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Tout est calme, le robinet goutte comme toujours, on devine l’agitation qui a saisi la cuisine quelques heures auparavant. Audrey s’assied et contemple la pièce. Des piles d’assiettes sales, des rangées de verres embués, des lignées de couverts souillés, des restes de préparations qui tournent de l’œil et le dessert, intact. Elle se lève pour éteindre le gaz. Un incendie, il ne manquerait plus que cela pour couronner cette désastreuse soirée. Quoique, oublier cet imbroglio en vapotant de la fumée noire ne serait peut-être pas une si mauvaise idée. Elle ferme le robinet sans succès – Mathieu sera parti sans prendre la peine de le réparer – et s’affale sur sa chaise. Elle se refait le film à l’envers. À quel moment les choses ont-elles tourné au vinaigre ?

 

Audrey et Mathieu avaient reçu un couple d’amis qu’ils n’avaient pas revu depuis le lycée. Mathieu et Cédric s’étaient rencontrés au détour d’un rayon de supermarché et Mathieu en avait profité pour les inviter à dîner. Les quatre amis partageaient leurs souvenirs et riaient de bon cœur ; les retrouvailles se passaient dans la convivialité comme s’ils s’étaient quittés la veille. Audrey songeait même aux futures soirées qu’ils pourraient passer ensemble. Jusqu’à ce que, quelques verres de vin aidant, Cédric amène la discussion sur un terrain graveleux.

— Et toi Mathi, tu te rappelles de la p’tite Paulette en terminale ? Tu lui courais après comme un chien fou.

— Bah arrête tes conneries Cédro ! rétorqua Mathieu.

— Oh le modeste, tu es le seul à avoir réussi à la mettre dans ton lit. On t’a tous envié à l’époque et on se demandait comment t’avais réussi ton coup, se moqua-t-il.

— Mais c’est qui la p’tite Paulette ? Je ne me souviens pas de cette fille, s’intrigua Audrey, mi-curieuse, mi-jalouse.

— Mais si, insista Cédric, la p’tite blonde aux jupes plissées et à la poitrine démesurée, elle portait des lunettes rondes.

— Non ça ne me dit rien, déclara Audrey un peu vexée.

— À moi non plus, ça ne me dit rien, appuya Laura. Ne cherche pas trop Audrey, sans doute un fantasme de trentenaires nostalgiques.

— Si Audrey, reprit Cédric, tu la connaissais, elle était au club de lecture avec toi, vous aviez même organisé une expo sur la bande dessinée.

— Ah mais oui ! Elle ne s’appelait pas Paulette, mais Pauline, corrigea Audrey.

— Nous les garçons, on l’appelait Paulette, rit Cédric. Paulette, femme à lunettes, femme à... Tu te souviens Mathi ?

Mathieu lui adressa un clin d’œil et tendit le plateau de fromages à Laura.

— Aïe, j’avais oublié votre humour dévastateur, taquina Audrey. Mais oui ça y est je la remets. Tu la connaissais toi aussi Laura, elle était dans les toilettes quand on avait fait le test. Tu te rappelles ? Une chouette fille même !

Laura blêmit.

— Bah désolée, je suis un peu maladroite, s’excusa Audrey en se resservant un verre. Mais quand même, on était tellement insouciantes, rigola-t-elle. Tu n’es pas la seule à qui c’est arrivé Laura... D’ailleurs la fameuse Pauline était bien embêtée elle aussi.

— Là je pense que c’est toi qui fantasmes, s’esclaffa Cédric. Comme quoi vous aussi les filles vous pouvez avoir la mémoire qui flanche, plaisanta-t-il.

— Ah si si, je suis formelle, répondit Audrey piquée au vif.

— Eh Cédric, renchérit Mathieu, tu te doutes quand même bien que Laura a vécu un peu avant de se mettre avec toi ?

— Évidemment, ce n’est pas ce que je veux dire, répondit Cédric d’un ton plus sérieux.

— Mais quand est-ce que tu as couché avec Pauline ? interrogea Audrey, curieuse.

— Je ne sais plus moi, répondit Mathieu. On s’en fout non ?

— Rassure-toi Audrey, vous n’étiez pas encore ensemble, c’était pendant le feu de camp qu’on avait organisé lors des vacances d’avril, dit Cédric.

— Et toi Laura, tu te rappelles quand est-ce qu’on l’avait rencontrée dans les toilettes ? C’était à quelle période ? insista Audrey.

— Oh oui je m’en souviens… soupira Laura. C’était au mois de mai.

— Mais tu te souviens de quoi Laura au juste ? C’est quoi cette histoire de test ? s’intrigua Cédric.

— En mai ?! s’exclama Audrey, mais on s’est mis ensemble en mai Mathieu ! C’est toi qui as foutu Pauline enceinte ou quoi ? demanda-t-elle perplexe.

— N’importe-quoi ma chérie, dit-il en l’embrassant.

Elle évita ses lèvres.

— Et pourquoi pas ? Avoue que la coïncidence est troublante, non ?

— Arrête mon cœur, oublie tout ça, je n’aime que toi, la rassura Mathieu en retentant une approche.

Audrey l’esquiva habilement.

— Non, je n’ai pas envie d’arrêter. Imagine deux secondes que ce que je dis est vrai. Et peut-être qu’elle l’a gardé le bébé Pauline, on ne l’a plus revue après le bac.

— Eh ne t’emballe pas Audrey ! tempéra Cédric. Tu te fais des films là.

— Ah oui ? Et comment tu le prendrais toi si tu apprenais que Laura avait peut-être un enfant d’un autre homme qui se balade quelque part sur Terre ?

— Ah ben ça justement ça ne risque pas d’arriver, souligna-t-il. Bref… tu extrapoles, Pauline n’était certainement pas enceinte de Mathieu.

— Je n’en suis pas si sûre figure-toi. Tout est possible. Et dis quelque chose toi Mathieu ! Si tu as un truc à avouer, fais-le maintenant !

— Arrête Audrey… tu deviens désagréable et tu vas gêner Cédric et Laura.

— Toi, tu as quelque chose à cacher, je te connais. Comment elle s’appelle Pauline ? C’est Pauline comment ?

— Pauline Lenôtre, renseigna Laura.

— Mais bon sang Laura, tu la connais ou pas cette fille !? lâcha Cédric.

— À quoi ça va te servir de connaitre son nom ? demanda Mathieu désabusé.

Audrey prit son smartphone en ignorant son compagnon qui la regardait faire. Cédric fixait Laura du regard.

— Elle a un enfant, annonça Audrey d’un ton dramatique.

— Qui ? demanda Mathieu.

— Ta pauline, elle a un enfant, c’est écrit sur Facebook.

— Et alors ? C’est noté qu’il est de moi ? se défendit-il.

— Ça, je vais vite le savoir, crois-moi !

— Si je peux me permettre Audrey, tu devrais faire confiance à Mathieu, intervint Cédric. Et puis tu sais, toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre.

— J’ai bien compris que c’était ta devise Cédric, ironisa Audrey, vu le déni que tu entretiens par rapport à l’avortement de Laura.

— Mais tu délires vraiment avec ça, s’emporta Cédric. Laura n’a jamais été enceinte et Laura n’a jamais avorté. Mets-toi-le dans le crâne une bonne fois pour toutes !

— Mais c’est moi qui l’ai accompagnée à l’hôpital alors arrête de t’entêter, dit Audrey autoritaire. Et puis franchement ce n’est pas un crime non ? Pourquoi cette idée te gêne tellement ? Je trouve que ce n’est rien par rapport à l’éventualité que Mathieu ait un bâtard.

— C’est vrai toute cette histoire ? demanda Cédric à Laura.

Laura soupira et baissa le regard.

— Mais comment est-ce possible Laura ? poursuivit Cédric.

—…..

— Oh oh je te parle, tu m’expliques ce bordel ? s’énerva-t-il.

— Calme-toi Cédric, ne parle pas sur ce ton à Laura, s’interposa Mathieu.

— Ah toi le semeur de bébés, t’as rien à me dire. Je parle comme je veux à ma femme, le rembarra Cédric. Alors je t’écoute Laura, enchaîna-t-il.

— Ce n’est pas le moment de parler de ça, protesta Laura.

— Ah ouais et tu comptais le faire quand ? s’insurgea Cédric.

— Mais c’est quoi le problème ? s’exclama Mathieu. Pourquoi tu te mets dans un tel état Cédric ?

— Le problème c’est que, comme vous avez pu le remarquer, on n’a pas d’enfants avec Laura, répondit-il, survolté.

— Et quel est le rapport ? poursuivit Mathieu.

— Non mais Mathieu, tu le fais exprès ou t’es complètement con ! explosa Laura.

— Oh eh, ça va aller les deux, je vous rappelle que vous êtes chez moi ici et que vous pourriez me parler avec un peu plus de respect.

— Ça y est, elle m’a acceptée comme amie, dit Audrey, plongée sur son smartphone.

— Non mais t’as pas fini avec ça, s’exaspéra Mathieu.

— Ben pourquoi Mathi, le nargua Laura, tu as peur qu’Audrey découvre tes petits secrets ?

— Pourquoi tu dis ça Laura, s’embrasa Audrey, tu sais quelque chose ?

— Ce n’est pas à moi de te le dire, Mathieu n’a qu’à assumer… répondit-elle sournoise.

— Non mais tu ne manques pas d’air Laura… déplora Cédric. Tu oses parler d’assumer !

— Assumer quoi ? s’agaça Mathieu. Je n’ai rien à voir avec l’enfant de Pauline.

— Si tu le dis… répondit Laura.

— Bon tu vas trop loin avec tes insinuations, s’énerva Audrey. Crache le morceau !

— Oui renchérit Cédric, crache le morceau une fois pour toutes.

— C’est vous qui me faites chier avec votre dîner à la con. De toute façon je n’avais pas envie de venir. Oui Cédric, je ne suis pas stérile et je te mens depuis des années. Je n’ai pas envie d’avoir d’enfants et c’est tout ce que j’ai trouvé à dire pour que tu me foutes la paix. Et oui Audrey, Pauline a un enfant de Mathieu. Comme tu l’as si élégamment rappelé à tout le monde, je l’ai rencontrée dans les toilettes, une vie de chiottes quoi ! Mais elle était bien plus en peine que moi, puisque le salaud qui l’avait foutu enceinte refusait d’en entendre parler. Et maintenant, démerdez-vous, je me tire. Bonne soirée ! balança-t-elle avant de claquer la porte.

Cédric devint rouge de honte et de colère. Il prit ses affaires et emboîta le pas à sa compagne avec un peu plus de discrétion que cette dernière, en adressant un timide et mensonger merci à ses hôtes pour la soirée.

Audrey, quant à elle, mit Mathieu à la porte en l’insultant de tous les noms.

 

Elle se retrouve donc seule, assise sur la chaise de la cuisine quand son portable vibre. Pauline lui envoie un message sur Facebook pour prendre de ses nouvelles. Elle jette le téléphone qui se fracasse sur le robinet. Ce dernier cesse alors miraculeusement de goutter.

Au moins une chose qui aura été réussie ce soir…

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Commentaires

Escampette
Merci beaucoup Croisic !

Merci beaucoup Croisic !

Croisic
La première lecture m'avait enchantée mais,

je n'avais pas le temps de laisser un message.

C'est donc avec un plaisir non dissimulé (oui j'aime la méchanceté)

que je viens de relire votre histoire.

J'ai vaguement pensé au film Le prénom pour le "ping pong" verbal et la progression dramatique.

Merci.

Escampette
Merci Pepito pour votre

Merci Pepito pour votre pasage et retour sur mon texte ;)

Escampette
Merci Pifouone pour votre

Merci Pifouone pour votre retour sur mon texte. La clarté du dialogue était ma plus grande préoccupation. Cric, je vois qu'elle a fait défaut quand-même. Merci de me le dire. Laura, apparaît tardivement, effectivement, elle est assez effacée au début et n'intervient que très peu jusqu'à l'explosion finale :) Des soirées comme ça, ça déménage, c'est sûr ;)

Escampette
Brume, merci pour votre

Brume, merci pour votre commentaire. Ce texte vous a plu, j'en suis ravie, merci pour votre commentaire construit et efficace.

 

Lulu, contente que vous ayez apprécié et merci pour les conseils :)

Pepito
Une comédie de mœurs acide,

Une comédie de mœurs acide, ou comment remuer les souvenirs désagréables.

 
J'avoue que j'aurai quitté la table bien avant la fin, tant chacun des convives me paraissait faux derche. "Mati" "Crédo" trois secondes après je suis dans le couloir.
 
Merci pour la lecture.
 
Pepito

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

pifouone
Bonjour Escampette. Jolie

Bonjour Escampette. Jolie performance. J'ai juste eu un peu de mal a suivre qui disait quoi en s'approchant de la fin malgré que les prénoms y soit bien détaillés. Par contre je trouve qu'il manque le prénom du quatrième (Laura) tout au début, il arrive bien tard dans le texte mais peut- être est-ce voulu. En tout cas ça change des soirées un peu trop pépère, y'a pas a dire !

Escampette
Merci Barzoi. Je crois que la

Merci Barzoi. Je crois que la conclusion que vous tirez est assez juste effectivement et plutôt sage. On peut tolérer des petits "écarts", dans ce texte, les secrets sont tout de même conséquents et un peu durs à digérer pour ceux qui les découvrent j'imagine ;)

barzoi (manquant)
Diner houleux

J'ai bien aimé, J'y vois une évidence, si on cherche l'absolue réctitude on risque de rester seul

brume
Portrait de brume
Bonjour,

Et bien la nouvelle porte bien son titre.

ça va crescendo, la discussion est vive, gênante, brutale.

Et franchement ils ont chacun leur tord, qu'est-ce qui a pris à Audrey de parler du test comme ça.

Les dialogues sont précis, ont sait qui parle, je n'ai pas eu besoin une seule fois d'y revenir.

Le trait de caractère de chacun est aussi bien souligné, je trouve Cédric très lourd avec son anecdote.

Vraiment je me suis régalée, bravo.

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