Il n’y a sans doute que dans la langue française que certains adverbes ne sont pas toujours… francs du collier. On ne peut qu’être dubitatif, voire méfiant quand on lit sur le dos de la plupart de nos adverbes la désinence ment. D’ailleurs l’adverbe, c’est l’adjoint du verbe, celui qui souligne, explicite, qualifie, atténue, nuance, relativise, voire, trahit la parole de son maître, de son chef. En un mot c’est le diplomate de la langue, et les diplomates sont les virtuoses du compromis, des demi-vérités, laissant la langue de bois (parler pour ne rien dire) aux simples politiciens. Et le français n’a-t-il pas été longtemps la langue de la diplomatie ? Il le demeure encore un petit peu aujourd’hui.

Quittons l’altitude et amorçons la descente. Une fois les blancs bancs de nuages traversés, nous commençons à apercevoir le paysage. Des textes, des paragraphes ou alinéas… et voilà les convois des phrases qui s’en vont en longues processions conquérantes, inexorables, toujours parallèles. Tiens… ah oui, les voitures qui les composent sont les mots. Il y en a de tous les gabarits, voire, de toutes les cylindrées. Mais, dites, il y en a qui en prennent de la place !... Voyez patenté qui se fraye un chemin, à coups de coudes entre mon bon monsieur et rémoulade. Encore heureux que ceux-ci ne rament qu’à gauche… Il suit, à lui coller au train, agent  et  Il le suit de très très près ! Et tout ce petit monde pédale synchroniquement, car il est absolument interdit de doubler ou de prendre un raccourci (ou de faire un détour). On est ici pour travailler et chacun est instamment prié de bien suivre ses copains et copines… . On garde le même rail !

Promenons-nous discrètement entre les colonnes verbales et efforçons-nous de repérer les véhicules adverbiaux. Une fois repérés, nous essaierons de voir ce qu’ils ont dans le ventre. En langage plus châtié, nous les ausculterons. Nous disposons d’un scanner, mais pas encore d’une IRM. Soit dit en passant, le bon vieux stéthoscope du Docteur Laennec suffira le plus souvent.

Avisons ce  command-car  flambant neuf. Pas même une raie :
Généralement. Que le général mente n’est pas à exclure, surtout en cas de campagne militaire désastreuse. Il essaiera de faire porter le képi à un de ses subordonnés. Tenez, le Colonel Michoux, par exemple. Mais en simple campagne, on peut découvrir que  gêné râle ment. Eh, oui Monsieur Râle camoufle une infidélité à Madame. Il est vrai que notre adverbe en question ne ment pas toujours. Génère allemands. Nous voici en pleine réflexion ethnohistorique, à deviser sur l’origine de nos cousins germains. J’ai nerfs allemands et j’ai nez r’allemand  s’inscrivent dans le même champ de recherche, conséquence de nos confrontations passées. Le  r euphonique permet d’éviter le désagréable hiatus  é-a, devenu, hélas, une habitude aujourd’hui. Généra Le Mans. Bonjour la Sarthe ! En piste les lycéens, pour enquêter sur l’origine de votre bonne ville ! Geai n’erre à Le Mans. Voilà de quoi inspirer un nouveau et joli blason pour cette cité, même si certains oiseaux n’en apprécient pas le bruit et la pollution. Gênes hait rat Léman se rapporterait à la rupture diplomatique entre les deux Républiques à l’aube de la Renaissance. On se  souviendra que le diplomate génois fautif était d’origine espagnole et qu’en fermant tous les e il avait adultéré le sens du message, provoquant l’ire de la jeune Confédération. Bon, abrégeons. Si l’on passe autant de temps sur chacun… Au fond Généralement  n’est pas si menteur que cela.

Choisissons une petite cylindrée pour changer.
Rarement. Apparemment, elle n’a pas grand-chose pour elle, cette 2 portières,  gris sale,  à l’allure banale.
Rat re-ment. Un mensonge en entraîne un autre. Et puis le rat, ayant de bonnes dents, peut induire un arracheur de dents à mentir. Voyez la chaîne de causalités… Redoutable, hein ! Rare ment. Autrement dit,  A beau mentir qui vient de loin, Tout ce qui brille n’est point d’or. Méfiez-vous du rare ou dit tel (par exemple, le curare). Terminé ! Au suivant !

Va pour cette berline de série.
 Effectivement. On l’a construite à des centaines de milliers d’exemplaires. Grande consommatrice de salive, elle s’est révélée obsolète depuis que la nécessité de réduire la facture énergétique est apparue. Vous vous souvenez du temps, pas si lointain et encore actuel pour certains, où rares étaient les phrases qui n’avaient pas leur effectivement ? Ces modèles encombraient le trafic verbal et, à certaines heures, on frisait l’asphyxie, motrice, auditive et cérébrale. Alors ?... Voyons un peu. Effectif ment : la quantité nuit à la qualité, à l’authenticité. L’apparence est souvent trompeuse. L’habit ne fait pas le moine, et encore, Tout ce qui brille n’est point d’or. D’ailleurs en pétrissant quelque peu la pâte verbale, on aura : Évêque vite ment. Sa charge l’oblige souvent à dire des demi-vérités. Ève, active, ment. Est-il nécessaire de développer ?... Yvette augmente. Bon… Invective ment. La colère fait dire n’importe quoi. I » fait du vent. … Exact ! Et fées quittent Mende. Quoi ! Même Mende !… . Infect, Yves ment. Hou ! Le vilain ! Défèque vivement…  ça suffira. Suivant !

Tiens, cet énorme combi !
Cordialement. Il a bonne mine, inspire confiance. Il faut dire que la plaque minéralogique est belge. Mais avant de l’avoir aperçue, un doux fumet de frites nous invitait… cordialement, à approcher.
— Donnez-vous la peine d’entrer, Monsieur, Madame !
…
— Une bière ? Mais…  
— Ah, mais vous n’allez pas refuser une Gueuze Lambic, monsieur, savez-vous !
(Diable, c’est qu’elle est forte cette bière…)
— Oh, mais… vous jouez de cet instrument ?
— Oui Monsieur. C’est un Cor dit allemand, bien à tort d’ailleurs, car nous savons bien, nous autres, qu’il est wallon, enfin… belge. J’en joue chaque matin, au lever, et je suis célèbre dans mon immeuble à Charleroi.
Sur la paroi je remarque une carte postale de la Cathédrale du Mans.
— Vous êtes allés à…
— Oui, Monsieur. Mais un idiot a écrit dessus.
-?...  Corde y a Le Mans. Oh, mais c’est inattendu et intéressant. Permettez… .
 
(La phrase est certainement inversée. Il faudrait lire : Le Mans y a corde. Référence à l’Ordre des Cordeliers ?...  À moins que Cordes, dont l’s aurait été omis, nous renvoie à la cité albigeoise, dans le Tarn. [hum, les albigeois…, encore un champ à explorer]).

— Alors…, elle est bonne cette Geuze ?...
—… Oui, oui ! Mais le travail nous attend. Merci beaucoup !

Et il y a encore Corde d’Y à Le Mans. Y, commune de la Somme, entre Péronne, Roye et Saint-Quentin, porte le nom de commune le plus court. Alors, combien mesurerait une corde reliant Y au Mans ? Sur mon portable je consulte Google. Environ 260 km à vol d’oiseau, dois-je lui soutirer avec le concours de mon mètre métallique. Cordial ment. Ici il faut sous-entendre trop et entendre  jovial. Le vrai se contente de l’exactitude et fuit l’excès. Mais un cordial est aussi un alcool à ne boire qu’en des circonstances exceptionnelles. Corps dit allemand, corps de bâtiment, je suppose, comme la gare de Metz, par  exemple, avec sa toiture enfoncée en casque et son paratonnerre caractéristiques.

Un drôle de véhicule décapotable, en forme de poisson d’aquarium, bricolé à la diable… Enfin il a bien dû passer aux Mines pour être autorisé à circuler… Nous nous approchons des points mauves de sa carrosserie rose. Quelle touche !...  On a dû s’inspirer d’un projet de Gaston Lagaffe. Deux tourtereaux aux chevelures assorties, rose et mauve, nous font des clins d’œil complices. Quel genre ! … Qu’est-ce qu’i » faut pas faire dans c’métier !

 Inséparablement est le nom de l’objet roulant. Inséparable ment. Oui, car tout est séparable, même l’atome ! Un ceps par a’ble ment nous renvoie aux anciennes vignes romaines qui s’appuyaient sur ce conjoint ligneux pour croître et fructifier, l’association n’étant pas toujours monogamique ! Pétrissons davantage. Un d’ces paras bleus ment. Et d’abord, lequel ? Aie, on ne parle pas français !... Nous voilà bien ! … Vous savez, avec l’instruction qu’on leur donne, c’est pas étonnant. Bleu peut vouloir dire novice. Le para mentirait pour détourner certains soupçons. Et puis le sens obvie : la tenue bleue de ces paras n’est pas française ! Ne serait-elle pas bordure ? Zoé, note-le, il faudra vérifier. Il ne faut pas écrire n’importe quoi dans le rapport. Il est bien maigre ce poisson.

Allez, encore une pour finir la journée. Tiens, ce corbillard. Cela fera bien dans le tableau.

 Pompeusement. Pompeuse ment. Comment faut-il l’entendre ? La princesse aux falbalas ment. Ou bien cette ivrognesse dit n’importe quoi. Ou encore cette péripatéticienne ? Pétrissons… Pompe heu’eusement. Dieu merci, la grève est terminée aux Antilles et nos concitoyens vont pouvoir de nouveau abreuver leurs punaises à roues à la pompe pour enfumer et tout polluer !

Zoé, je suis vanné, pompé. On s’arrête. Que dirais-tu d’une bonne bière… de chez nous ?

                                                                                                                                       Léon Bouvard  &  Zoé Pécuchet

Comptage de l’opération : menteurs 13
                                                francs   16