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  Anita attend son tour. Devant elle, une dame âgée dépose ses achats sur le tapis roulant, dans un rythme lent mais constant, une impression de scène au ralenti. Des potages, des yaourts, des pommes de terre… puis Anita cesse d’observer. Elle ne veut pas s’immiscer dans l’intimité de cette vieille dame qui, par son application et sa vigueur, force le respect. Sera-t-elle elle aussi encore capable de faire ses courses quand elle aura son âge ?

  Elle fuit cette idée et pense à son jean. Elle porte le bootcut, qu’elle a acheté la semaine dernière, au dernier jour des soldes. Quand elle a demandé à Olivier ce qu’il en pensait vu de dos, il lui a répondu « Mouais, ça va ». La vendeuse lui avait pourtant assuré que ce pantalon était fait pour elle et qu’en aucun cas, il ne desservait ses formes, bien au contraire. Maintenant qu’elle se retrouve coincée dans cette position, elle a des doutes et ne sent plus très à l’aise. Elle s’en voudrait d’offrir au client suivant, une vue décevante, surtout qu’elle a eu le temps de s’apercevoir quand il l’a rejoint dans la file, que ce monsieur était plus que charmant. Elle regrette d’être sortie si vite de chez elle, sans prendre la peine de s’apprêter. Elle aurait préféré avoir la nuque dégagée avec quelques mèches qui lui caressent le cou. Elle sait que cette vue-là plaît aux hommes. Mais elle se retrouve désormais avec les cheveux lâchés et le bootcut qui lui grossit les fesses. Flûte. Les gestes, toujours lents et soigneux, de la grand-mère n’annoncent rien de bon. Elle va devoir patienter dans cette posture inconfortable ou trouver un prétexte pour faire volte-face et offrir ce qu’elle juge plus appréciable à l’homme qui la talonne.

 

  Édouard bouillonne de l’intérieur. C’est bien sa veine de tomber sur cette grand-mère. C’est toujours la même chose, comme si les personnes âgées se sentaient obligées de faire leurs courses à l’heure de pointe. La nana devant lui se comporte bizarrement. Elle n’arrête pas de se passer les mains dans les cheveux pour les relever, puis les relâche dans un souffle. Sans doute a-t-elle chaud, sans doute s’impatiente-t-elle, elle aussi. Elle ne tient pas en place et commence sérieusement à l’agacer. Elle tire sur son pantalon pour le remonter comme si elle allait le perdre. Édouard a l’impression d’avoir devant lui une fillette de cinq ans, gesticulant dans tous les sens. Il pousse un énième soupir et regarde son panier.

Le dîner de ce soir s’annonce extra, détendu et romantique comme il les aime. C’est le grand soir, il espère que ça va marcher. Depuis le temps que tout ça traîne avec Mathieu, il est temps de passer à la vitesse supérieure.

 

  Laurence en a ras-le-bol des courses et ras-le bol de voir son caddie plein à craquer de petits pots, de couches et de lait en poudre. Elle repense à avant, la vie d’avant, quand elle aussi franchissait la caisse des supermarchés, avec juste un panier à la main : un assortiment de fruits de mer et une bonne bouteille de vin. Elle envie la liberté qu’elle devine dans les achats du client qui la précède. Affalée sur le bord du charriot, elle s’agace d’entendre les râles de cet homme qui n’a pas conscience de sa chance. Qu’est-ce que ça peut lui faire d’attendre quelques minutes à la caisse ? Laurence, elle, ne se plaint pas. Ça lui fait un break. Sûr qu’elle aurait préféré se faire un cinoche ou une manucure pendant que les enfants sont à la crèche mais ce n’est pas avec des ongles bien vernis ou du Johnny Depp plein les yeux qu’elle nourrira les petits ce soir. Elle regarde la jeune femme, celle qui occupe la deuxième position. Elle a l’air belle et bien foutue. Un bootcut, elle en rêve mais ce n’est pas demain la veille qu’elle pourra rentrer dedans. Surtout que Thierry parle déjà du troisième. Ça l’épuise, rien qu’à l’idée. La jeune femme a de longs cheveux libérés, Laurence, elle n’a jamais le loisir de les détacher, comme elle fait l’impasse sur la douche un jour sur deux et qu’elle n’a jamais le temps de les coiffer, elle les attache, c’est plus commode. Et puis elle a appris à anticiper, au bout de deux marmots, on commence à comprendre qu’il faut planquer tout ce qui traîne, y compris ses cheveux si on ne veut pas se les faire arracher.

 

 Quand elle prend place dans la file, Myndie détourne le regard. La simple vision des couches dans le caddie qui se desserre pour lui faire de la place lui comprime les boyaux. Demain. Demain, elle saura. Le verdict va tomber. Sa mère lui rappelle sans cesse de ne pas s’inquiéter mais elle sait bien que si les résultats ne sont pas bons, elle traînera la sentence comme un boulet, toute sa vie. Une femme qui ne peut pas avoir d’enfants n’est pas une vraie femme. Voilà ce que pensent sa mère en réalité, et son mari et toutes ses soi-disant copines qui font mine de la soutenir. Cette mère juste devant elle la dégoûte, elle pue la fierté et l’autosatisfaction, exhibant aux yeux de tous un bonheur version Blédina.

 

  Jeanne étouffe. Trop de monde à la caisse. Elle sent leurs regards pesants et lourds de sous-entendus. Elle ne va pas assez vite, une bonne à rien de caissière. Elle regarde l’horloge, plus que quelques minutes avant que sa collègue ne termine sa pause. Et Mme Genêt qui n’avance pas. Elle l’aide comme elle peut, lui emballe ses achats pour lui faire gagner un peu de temps. Jeanne se désole. Comme d’habitude, les clients ne font pas un geste pour donner un coup de main. Puis c’est encore elle qui va payer les pots cassés. Elle n’est pas près de maintenir sa moyenne de 25 articles par minute. Elle peut faire une croix sur le podium de la meilleure hôtesse de caisse ce mois-ci et se préparer aux remontrances. Mais tout ça lui importe peu, ce qui la gêne, c’est cette ambiance malsaine qui se crée dès que la file s’accumule. À chaque fois c’est la même chose. Les clients, ainsi collés les uns aux autres, ne se parlent pas, se toisent et cette promiscuité silencieuse et forcée empoisonne l’air et les esprits. Et ça, plus le temps passe, moins Jeanne le supporte.

 

17 h 30 : un appel au micro annonce l’ouverture de la caisse deux. Les clients se dispersent dans un soulagement généralisé et le bourdonnement sourd qui les accompagnait s’éteint. Chacun reprend sa route et sa vie,  jusqu’à la prochaine fois.

 

 

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Commentaires

luluberlu
Portrait de luluberlu
Bah ! il faut prendre du

Bah ! il faut prendre du recul. On en fait tous, certaines sont justifiées, d’autres moins. Petit à petit, l’œil s’aiguise. Ça oblige à faire un travail sur son vocabulaire. Je suis sans arrêt, quand j’écris, le nez fourré dans le dico que j’ai mentionné. J’apprends plein de mots nouveaux et ça m’oblige à utiliser celui qui me semble le plus approprié... Même si ça fait râler Pepito :-))) (PAF ! lévigé le Pepito !8) ).

Après, attention à ne pas perdre le plaisir d’écrire. Chacun fait comme il peut et veut... Le plaisir avant tout.

Escampette
Merci Luluberlu ! La honte

Merci Luluberlu ! La honte (50 "elle"), je me cache sous le tapis. Bon j'ai un peu trop tendance à vouloir souligner le propos n'est-ce-pas ;) Si c'était mon intention m'enfin là je suis un peu lourdingue je crois !

 

Je ne l'ai pas assez relue et suis restée trop près du 1er jet car dans les premiers jets, que de répétitions !

 

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Pour les répétitions, il y a

Pour les répétitions, il y a le répétoscope ICI

Dans les aides il y a plein de liens vers des sites utiles : http://ecriptoire.org/content/liens-utiles

dont le répétoscope (que j'utilise aussi). Il suffit de faire un copier/coller.

Pour les synonymes/définitions/etc. : http://www.cnrtl.fr/synonymie/synonyme

Il y a 50 « elle » et 9 « qu’elle » pardon

 

Résultats de l'analyse

Hit-Parade de votre vocabulaire :

 

[50] elle [12] dans [9] cette [9] qu’elle
[9] faire [7] C’est [7] comme [7] pour
[6] temps [6] plus

 

Néanmoins, parfois les répétitions servent à souligner le propos. si si...

Escampette
Bonjour Brume,   Je suis très

Bonjour Brume,

 

Je suis très contente que vous ayez apprécié mon texte. Et merci infiniment pour toutes ces remarques précieuses et pertinentes. Je m'en vais de ce pas corriger mon texte, zoup :)

Escampette
Pépito, merci pour votre

Pépito, merci pour votre commentaire, je ne suis pas peu fière que cette lecture vous ait plu ;)

 

Escampette
Merci pour tous vos conseils

Merci pour tous vos conseils Luluberlu dont je prends bonne note et contente que vous ayez apprécié !

brume
Portrait de brume
Bonjour Escampette

J'ai adoré votre nouvelle, les sentiments des clients et de la caissière sont bien mis en valeurs et les mettent en chair.

Mais des sentiments négatifs de gens pressés, agacés, tristes, envieux les submergent et plombent l'atmosphère.

Par contre trop de répétitions:

comme les répétitions du pronom "Elle" qui à mes yeux sont inutiles et doivent être supprimés: 

"sera t-elle elle aussi encore capable de faire ses courses quand elle aura son âge."

"Sans doute s'impatiente-t-elle, elle aussi"

"Laurence, elle ne se plaint pas..."

"Laurence, elle n'a jamais le loisir de les détacher..."

D'ailleurs c'est fou le nombre de "Elle" répétés dans votre nouvelle.

 

Je ne trouve pas utile de répéter deux fois les mêmes mots à la suite comme:

"Sans doute a t-elle chaud, sans doute s'impatiente t-elle"

"Laurence en a ras-le-bol des courses et ras-le-bol de voir son caddie..."

"Elle repense à avant, la vie d'avant.."

"Elle sent leurs regards pesants et lourds de sous-entendus."

Pesants et lourds veulent dire exactement la même chose.

je trouve que ces répétitions cassent la fluidité et n'apportent rien de plus.

 

 

Pepito
Et bonjour Mme, j'en ai un

Et bonjour Mme, j'en ai un peu plus j'vous l'met aussi ?

 
Bon, il m'a fallu aller chercher "bootcut"... je pouvais m'en passer. ;=)
 
Excellent cette succession de moi intérieurs, avec leur illusions et désillusions.  Une pointe d'humour affleurante, jamais lourd et tellement vrai.
 
Merci pour cette lecture.
 
Pepito

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

luluberlu
Portrait de luluberlu
J’ai relevé qques pbs qui

J’ai relevé qques pbs qui pourraient facilement être corrigés :

1) Sera-t-elle elle aussi encore capable de faire ses courses quand elle aura son âge ? pour quoi écrire « Sera-t-elle elle aussi » ? « Sera-t-elle encore capable de faire ses courses quand elle aura son âge ? » ne conviendrait-il pas ?

2) des virgules en trop ? qques exemples :

et qu’en aucun cas, il ne desservait

au client suivant, une vue décevante

rejoint dans la file, que ce monsieur

si vite de chez elle, sans prendre

etc.

Virgulite ? Pour se soigner, rien de tel qu'une lecture à voix haute.8)

3) Édouard bouillonne de l’intérieur. Ben oui, de l’intérieur (me semble inutile parce que si c’est de l’extérieur, va falloir faire gaffe)pleasantry.

4) Mais tout ça lui importe un peu ou lui importe peu ? expression con sacrée :-)

5) A chaque fois : À (voir : http://ecriptoire.org/content/les-règles-typographie-et-astuces)

 

Bon, hormis ces qques détails, j’ai apprécié. C’est finement observé et traduit... C’est pourquoi je ne mets plus les pieds au supermarché... pas si super que ça d’ailleurs. Quoique ! un bootcut bien moulé pourrait me faire changer d’avis.

 

 

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