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Elvire avait été de garde toute la nuit. Il devait être 14 h quand la sonnette retentit et la coupa de ses rêves. Elle enfila rapidement une tenue décente et dévala les escaliers. Un colis l’attendait sur le perron, sans adresse ni indications. Elle regarda alentour. Personne. Le calme régnait dans le lotissement en cette période estivale, à croire que tout le voisinage s’était entendu pour déserter les lieux la première quinzaine d’août.

Elle emporta le carton à l’intérieur et jeta encore un œil par la fenêtre en écartant discrètement le rideau. La situation la plongea dans une certaine curiosité. Assise sur le divan, elle scruta le paquet de tous côtés et découvrit, glissée dans les interstices du fond, une enveloppe blanche adressée à son nom. Elle la décacheta et en sortit une lettre :

« Quand tu m’auras trouvé, tu pourras ouvrir le paquet.
Je te vois. »

Un homme. Qui ? La curiosité cédait à présent la place à la perplexité.

La jeune femme ne voyait pas l’intérêt de cette missive dont elle ne parvenait pas à évaluer le ton. Ni une, ni deux, elle entreprit d’ouvrir le paquet jugeant étrange que l’expéditeur croie au pouvoir dissuasif de ses quelques mots. Une petite caisse en acier s’y trouvait, accompagnée d’une nouvelle note.

« Mon premier message n’était pas convaincant, c’est évident. Mais je ne trouve pas de termes plus justes pour expliquer la situation. Alors, au risque de me répéter :
Quand tu m’auras trouvé, tu pourras ouvrir le paquet.
Je te vois. »

Son visage se rembrunit. L’auteur de ce petit colis la narguait. Le coffre en métal, un coffret semblable à une caissette à monnaie, était fermé à clé. Qu’il s’agisse d’une plaisanterie de mauvais goût ou d’une parade amoureuse maladroite, Elvire n’appréciait guère qu’on lui dicte sa conduite.

Elle traversa la cuisine d’un pas décidé, franchit la porte du jardin et s’aventura à la remise pour chercher un marteau quand elle tomba nez à nez avec une nouvelle missive placardée sur la façade intérieure.

« Ce n’est pas très honnête de vouloir déroger à la règle du jeu. C’est même ce qu’on appelle de la triche. Bon courage et je ne le répéterai jamais assez :
Quand tu m’auras trouvé, tu pourras ouvrir le paquet.
Je te vois. »

Elvire regagna son domicile furibonde, le marteau dans une main, et le papier dans l’autre. Ce petit jeu allait trop loin. Elle protégea le sol et s’attela à la tâche dans une hargne manifeste. Son application et sa vigueur n’eurent néanmoins que peu d’effet sur le petit coffre-fort. Essoufflée et agacée, elle s’empara du coffret, des lettres et du carton, bien décidée à se débarrasser de ce paquetage indésirable quand M. Gauthier la héla depuis le trottoir. Elle le pensait encore en voyage et s’étonna de l’apaisement qui la gagna.

— Bonjour Mlle Elvire, tout va bien ? Vous avez une petite mine.

La jeune femme modéra aussitôt son enthousiasme. Son voisin était sympathique mais son manque de tact pouvait parfois être agaçant.

— Oui, oui, très bien, rétorqua-t-elle dans un sourire forcé. Et vous-même ? Ce séjour aux Maldives, c’était comment ?

Elle se mordit les doigts. La réponse pouvait prendre des plombes. Toute cette histoire de colis la perturbait. Elle baissait sa garde. Étonnamment, ce retraité, d’ordinaire très bavard, ne s’éternisa pas sur les détails de son voyage organisé.

— Montrez-moi ça, Mlle Elvire, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en désignant la caissette.

— Oh, rien du tout, éluda la jeune femme, une vieillerie, je fais un peu de rangement dans le grenier.

— Je jurerais l’avoir déjà vue quelque part, dit-il pensif. Je peux regarder ?

— Oui, je vous en prie.

Quel numéro ce vieux sénile était-il encore en train de lui jouer ? Elle regrettait pour de bon désormais d’être tombée entre ses pattes. Le vieux caressait et auscultait la boîte rouge tout en réfléchissant.

— Bon sang de bonsoir, je connais cette caissette, marmonna-t-il.

Elvire tenta de mettre un terme à cette conversation sans intérêt.

— Vous savez M. Gauthier, des caissettes à monnaie il en existe plein. Je ne doute pas que vous en ayez déjà vu une semblable. Ne vous creusez pas trop l’esprit. Allez donc récupérer de votre voyage, vous devez être fatigué par le trajet. Et préparez les photos, j’ai hâte de voir ça !

Elle ne comprenait pas ce côté masochiste qui la poussait toujours à aller plus loin. Elle se donnerait des gifles parfois. Mais son voisin, tenace comme pas deux, ne démordait pas de sa sensation de déjà-vu. Elle le congédia de manière plus expéditive cette fois, en lui reprenant la caissette des mains. Elle jeta carton et courriers et rentra chez elle puis abandonna la caissette sur son bureau, elle en avait assez.

Affalée devant la télévision, elle ne parvenait pas à s’abandonner aux séries télévisées qui habituellement l’arrachaient à la réalité en moins de deux. Trois mots se bousculaient dans sa tête : « Je te vois ». Elle eut envie de se cacher, fermer les volets. Non, elle ne céderait pas au manège de son supposé maître chanteur.

Elle hésita même à ouvrir les rideaux en grand et s’agiter devant les fenêtres. Assumer l’affront qui lui était fait. Mais elle opta pour une attitude raisonnable : offrir un spectacle ordinaire.

Elle partit à la cuisine se préparer un en-cas. Elle se sentait épiée à chacun de ses gestes. Étrangement, elle était partagée entre l’envie de se montrer à son avantage comme sous l’effet d’une caméra et le besoin de se protéger face à une intrusion dans son intimité.

Le timbre de la sonnette lui insuffla une montée d’adrénaline. Elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit d’un geste assuré, presque brusque. M. Gauthier souriait, une caissette à monnaie dans les mains. Un soulagement doublé d’une déception sournoise la frappa. À quoi s’attendait-elle au juste ?

— Ça y est, dit-il, pas peu fier d’être parvenu à mettre de l’ordre dans sa mémoire défectueuse. Je sais pourquoi votre caissette m’a tant interpellé. Je possède la même, je viens de la retrouver au grenier, un héritage de mon père. Le docteur dit toujours que mes souvenirs les plus fragiles sont ceux chargés affectivement. Eh bien il ne se trompe pas, si vous saviez le nombre de scènes que me rappelle cette boîte. Mon père était trésorier dans le club de football de notre village et je crois qu’il ne se passait pas un jour sans qu’il ne s’affaire à ses comptes. Je le revois empiler les pièces de monnaie…

— Ah ben vous voyez, le coupa-t-elle, je vous l’avais bien dit qu’il en existe plusieurs de boîtes comme ça !

— Eh oui merci Mlle Elvire, vous m’avez fait replonger dans un bien joli souvenir. Et dites-moi, ça avance de votre côté ?

— De quoi parlez-vous ?

— Eh bien du rangement, dans le grenier.

— Ah, oui bien sûr, mais il y a beaucoup à faire, d’ailleurs si ça ne vous embête pas, je vais y retourner.

— Entendu, bon courage. De mon côté, je vais continuer à trier les photos.

— Oui, très bien, au revoir.

Ce brave M. Gauthier était bien gentil avec ses histoires d’enfance mais si elle ne l’avait pas interrompu, ils en auraient eu jusqu’au soir. Il la surprendrait quand même toujours. Une saleté d’Alzheimer qui le gagnait, elle en était sûre.

Elvire retourna à ses tartines et repensa au contenu de la lettre.

« Je te vois et suis bien plus près de toi que tu ne pourrais l’imaginer. »

Était-il possible qu’elle ne soit pas seule ? Une telle option semblait absurde mais cette idée la mit mal à l’aise. Elle entreprit alors d’inspecter toutes les pièces du pavillon. La situation la ramena une bonne vingtaine d’années en arrière, lors des longues après-midi de cache-cache avec ses cousins dans la grande villa de sa grand-mère. Excitation et frisson. Peur et envie. Il lui revint également en mémoire la position inconfortable de celui qui cherche, l’humiliation à laquelle il s’expose, vu par tous ceux qui sont cachés, seul dans sa traque. Elle examina chaque recoin de son domicile. Aucun doute, elle était bien seule.

L’inspection finie, elle s’installa à l’ordinateur, se connecta et navigua sur les sites de musique qu’elle avait l’habitude de fréquenter, son casque sur les oreilles. Elle effleurait la caissette du bout des doigts tout en fredonnant ses airs préférés quand elle sentit une main sur son épaule. Elle saisit instinctivement la boîte en métal et la colla dans la figure de l’intrus, M. Gauthier. Le vieil homme tomba net à terre, le visage en sang.

— Mais qu’est-ce que vous faites là ? s’écria Elvire en s’agenouillant près de lui pour constater l’étendue de ses blessures.

— La clé, balbutia-t-il, j’étais venu vous expliquer où se trouvait la clé… le miroir, dit-il avant de perdre connaissance

Elvire appela les secours et évoqua un stupide accident. Les pompiers arrivèrent rapidement et la prévinrent qu’elle serait prochainement contactée par la police pour les formalités d’usage.

La clé, le miroir, oh mon dieu ! Elle commençait à comprendre. Elle se précipita dans le couloir de l’entrée, l’arme du crime entre les mains et se positionna face à son reflet. « Je te vois. » Elle saisit le cadre. Une petite clé se balançait, suspendue à l’une des attaches murales.

Elle ouvrit la caissette et y découvrit un stylo à l’effigie des Maldives accompagné d’un petit mot.

« Un petit cadeau pour vous Mlle Elvire, offert avec un peu de piquant pour le rendre mémorable.

Bien à vous,

M. Gauthier

PS : À bientôt pour la suite en photos ! »

La jeune femme s’attabla au bar de la cuisine. Se servit un rhum arrangé, sonnée par tout ce qui venait de se passer. Elle sirota son cocktail en fixant la porte du jardin. Elle n’avait désormais plus qu’une idée en tête : faire réparer le verrou.

 

 

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Commentaires

Escampette
Merci

@ Manuella : merci pour votre commentaire, je suis contente si ce texte tient en haleine !

 

@ Luluberlu : merci pour tous vos conseils et remarques. Oui encore une histoire de boîtes et de voisin, en réalité c'est l'autre version de "Un présent sans avenir". Disons que comme je patinais avec ce texte, j'ai pondu deux textes sur une même trame.

 

"une nouvelle missive placardée sur la façade", j'ai ri en lisant votre remarque puisque j'ai supprimé le complément en pensant à vous quand j'ai relu mon texte avant de le poster. "de la remise" m'a paru inutile.

 

"s'aventurer à ou s'aventuer dans ?" le suspens plane encore

 

"mémoire défaillante" me semble en effet mieux convenir que "mémoire défectueuse", merci.

 

Pour la rechute de virgulite, suis pas encore soignée je crois ;)

 

Merci !

 

@ Croisic : "Une réussite", vous me faites grand plaisir. Merci !

 

@ Plume : merci pour votre commentaire intéressant, je suis contente de voir que le lecteur peut chercher la réponse de l'énigme en même temps que le personnage. C'est chouette !

 

 

plume bernache
  Un suspense bien

 

 Un suspense bien entretenu, avec formule mystérieuse et répétée ; qui nous invite à chercher en même temps qu'Elvire. Espérons pour elle que Monsieur Gauthier va s'en tirer .

Elle pourra lui offrir une boîte…de chocolats.

Croisic
Monsieur Gauthier connaissait bien

Monsieur Gauthier connaissait bien le caractère emporté de la demoiselle pour avoir semé des missives

aussi perspicaces !

J'ai été tenue en haleine jusqu'au bout de la nouvelle. Une réussite.

Merci.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Lulu emmerdeur :« Un colis

Encore une histoire de voisin. Sympa (à part le coup de caissette, bien sûr). Une nouvelle percutante. PAF ! C’est marrant cette propension à mettre des boites en scène.  Si j’étais psy... ces boites abritent-elles des fantômes ? :ghost:

 

Lulu enquiquineur :

« Un colis l’attendait sur le perron sans adresse, ni indications. » sans adresse le perron ? (corrigé)

« s’aventura à la remise pour chercher » : à ou dans ?

« une nouvelle missive placardée sur la façade intérieure. » : de quoi ?

« à se débarrasser de ce paquetage » : http://www.cnrtl.fr/definition/paquetage

« Étonnamment, ce retraité, d’ordinaire très bavard, ne s’éternisa pas sur les détails de son voyage organisé. » : bouuuuuuu, rechute de virgulite ?

« Assumer l’affront qui lui était fait Mais elle opta pour » : manque un ? (corrigé)

« dans sa mémoire défectueuse. » : heuuuu ? Défaillante conviendrait mieux.

 

Manuella
Portrait de Manuella
Excitant, tient en

Excitant, tient en haleine.

 

Jusqu'au point final  Elvire vous surprend !

 

Pauvre Mr Gauthier.

 

Elvire n'aime pas les surprises !

 

surprisesadnobroken heart

enlightened

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