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La voilà enfin. Vêtue d’une jupe en laine noire qui caresse des bas assortis et emmitouflée dans une veste qui s’arrête élégamment à l’aube de ses fesses. La courbe de ses jambes, légèrement floutée par la bruine, ondule sous les faisceaux de l’éclairage de la rue. Il est 19 h, il fait nuit, nous sommes au mois de novembre.

Cela fait une bonne demi-heure que j’attends, enfoncé dans le siège de ma voiture. Je déteste être en retard.

Hissé sur la pointe des pieds, son corps s’étire pour attraper le lourd rideau en fer de la pharmacie avant de le conduire au sol. Un mouvement qui accentue sa cambrure et souligne délicatement le creux de ses reins. Sans plier les genoux, elle se baisse pour sceller le loquet de la grille métallique. Sa jupe ainsi recourbée découvre le haut de ses cuisses et me laisse entrevoir de multiples possibilités.

Elle se tourne désormais face à la route, les deux mains sur les anses de son sac rabattu devant son sexe, telle une écolière qui attend, sans ciller, la permission de respirer.

Abritée sous la devanture de l’immeuble qui héberge l’officine, elle patiente. S’assure une dernière fois de n’avoir rien oublié en jetant un coup d’œil dans son sac. Elle fait toujours ça. Mais elle a tout ce qu’il faut. Et elle ne s’imagine pas à quel point.

Monsieur Michalec, qui promène son chien comme tous les soirs à la même heure, la salue machinalement. Elle lui adresse un sourire. Sincère et lumineux. Son sourire. Celui qui crie la vie. Celui qui m’a happé la première fois où je l’ai vu et qui ne m’a jamais libéré.

Elle ne me voit pas.

Enroulée autour de son index, une mèche de sa chevelure noire tombe sur sa joue et inscrit sur sa peau de lait le dernier coup de pinceau d’un portrait parfait.

Elle fait quelques pas. Les poupées de cire détestent l’immobilité. Je devine la mélodie de ses talons sur le bitume du trottoir. Sa cadence. Déterminée et sensuelle. Son rythme. Autoritaire et rassurant. Puis reprend sa place.

Au passage ralenti d’une voiture noire, l’écolière s’échappe dans un élan spontané, volette sur quelques mètres puis s’arrête net, déçue, trahie par une légère myopie. Quand alors un bus la frôle et l’éclabousse d’une grande volée de flaques qui ornent la chaussée. Elle peste, se pince la lèvre inférieure et affiche une grimace de colère puis, dans un mouvement de recul, laisse échapper quelques éclats de rire en observant sa tenue criblée de petites taches marron. C’est ce que j’aime chez elle, ce tourbillon d’émotions qui l’anime et m’emporte.

Elle plonge la main dans son sac pour chercher ses lunettes. Les rouges et carrés qui lui donnent un air strict, une allure d’institutrice pincée. Derrière ses carreaux mouillés, elle scrute tous les conducteurs qui défilent, plisse les yeux pour mieux voir, convaincue que ça décuple sa vision ; moi je trouve juste que ça lui donne un air enfantin très séduisant.

Elle efface d’un geste de la main la peine du ciel qui s’invite sur son front. Quelques gouttes s’installent dans les plis d’impatience et l’incitent à débuter le chemin à pied. Debout face au passage clouté, elle attend la possibilité de traverser. La voie est libre.

Je tourne la clé et appuie sur l’accélérateur, de plus en plus fort jusqu’à sentir le plancher. Je fonce… et hurle avant de la percuter. « Elena, pourquoi tu m’as quitté ? »

 

 

 

 

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Commentaires

luluberlu
Portrait de luluberlu
J’ai relevé qques belles

J’ai relevé qques belles choses (pour nuancer mon com. un peu trop brut de fonderie) :

« Enroulée autour de son index, une mèche de sa chevelure noire tombe sur sa joue et inscrit sur sa peau de lait le dernier coup de pinceau d’un portrait parfait. »good

« Elle fait quelques pas. Les poupées de cire détestent l’immobilité. Je devine la mélodie de ses talons sur le bitume du trottoir. Sa cadence. Déterminée et sensuelle. Son rythme. Autoritaire et rassurant. Puis reprend sa place. » goodj’aime bcp cette suite de phrases courtes qui donnent du rythme au récit.

« Elle efface d’un geste de la main la peine du ciel qui s’invite sur son front. Quelques gouttes s’installent dans les plis d’impatience et l’incitent à débuter le chemin à pied. »good

Bien fait de relire... Je devais être dans un mauvais jour.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Une écriture toujours aussi

Une écriture toujours aussi « linéaire », sans réelle surprise, mais efficace. Les personnages sont bien campés. Néanmoins, malgré les perspectives évoquées, ça manque de chair. Sinon, c’est bien écrit et, comme l’écrit Brume, je visualise bien la jeune femme dans toute sa dimension corporelle (mais pas pour les mêmes raisonspardon). Quant à l’émotionnel...:8)

Dans une histoire, j’aime bien me perdre, que l’auteur me balade, revenir en arrière, me creuser le ciboulot là où ça accroche. Ici, c’est direct. On va d’un point A à un point B sans hyperboles (même si les courbes y sontyes).

 

brume
Portrait de brume
Bonjour,

Comment passer d'un récit plein de sensualité à un drame brutal.

Le regard que porte le narrateur sur Elena est très beau, bon on frôle parfois le voyeurisme comme sur ce passage: "Sa jupe ainsi recourbée découvre le haut de ses cuisses et me laisse entrevoir de multiples possibilités."

 

Mais malgré tout j'aime les jolies descriptions sur la jeune femme, cela lui donne de la chair, de la vie, je la visualise bien dans toute sa dimension émotionnelle et corporelle (sa contenance, ses mimiques, son caractère). Mais pas le temps au lecteur de s'attacher à elle, la fin est brutale et surprenante.
L'écriture est très belle, et l'histoire est d'une belle intensité.
 

 

barzoi (manquant)
Ma belle

J'ai eu beaucoup de plaisir à lire cette délicieuse nouvelle du début à la fin.

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