une musique aérienne de harpe et de flûte, issue des alto-stratus remplaçait agréablement les vociférations qu’il avait l’habitude d’entendre du matin au soir :

« Allez paresseux, va t’occuper des bêtes… Il est temps de changer la paillade… et tu as vu la clôture du pré d’en haut, qu’est-ce que tu attends pour la réparer ? Les foins, tu crois qu’ils vont se couper tout seuls ? Ah si ton pauvre père te voyait ! Toujours à taper sur ton maudit ordinateur et tac tac tac tac tac… toute la sainte journée et souvent la nuit ! De quoi on va vivre si j’ai pas mes fromages à vendre au marché d’Aspet samedi hein ? Tu vas finir par nous mettre sur la paille. Si c’est pas malheureux ! »

S’il avait su, il y a longtemps qu’il aurait poussé la porte de ce jardin paradisiaque. Il n’avait pas eu besoin. Quelqu’un l’avait ouverte pour lui. Sa soupe du soir lui avait bien paru un peu suspecte. Il avait pensé que sa mère avait utilisé du lard rance et essayé d’en masquer le goût en forçant sur la gousse d’ail. Mais il avait faim et avait fini son assiettée jusqu’à la dernière goutte pendant que sa mère, prétextant une indisposition, n’en avait avalé la moindre cuillerée. Se sentant un peu bizarre, il était allé se coucher mais bientôt des crampes d’estomac l’avaient plié en deux. Pour le soulager, sa mère lui avait donné treize grains d’hellébore. Il avait sombré assez vite dans un état cotonneux et s’était senti voguer dans les nuages bien au-dessus des pâturages.

Là-haut, un grand type maigre comme une rapiette l’avait abordé :

— Et alors, le voyage t’a plu ?

— Ben… je me suis pas rendu compte de grand-chose. Mais je suis où, là ?

— Où exactement, difficile à dire, mais ce qui est sûr, c’est que tu es mort.

— Mort ?

— Tout ce qu’il y a de plus mort. Mais ne t’inquiète pas, tu n’es pas seul…

— Ben, ça ne me rassure pas vraiment. Des fois c’est mieux d’être seul. Mais qui êtes-vous ?

— Je suis le concierge de la « E.ghost company ». Et je te connais déjà un peu.

— Mais moi je ne vous ai jamais vu… et votre « compagnie chépaquoi » c’est pour me fourguer des assurances-vie je parie ? J’en veux pas. Et puis de toute manière c’est trop tard, ch’uis mort !

— Tu es un familier de l’informatique, non ?

— Ben je vois pas ce que ça peut vous faire, mais oui, plus ou moins… il faut bien que je me tienne au courant des nouveautés en matière d’agriculture et d’élevage. Et puis dans mes montagnes, y’a pas toujours quelqu’un à qui causer, alors sur YouTube, face book, j’ai quelques amis. Je vois pas où est le mal.

— Bon. Moi, je te propose de « nettoyer » les traces que tu voudrais effacer de ta vie électronique. Pense à ta réputation.

— Pourquoi ? Ma réputation, j’en ai rien à…

— Réfléchis bien mon gars. Bien des gens regrettent pendant toute leur mort d’avoir quitté la vie sur un malentendu. Tu es encore jeune, et tu sais, l’éternité c’est déjà long pour les vieux, alors pour les jeunots… et l’homme éclata de rire.

Georges répondit en citant une phrase de… de qui déjà ? « Oui, l’Éternité, c’est long, surtout vers la fin… »

Retrouvant son sérieux, il pensa à sa mère Framboise. Aux reproches qu’elle lui faisait sans essayer de comprendre que lui, Georges, il n’avait pas envie de mener la même vie que son père. Il voulait bien rester à la ferme, oh ça oui, mais il rêvait d’avoir un grand troupeau avec une grange moderne, correctement équipée pour la traite, un laboratoire de fabrication du fromage qui permettrait d’élargir le marché bien au-delà d’Aspet. Il s’était beaucoup renseigné sur internet, avait simulé plusieurs aménagements. Il entrevoyait un avenir possible. Il envisageait de fonder une famille avec la Jeannette qui s’occuperait de la fromagerie avec la mère. Mais celle-ci ne voulait pas en entendre parler « Cette fille, disait-elle, n’a rien à t’apporter. Elle n’a pas de « biens » c’est une petite de «  l’Assistance » et elle n’a pas de santé alors pour la ferme, ça vaut rien du tout. »  Georges avait envie d’étrangler sa mère en entendant ces propos car la petite Jeannette, il l’aimait plus que tout et si sa mère avait su que certains soirs où elle le croyait à jouer sur sa « machine du diable » lui, il était au septième ciel dans les bras de Jeannette…

Cependant, il espérait toujours que le temps arrangerait les choses entre sa mère et lui. Car il savait qu’elle n’était pas si mauvaise femme. Après la mort de Gaston son mari – foudroyé sur la charrette de foin un soir de juin où il voulait coûte que coûte rentrer le foin avant la pluie – elle avait tant trimé pour maintenir la ferme en état que rien d’autre n’était plus important à ses yeux.

Bien des longueurs de temps plus tard, l’homme de la « E.ghost Company » aborda Georges. Il semblait très excité ce qui n’était pas du tout dans sa nature :

— Georges, Georges ? cria-t-il. Viens vite ! Ta mère vient d’arriver.

— Mais on a le temps, elle est là pour longt…

— Non justement. Elle est en train de repartir. Elle file droit au Purgatoire. Donc si tu veux la voir, cours vite et rattrape-là.

Georges la rattrapa au moment où elle s’apprêtait à frapper à la porte du Purgatoire.
Elle fut tellement saisie qu’elle dévala sur les fesses toute une volée de marches. Est-ce cela qui lui remit les idées en place, ou la peur de ce qui l’attendait derrière la porte ?
Elle prit son fils dans ses bras et en pleurant le supplia de lui pardonner son geste fatal. Elle promit d’être à ses côtés la plus attentionnée des mères pour l’Éternité. »

Personne ne sait si Georges en fut heureux.

 

*avec l’autorisation de Barzoï à qui j’ai « emprunté » un personnage…

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Commentaires

Kapadouo (manquant)
Tu as aussi de l'imagination

Tu as aussi de l'imagination à revendre ! Bien sûr le texte n'est pas homogène, comme certains des miens, mais c'est le propre de tout bon chantier. Continue sur cette voie !

Manuella
Portrait de Manuella
C'est diabolique les plantes

C'est diabolique les plantes et aussi cetains fruits ! Notamment les framboises !

 

Super !

enlightened

barzoï (manquant)
E. Ghost company

Je me suis régalée, enchantée de connaitre Georges de plus près. Une accroche romancière immédiate. Bravo. Rebondissements garantis demain.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Aspet ! ayé ! je sais d’où

Aspet ! ayé ! je sais d’où viennent les fantômes.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Ah ça ! c'est ce qui

Ah ça ! c'est ce qui s'appelle avoir de la suite dans les idées ! c'est barjoï, non ? Reste plus que jeannette (et les vaches, ou les brebis, ou les chèvres). Va falloir agrandir les tables pour loger tout cette company. Sans compter qu'il en faudra des ordis... tac tac tac... Hop ! ratiboisée la Framboise.

Ça c'est une trouvaille : « Bien des gens regrettent pendant toute leur mort d’avoir quitté la vie sur un malentendu. »yes

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