Accueil

 

C’était un mercredi après-midi. Sa mère s’était absentée durant une semaine pour se rendre au chevet d’une vieille tante malade et son père était au travail, ce qui nous laissait le champ libre. On était fin février, cela faisait donc deux mois qu’on en parlait tous les jours à presque toutes les récréations. Marika m’attendait chez elle.

J’étais stressé et impatient. Je me demandais vraiment à quoi ça ressemblait. Et puis j’avais aussi envie de vérifier qu’elle n’était pas une menteuse. Elle m’avait fait promettre de ne rien dire, son père était très strict et lui avait formellement interdit de recevoir de la visite, alors j’ai raconté à maman que j’allais faire du vélo dans les bois. Même si je ne saisissais pas bien l’intérêt de cette interdiction, Marika était mon amie et je respectais ses choix.

J’arrivai à 14 h comme convenu. Marika me guettait par la fenêtre. Elle se précipita à la porte et me fit entrer rapidement pour que les voisins ne me voient pas. Elle m’offrit une orangeade et nous demeurâmes un long moment dans le séjour, enfoncés dans des fauteuils en rotin trop grands pour nous, à regarder nos pieds.

 

— Tu me promets que tu ne diras rien à personne, n’est-ce pas ?

 

Marika avait l’habitude de ponctuer toutes ces phrases par un « naissepa » dont je ne comprenais pas bien l’utilité, mais qui donnait à ses propos une sorte de justification indiscutable.

 

— Juré, craché, dis-je en fixant ses yeux de chat.

 

Elle tournicota le bout de ses nattes, signe qu’elle était satisfaite.

Je crois que Marika m’impressionnait et en même temps, savoir qu’elle m’avait choisi comme ami me rendait important moi aussi.

Nous restâmes encore de longues minutes à croiser et décroiser nos jambes qui ne touchaient pas le sol jusqu’à ce que des bruits de pas craquent dans le couloir. Une dame assez forte à la chevelure blonde et relevée en chignon passa la tête dans l’entrebâillement de la porte.

 

— Je vais chercher quelques provisions. Mademoiselle a-t-elle besoin de quelque chose ?

— Non, merci Eugénie. À tout à l’heure, répondit Marika.

 

Marika était une mademoiselle, je ne l’avais pas réalisé. Je me sentis encore plus important.

 

— Qui c’est ? demandai-je quand la dame en noir et blanc eut claqué la porte.

— C’est Eugénie, la gouvernante.

 

J’adressai à Marika un regard entendu bien que je n’avais absolument aucune idée de ce qu’était une gouvernante.

 

— Et tu n’as pas peur qu’elle dise à ton père que je suis venu ?

— Une gouvernante ne ferait jamais ça, n’est-ce pas ?

 

J’acquiesçai. Je savais déjà qu’une gouvernante était une personne à qui on pouvait faire confiance.

 

— On y va ? proposa Marika, le sourire au coin des lèvres.

 

Je hochai la tête. J’avais un peu peur. Je la suivis sans rien dire. Elle me fit retirer mes chaussures pour enfiler des patins et nous empruntâmes les escaliers. Chaque marche était recouverte d’une parcelle de velours rouge comme dans un château. Je suivis de près ma princesse et nous traversâmes trois demi-niveaux avant d’atteindre l’étage de sa chambre. Elle ouvrit délicatement la porte et me demanda d’être discret en déposant son index sur mes lèvres, ce qui me valut quelques frissons.

La pièce était plongée dans la pénombre. Marika chuchota.

 

— Ils doivent sûrement dormir, ils font toujours la sieste en début d’après-midi.

 

Elle me fit signe de la suivre.

 

— On va les réveiller, décida-t-elle, impétueuse.

 

Elle ouvrit les volets des doubles fenêtres qui plongeaient sur deux larges balcons ornés de fleurs aux teintes multiples. Le centre de la pièce était occupé par un grand lit avec de grands rideaux qui le cachaient. J’apprendrais plus tard qu’on appelait cela un lit à baldaquin. Et à droite reposait une coiffeuse. Je l’imaginais se faire ses nattes devant le miroir. À moins que ce ne soit Eugénie qui la peigne, ça sert peut-être aussi à ça une gouvernante.

Marika m’interrompit dans ma rêverie.

 

— Viens voir, ils se réveillent.

 

À gauche de son lit se trouvait une grande cage, comme celle qu’on utilise pour les rongeurs, remplie de six petites silhouettes. C’était son élevage. Elle ne m’avait pas menti. Je m’approchai pour voir s’ils étaient vivants. Oui. La lumière du jour était en train de les tirer du sommeil.

Marika avait reçu pour Noël, un cadeau un peu spécial. Son père lui avait offert des mini-humains.

 

— Regarde comme ils sont mignons, dit-elle. Viens, on va leur donner à manger. Ils doivent avoir faim.

— Et qu’est-ce qu’ils mangent ?

— Je leur donne des graines. Papa a passé un gros contrat avec un fournisseur qui, pour le remercier, m’a offert un approvisionnement pour une année complète.

— C’est super, dis-je, ne comprenant pas bien ce qu’était un fournisseur, ni à quoi ressemblait un gros contrat et avec seulement une bien vague idée de ce que signifiait un approvisionnement. Mais l’essentiel était qu’on avait des graines à leur donner.

— Tiens, vas-y, me dit-elle en m’en tendant une poignée.

 

Ça ressemblait drôlement au muesli que prenait maman au petit-déjeuner, mais je n’ai rien dit. J’en ai même rajouté en prenant un air légèrement dégoûté. Je ne voulais pas qu’elle croie que je mange la même chose que des mini-humains.

 

— Oh, ça va, tu ne vas pas te salir, m’a-t-elle dit, tu te laveras les mains après.

— Je fais quoi, j’ouvre la cage ? demandai-je timidement.

— Non, surtout, ne fais pas ça sinon ils essaient de s’échapper et je peux mettre des heures à les retrouver. Jette-leur les graines par les trous. Tu verras c’est très amusant.

 

Je commençai timidement en faisant glisser une graine par un carreau de la grille. Elle tomba au pied d’un mini-humain installé dans un mini-fauteuil. Ce dernier ne bougea pas.

 

— Pourquoi ne mange-t-il pas ?

— C’est Ernest, il est vieux, je ne l’aime pas trop. Papa dit qu’il n’en a plus pour très longtemps et qu’on sera bientôt tranquille. Il ne bouge pas de la journée, toujours enfoncé dans le fauteuil, il n’est pas marrant du tout. Essaie plus loin, poursuivit-elle. Tu lances fort en plein milieu. Tu vas voir ce qu’ils font.

 

J’envoyai donc ma deuxième graine avec bien plus de conviction que la première. Je voulais plaire à Marika, je voulais qu’elle me pense capable de m’occuper de mini-humains.

Le résultat fut stupéfiant. Les quatre autres se ruèrent sur la graine et se battirent comme des chiffonniers pour l’emporter. Marika avait raison, c’était très amusant même si ça me faisait ressentir quelque chose de bizarre comme quand j’avais vu les singes au zoo lors de la sortie de fin d’année avec l’école. C’était à cause de leurs yeux. Des yeux qui parlent, c’est très gênant.

Je recommençai l’opération une bonne dizaine de fois jusqu’à avoir vidé ma poignée. On admirait le spectacle tout en échangeant quelques regards complices. Ça valait le coup d’avoir attendu si longtemps avant de pouvoir venir chez elle.

Pendant l’affrontement, je remarquai une mini-humaine particulièrement tenace. Elle avait gagné plus de la moitié des graines. C’était Joséphine, la maman du sixième mini-humain qui, recroquevillé dans un coin de la cage, était trop jeune pour aller chercher les graines lui-même. Marika m’expliqua que les mères étaient extrêmement protectrices et pouvaient en venir au sang pour nourrir leur enfant. Je pensai à la mienne qui me reprochait sans cesse de lui coûter trop cher en courses et j’enviai ce petit garçon.

Marika l’avait appelé Loulop, c’était le nom de ses chewing-gums favoris.

 

— Viens on va le changer, me dit-elle, enjouée.

 

Je n’étais pas sûr de comprendre. Je la regardai faire.

 

— D’abord, je prépare le matériel, car un jeune comme ça, ça bouge tout le temps alors il faut avoir tout sous la main si on veut que ça se passe bien.

 

Elle s’empara du paquet de mouchoirs et découpa à l’aide de ciseaux un carré de papier en suivant les plis du morceau. Elle ouvrit la cage et arracha Loulop des bras de sa mère. Cette dernière tenta de le retenir, mais Marika la repoussa d’un revers de la main. Joséphine fut propulsée au fond de la cage dont la grille tremblota.

 

— J’aurais préféré que papa ne me ramène que Loulop. Joséphine est trop agressive. Elle essaie souvent de me griffer. Je l’ai dit à papa, mais il m’a dit qu’il était délicat de la séparer de Loulop durant au moins ses deux premières années. Il faudrait attendre un peu.

 

Joséphine se releva et commença à jeter le mobilier contre les grilles de la cage. La mini-table, les mini-chaises, la mini-commode, puis quand elle commença à renverser le joli mini-vase en terre cuite et tirer sur les guirlandes lumineuses qui ondulaient au plafond alors Marika intervint. Elle donna un violent coup de pied dans la cage qui la fit reculer d’un mètre.

 

— Suffit, maintenant, couché Joséphine, tu vas faire peur à Loulop.

 

J’eus envie d’aller voir comment allaient Joséphine et les autres, mais n’osai pas. Je ne voulais pas décevoir Marika en me montrant trop sensible.

Alors je la regardais s’occuper de Loulop. On aurait dit une maman. Elle était belle. Une fois qu’elle eut terminé, elle me tendit la couche sale avant de s’installer dans le fauteuil à bascule, Loulop étendu sur son avant-bras.

Je profitai de ce qu’elle fut de dos pour enfourner le change souillé dans ma poche ne sachant pas quoi en faire. Je les rejoignis et dévisageai le petit. Il avait les traits plissés et braillards. En m’approchant davantage je pus entendre le bruit sourd de ses cris.

 

— C’est un énorme avantage qu’ont les minis-humains. On entend à peine leur voix. C’est formidable, n’est-ce pas ?

 

J’acquiesçai d’un mouvement de tête, toujours plongé dans les traits chiffonnés de ce si petit mini-humain à la peau de miel.

 

— Heureusement qu’ils ne font pas de bruit, poursuivit-elle, car sinon ils m’empêcheraient de dormir et maman refuserait que je les garde dans ma chambre. Elle ne veut pas que mes résultats scolaires baissent. Maman est parfois plus stricte que papa, tu sais. Elle n’était pas tellement d’accord au départ pour que j’aie des mini-humains. Mais j’ai beaucoup insisté et papa ne peut rien me refuser.

 

Je me suis dit que moi non plus à la place de son père, je ne pourrais rien lui refuser. Puis j’ai pensé qu’elle avait de la chance d’avoir un papa comme ça et aussi de la chance d’avoir un papa tout court.

Pendant que Marika berçait Loulop, je suis retourné vers la cage. Sur une mini-balançoire, confectionnée à l’aide d’une allumette et deux bouts de ficelle, était assis un mini-humain couvert de taches de rousseur.

 

— Il a l’air calme le roux, dis-je à Marika

— Carotte ? Oui, alors lui, il ne fait jamais d’histoire. On dirait qu’il est toujours dans la lune. Tu peux le prendre si tu veux, tu verras, il est très gentil.

 

Je me suis figé un instant. C’était une chose de les observer et ça ne mangeait pas de pain. Mais c’en était une autre de les toucher. En réalité, je n’en avais pas très envie.

 

— Non, je vais le laisser jouer, esquivai-je.

— Tu as la frousse, n’est-ce pas ? me nargua Marika.

— Non pas du tout, me défendis-je.

— Alors prends-le. Prouve-moi que ça ne te fait pas peur.

 

Ni une, ni deux, j’entrouvris la porte de la cage. Comme depuis le début de l’après-midi, je ne réfléchissais pas, je ne réfléchissais plus. J’introduisis délicatement mon bras dans l’interstice quand les cinq mini-humains se jetèrent sur ma main et s’agrippèrent à mes doigts. Une sensation piquante me traversa le corps comme une décharge électrique. Ils me chatouillaient et me rongeaient la peau, c’était extrêmement désagréable. Paniqué, je retirai d’un coup sec ma main de la cage et la secouai le plus fort possible, mais les mini-bonshommes s’accrochaient et m’escaladaient le bras. Je ne voyais plus rien. Tout allait trop vite. Je poussai de petits cris aigus et gesticulai dans tous les sens pour me débarrasser de ces fourmis géantes qui m’assaillaient. J’avais l’impression qu’ils se démultipliaient. Ils étaient partout à la fois. Ça me chatouillait tantôt les jambes, tantôt la nuque, tantôt le cuir chevelu. Je me frottai vivement le corps contre les injonctions de Marika, qui, furieuse, m’ordonnait de me calmer et de remettre tout le monde dans la cage. Debout face à moi, avec Loulop dans les bras, elle tentait de me raisonner.

 

— Calme-toi et arrête de bouger, tu leur fais peur.

 

Cette fois, je ne pouvais plus l’écouter. Je ne réfléchissais toujours pas – la peur m’en aurait bien empêché –, mais je ne répondais plus qu’à un seul stimulus, celui du contact de ces bêtes sur ma peau. M’agiter de plus en plus fort et de plus en plus vite pour faire tomber les petits envahisseurs qui continuaient à rouler sur moi et à me grignoter relevait de l’instinct de survie.

 

Marika allongea Loulop sur le fauteuil et vint à mon secours.

 

— Arrête de bouger et je vais les récupérer.

 

Je tentai de retrouver mon calme. Je soufflai lentement et cessai peu à peu de gigoter, mais mon corps tremblait toujours. Je ne pensais plus qu’à une chose. M’enfuir. Quand enfin je parvins à m’immobiliser, les chatouillements cessèrent. Les bêtes m’imitèrent à l’instar des mouches qu’on tente de piéger. Plus une vibration, plus un tressautement. Calfeutrées sous mes vêtements, elles se turent.

Marika tenta de les amadouer et de les faire réapparaître. Je ne cillais plus d’un millimètre comme si ma vie en dépendait. J’osais à peine respirer de peur qu’elles se propagent à nouveau le long de mes membres.

 

— Carotte… Joséphine… Ernest… Bouboule… Tatou.

 

Marika les appelait d’une voix douce, d’une voix fausse telle une traîtresse.

 

— C’est maman… Venez mes chéris… Il est l’heure de rentrer dans la cage, on va prendre le bain, disait-elle en se penchant près de mon cou pour tenter de les apercevoir.

 

Le frôlement de son visage contre ma peau me fit redoubler de frissons.

Elle se mit à faire un petit bruit rond et creux en claquant sa langue contre son palais pour les attirer – sans succès – alors elle sifflota. Mais rien n’y fit. Ils ne bougeaient pas et moi non plus.

Je fermai les yeux en espérant que ce cauchemar s’arrête. Marika m’encerclait tel un vautour. Quand elle souleva délicatement mon pull-over, je rouvris les yeux, et là, j’aperçus Joséphine qui courrait à pas de loup rejoindre Loulop.

J’aurais dû le dire à Marika, mais pris dans la volupté de ses mains contre mon torse et animé par la sensation étrange, mais instinctive de faire le bon choix, je ne dis rien. Je laissai faire Joséphine et refermai les yeux. Quand je les rouvris, la mère et l’enfant n’étaient plus dans la pièce. J’esquissai un léger sourire. J’étais content sans trop savoir pourquoi.

Plus Marika me tournait autour, plus je me sentais traqué moi aussi. J’avais l’impression de basculer dans l’autre camp. À ce moment-là, les mini-humains commencèrent à se déplacer à nouveau. De petits pas timides d’abord, puis avec plus d’insistance, plus d’aisance. J’apprivoisai peu à peur leur toucher. Je me surpris à avoir moins peur. Ils se nichèrent entre mes jambes. Voilà bien un endroit où Marika n’oserait pas les chercher. Au bout d’un certain temps d’immobilité – Marika était d’une patience désarmante – je pris une décision.

 

— Ils ne sont plus là Marika, je ne les sens plus, plus du tout.

— Tu en es sûr ? Recommence à bouger un peu pour voir, mais doucement.

 

J’obtempérai, me déraidis progressivement et fis quelques pas. Les petits humains s’agrippèrent bien fort à mes cuisses. Je m’amusai de cette complicité à l’insu de Marika.

 

— Je suis désolée Marika, vraiment, je n’aurais jamais dû réagir comme ça, je les ai fait fuir.

 

Les petits humains m’étreignirent, se blottirent contre moi. Je réalisai à cet instant que si nous, nous ne les entendions pas, l’inverse n’était pas vrai. Aussi, je poursuivis d’une voix bien forte.

 

— Ils se sont sûrement cachés dans la maison.

— Pas la peine de parler si fort, me reprocha-t-elle, je ne suis pas sourde. 

— Excuse-moi, je ne fais rien comme il faut.

— Non ça c’est sûr. Je ne sais pas quelle idée j’ai eue de t’inviter chez moi. Va-t’en maintenant, mon père va bientôt rentrer et s’il te découvre ici, il sera dans une colère noire.

— Tu ne veux pas que je t’aide à les chercher ? insistai-je

— Non, je n’ai pas besoin de toi, tu as fait assez de dégâts comme ça, dit-elle sèchement.

 

Marika me congédia en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. En traversant le couloir, je scrutai chaque recoin pour repérer les deux échappés – sans succès –, mais, le long des marches, Joséphine m’escalada le mollet et les petits doigts fripés de Loulop me chatouillèrent le genou. Je souris. Nous étions au complet. Je troquais les patins contre mes baskets quand Eugénie rentra, les bras chargés de paquets. Elle me tint poliment la porte à l’aide du coude en m’adressant un courtois :

 

— Bonne soirée Monsieur.

 

Elle ne croyait pas si bien dire. J’allais devenir un Home.

Je repartis d’un pas tranquille, sans gestes brusques, sans empressement pour, d’une part, garder ma dignité sous les petits yeux félins qui m’espionnaient certainement du troisième étage et d’autre part ne pas affoler mes hôtes. Je pris soin de leur parler à voix haute et intelligible pour les rassurer et leur expliquer le mouvement continu qui allait animer mon corps pendant notre trajet à vélo.

De retour dans ma chambre, mes six compagnons et moi nous installâmes en cercle au pied de mon lit. Assis en tailleur, nous fîmes de correctes présentations. Par chance, le petit micro que m’avait offert maman pour mon cinquième anniversaire fonctionnait encore et je pus enfin en apprécier l’utilité. Ainsi, chacun put retrouver son identité volée et exprimer ses premières volontés. Inès – anciennement Joséphine – me demanda des laitages pour son fils, Jules. André – anciennement Ernest – souhaitait consulter un médecin pour ses articulations douloureuses. Merlin – anciennement Carotte – voulait de la lecture. Istra – anciennement Bouboule – rêvait d’acheter de nouvelles robes et Jim – anciennement Tatoo – se languissait d’écouter du rock.

Ensemble, nous aménageâmes l’espace de façon provisoire afin de créer des parcelles d’intimité indispensables à chacun. Il fut convenu qu’ils prendraient le temps nécessaire pour se remettre d’aplomb avant de rentrer chez eux. Chez eux. Là résidait ma plus grande interrogation. Avaient-ils un chez-eux et où était-il ? Ils rirent à ma première question et refusèrent catégoriquement de répondre à la seconde.

Le lendemain, Marika ne vint pas à l’école, ni les jours qui suivirent. L’été de la même année, sa villa fut vendue et je perdis dès lors toute trace de son existence.

C’est donc suite à ce fameux mercredi que je devins un Home actif, membre de l’association du même nom dont l’action consistait à lutter contre l’exploitation et le trafic des mini-humains. Je m’y investis pleinement. D’année en année, la structure prit de l’ampleur et c’est ainsi que je fus enfin amené à revoir Marika, lors de son appel à comparaître dans l’affaire n° 18 du trafic de mini-humains.

Lorsqu’elle se présenta à la barre, je fus sidéré. Elle n’avait pas changé. Si. Elle était encore plus belle. De magnifiques boucles noires remplaçaient ses tresses. Elle rayonnait de cette grâce naturelle qui la caractérisait tant et qui ne l’avait pas quittée.

Elle réfuta toutes les accusations portées à l’encontre de son père et nia en bloc l’existence des mini-humains arguant qu’elle ne me connaissait à peine et que jamais elle n’aurait convié un inconnu chez elle. Mais que, de toute évidence, l’affection que je lui portais m’avait fait perdre la raison.

Pendant qu’elle se défendait, je croisai le regard d’Eugénie sur les bancs. Une gouvernante avait définitivement des qualités que je ne soupçonnais pas.

Quand nous quittâmes la salle d’audience pour la dernière fois, suite à d’interminables sessions qui donnèrent gain de cause à l’Home, Marika vint me saluer.

 

— Beau procès, n’est-ce pas ?

— Tout à fait mademoiselle, lui répondis-je dans un clin d’œil.

 

Elle était belle à mourir. Je regardai mes pieds.

 

– Madame ! me corrigea-t-elle en faisant vibrer son annulaire gauche.

 

Je déglutis.

 

— Puis-je te demander quelque chose d’un peu personnel ? hésita-t-elle

 

Je relevai la tête, empli d’espoir.

 

— Bien sûr, répondis-je impatient.

—… Comment va Loulop ?

 

Jules tressauta, caché dans ma manche.

 

 

 

 

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Commentaires

Escampette
Croisic, Luluberu, Brume et

Croisic, Luluberu, Brume et Barzoi, merci beaucoup pour vos commentaires ! C'est la première fois que je m'essaie au genre merveilleux, fantastique alors merci pour vos encouragements.

Croisic
Quelle belle et bonne nouvelle !

Quel bon moment je viens de vivre à sa lecture !

Fluidité du style, humour, originalité du sujet, bref, je suis également sous le charme de l'intemporalité de cette histoire.

Merci.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Marika : celle qui élève. Le

Marika : celle qui élève. Le prénom n’est pas choisi au hasard, je suppose.

Bonne nouvelle : c’est un très bon texte. Histoire et sens du dialogue, pointe d’humour, etc. yes

 

Je crois qu’il y a à 2 ou 3 endroits des pbs de concordance des temps. (Suis pas sûr, mais ça a accroché).
« J’adressai à Marika un regard entendu bien que je n’avais absolument aucune idée de ce qu’était une gouvernante. » C’est le mode subjonctif qui est normalement demandé par la locution « bien que », mais certains grammairiens justifient l’emploi de l’indicatif pour souligner la réalité d’un fait. Parmi les temps de l’indicatif, le conditionnel peut servir à exprimer l’éventualité.
« Marika me congédia en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. » fallut (passé simple)
« Marika avait reçu pour Noël, un cadeau un peu spécial. » virgule en trop.

brume
Portrait de brume
Bonjour,

Vous allez rire mais malgré la légèreté de ton de cette sympathique histoire, j'ai été angoissée durant toute la lecture, cette peur de lire à un moment à un autre que ces 2 enfants fassent du mal aux mini-humains.

Bref, il y a une morale à cette histoire et tout est bien qui fini bien.

Un joli conte fantastique bien que j'aurais préféré entendre les pensées et connaître les ressentis des mini-humains pendant leur captivité chez Marika, ça aurait donné une dimension plus drôle et peut-être plus touchante à l'histoire.

Petit bémol, il est dommage de ne pas connaître le nom du héros, Marika ne le prononce pas une seule fois, et pendant la présentation des mini-humains le héros ne se nomme pas.

 

barzoi (manquant)
Marika

Je ne suis pas adepte du genre fantastique mais c'est parceque je ne vous avez pas lu. J'ai beaucoup aimé cette histoire servie par un style qui m'a enchantée. Merci pour cette très agréable lecture.

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