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Version audio, lu par Gisèle : ICI

 

On oublie tout dans le bruit, on se souvient dans le silence. Et la vie peut commencer, se mettre en route : du temps, de la lumière, rien de plus. J’ai toujours été perméable au temps. Je suppose qu’il en va de même pour tout être humain. Seule la sensibilité diffère. Il m’a traversé comme une flèche ; sa pointe acérée a fendu ma chair sans même que je m’en aperçoive. Grand faucheur, maintenant il ressort en empruntant le même chemin. Et les années ont passé, parfois tortues, souvent lièvres. L’énergie, je l’ai trouvée de temps à autre dans le désir, plus souvent dans la langue et la soif d’écrire.

***

Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps*... Je t’ai observée ; lue et relue. Je me souviens, enfant, quand je te croisais, j’essayais de grappiller ton regard ; mais quand les enfants ne voient pas quelqu’un, c’est que tout espoir est perdu. Tu étais maigre à l’époque, même affublée de longues robes qui te donnaient un air fantomatique. Une brindille.

Puis, de proche, avec le temps je t’ai vue de loin. Tu souriais peu, des presque sourires de personne pas heureuse. Pas avec les yeux en tout cas. Longtemps, je me suis menti en me disant que je ne t’aimais pas. Je n’avais pas eu le temps d’en apprendre beaucoup sur ton compte de sorte que tu semblais un mystère que je croyais avoir rêvé. À force, j’ai réussi à me créer une vérité. Ça sert à ça aussi le mensonge, à se faire croire que ; mais c’était un monde en noir et blanc avec la vive lumière de l’extérieur et les ténèbres à l’intérieur. Cette vérité-là je ne l’aimais pas... Ce mensonge n’était pas sincère.

***

Le temps a bien des visages, la pendule ne mesure pas celui qui nous est intime, celui qui est l’incontestable durée de la vie. Ce jour-là, le ciel était d’un bleu insoutenable. On aurait dit qu’il avait passé l’été à amasser de la couleur. Le vent aussi avait forci ces derniers jours, comme s’il nous faisait une promesse d’automne un peu bougonne. J’errais dans les rues, regardant les groupes de baladins exécuter leurs prestigieux exercices, lorsque je vis ce miracle de finesse et d’achèvement s’approcher, les courbes de ces volutes qui, adolescent, m’émouvaient aux larmes, le sourire de celle qui sait qu’on ne peut décemment rien lui refuser ; je me suis forcé à rester immobile, à attendre et écouter simplement le temps qui battait lentement dans ma tête comme une réminiscence des vents et des tourmentes.

Voulant m’extraire à ce visage d’une époque révolue diluée parmi les ombres, mon regard a glissé doucement vers le sol. Jusqu’alors, seules comptaient les histoires enfouies qui, comme nos fantômes, s’amoncellent et forment la maison dans laquelle on s’enferme. Et moi, j’ai pensé qu’il faudrait bouger le moins possible, ne plus fabriquer du passé, ne plus empiler les souvenirs. Un papillon solitaire aux ailes soyeuses et tremblantes est venu se poser sur mon bras ; il a oscillé un moment, cueilli ma peine et l’a emportée au loin. La réponse a alors pris une couleur d’évidence.

Et puis, deux soupirs ; deux baisers ont suspendu les battements de mon cœur. Juste des murmures et la couleur des mots accrochés à l’instant... Un ballet. Pas uniquement une histoire d’attraction.

Je ne te nommerai pas ; à quoi bon chercher, les mots n’existent pas, il me faudrait les inventer.

 

* Flaubert

 

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Commentaires

barzoi (manquant)
Du coté ensoleillé de la route

Sur tes sages conseils, je suis allée voir les différents tons de bleu sur le Net et je me suis éclatée de rire. Touché, tu as raison le bleu peut être insoutenable j’adore ton texte.

barzoi (manquant)
Luluberlu tu me fait de

Luluberlu tu me fais de l'humour là. Le bleu est la seule couleur aux vertues calmantes. Comment cette couleur pourrait etre insoutenable? Tant qu'a faire de la poèsie, ramassons, ramassons de la couleur... Et le temps qui passe, on subodorre pareillement pour tout humain il n'y a pas forcément besoin d'ajouter "etre"et puis rien à voir avec les intelligences diverses et variées dont nous faisons partie intégrante peut-etre, cela me rappellle le sketch d'Elie Kakou sur l'attachée de presse qui revendique :" Je suis une etre humaine, moi".

J'adore Elie Kakou pour l'humour et la gentillesse.

Mais quel texte! On pinaille....

luluberlu
Portrait de luluberlu
@Barzoi : — Parmi les

@Barzoi :

— Parmi les intelligences sur terre, il n’y a pas que les êtres humains. J’écris « les » parce que nous ne savons pas définir ce que sont ces intelligences.

— « on aurait dit » parce que, comme chacun sait, le ciel ne peut ramasser de la couleur... sinon à faire preuve d’intelligence. cheeky

barzoi (manquant)
je ne te nommerai pas

Merci Luluberlu pour le partage de l’intime, c’est somptueux.

Je te relève ce qui pourrait peut-être t’intéresser :

-" Je suppose qu" il en va de même pour tout être humain". Dans ce cas de figure "être humain" ressemble à un tic de langage scolaire, " pour tous" n’aurait-il pas suffit ?

-" Grand faucheur il ressort par l’autre chemin", j’ai adorée, toute la réflexion et sa mise en place et il en va de même pour :

-" À force, j’ai réussi à me créer une vérité, ça sert aussi à ça le mensonge, ce mensonge n’était pas sincère".

Par contre pour le ciel d’un bleu insoutenable j’aurais plutôt formulé ainsi :

-" parce qu’il avait passé du temps à ramasser de la couleur", je n’aurais pas fait : "on aurait dit" d’autant plus que "on aurait dit" a l’air de faire pendant avec" une promesse d’automne", ça sonne comme une maladresse.

-" À écouter le temps qui battait lentement  à ma tête" :  c’est génialement dit et si universellement ressenti, et là danse le magnifique poème de l’intime  et de l’amour, du partage et du don, de l’ouverture à soi, à l’autre, aux autres...

brume
Portrait de brume
Hum..." :8) tu" est

Hum..." tu" est l'écriture :8)
* part se cacher*

luluberlu
Portrait de luluberlu
Eh bien, si je ne nomme le

Eh bien, si je ne nomme pas le « tu » c’est qu’il est évident. Non ? Manifestement pas, et je ne comprends pas pourquoi puisque « tu » c’est « elle ».yes

Ellipsoïdement votre. kiss

Christian.

 

PS. Sinon la phrase est claire (les nombreuses ellipses n'expriment rien dans le non-dit)... sauf qu'il n'y a pas d'ellipses (:((pour une fois).

brume
Portrait de brume
Hello Luluberlu

J'ai relu et non y a rien à faire je bloque.
Oui j'avoue que ma phrase "les nombreuses ellipses n'expriment rien dans le non-dit" semble assez paradoxal. Ce que je veux dire est quand on omet, ou passe sous silence un mot, une idée, un ressenti, c'est que justement il n'est pas nécessaire à la compréhension du lecteur. Mais ici pour moi ce "tu" est un élément primordial que vous ne nommez pas; mais bon les lecteurs du site ont eu un meilleur ressenti donc c'est peut-être moi qui ne suis pas réceptive.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Coucou Brume ! « Sincèrement

Coucou Brume ! « Sincèrement je suis dans le brouillard.

Quelque chose me bloque, peut-être suis-je trop dans l’intellect aujourd’hui. »

Et aujourd’hui, le brouillard s’est-il dissipé ??? Rien de tel que s’équiper d’ellipses pour décoller !

 

Merci et bises à toutes. Promis, je n’exprimerai plus jamais rien dans le non-dit (désolé Brume, ça m’a fait rire. J’ai l’esprit un peu facétieux ce matin.)give_rose.

brume
Portrait de brume
Bonjour

Sincèrement je suis dans le brouillard.

Quelque chose me bloque, peut-être suis-je trop dans l'intellect aujourd'hui.

Je trouve que ces nombreuses ellipses n'expriment rien dans le non-dit.

Bref c'est délicat sans plus.

plume bernache
  les mots manquent

 

 

Pour commenter un tel texte, les mots me manquent et je ne saurais en inventer, alors je relève ceux qui me touchent le plus. Par leur poésie, leur profondeur  leur délicatesse ou leur force métaphorique :

 

"les années ont passé parfois tortue, souvent lièvre"
"grappiller ton regard"
"ce mensonge n'était pas sincère"
"passé l'été à amasser de la couleur"
"un papillon solitaire aux ailes soyeuses……couleur d'évidence" : quelle belle métaphore !

Un superbe moment de lecture.

 

 

 

 

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