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En voiture les voyageurs... Prochain arrêt à Vintimille. Le train s’ébranle, le quai aussi, dans l’autre sens. Petit Nicolas n’a pas assez de ses yeux, de ses oreilles et de ses narines pour tout absorber. Maman n’a pas besoin de lui redire qu’il faut rester tranquille. Il est muet comme une carpe. Il en oublierait presque de respirer. Ce qui le tracasse, c’est ce que maman lui a lu sur la petite pancarte au-dessus de la portière, tout à l’heure : « Il est dangereux de se pencher »... Aussi, s’est-il assis sur la banquette en restant bien droit, en faisant attention à rester bien raide, à garder son centre de gravité bien coincé dans sa petite caboche. Une fois la chose bien installée, il est entièrement libre de s’adonner au plaisir de satisfaire sa curiosité. Et là, il se régale.

Par la fenêtre, il trouve très amusants ces fils électriques qui montent et qui descendent. Ça descend, ça remonte et toc : un poteau. Ça descend, ça remonte et toc un autre poteau. Oui, bon, ça endort un peu à la longue... Tiens, le monsieur en face est intéressant. Comment fait-il pour attacher ses chaussures avec un si gros ventre ? Nicolas vérifie si ses lacets ne sont pas défaits. Un coup d’œil vers le bas, léger basculement de la tête. Stop : Il-ne-faut-pas-se-pencher. Rectifions la position.

Qu’est-ce qu’il est rouge ce monsieur ! Il a dû rester trop longtemps devant le four quand sa maman y a mis la tarte à cuire. Ou bien, il a beaucoup couru avant de venir. Il a peut-être fait plusieurs fois le tour de la maison, comme Nicolas quand il sent des fourmis dans les jambes ou des sortes de petits ressorts sous les pieds. Alors là, il faut qu’il gigote tout de suite. Peut-être qu’il a couru pour chercher ses chaussettes, parce que justement, il n’a pas les deux pareilles. Est-ce qu’il le sait ? Oui, sans doute. Il en a une toute grise et l’autre bleu marine. L’autre grise devait avoir un trou. Alors il a pris une bleue marine. Mais pourquoi pas l’autre bleu marine ?... C’est là qu’il a du faire plusieurs fois le tour de la maison en courant, pensant qu’elle était tombée quand on a rentré le linge sec du jardin. Maman aussi, l’autre jour, avait laissé tomber un torchon et une chaussette de papa.

Tiens, il s’est rasé la moustache, mais le reste s’est sauvé jusque dans le nez. Il y a des moustaches comme çà. Elles ont tellement peur du rasoir, qu’elles remontent vite et se cachent dans les premiers trous qu’elles trouvent. Et paf ! dans le nez ; bien malin celui qui va venir me chercher là. C’est pas bête les moustaches quand même. Ah ! mais il y en a même qui ont pu arriver jusqu’aux oreilles ; oui, je les vois qui dépassent un peu.

Tiens, une mouche. Ça alors, Nicolas n’avait jamais vu une mouche en voyage... Elle est maline cette mouche. Elle devait vouloir rendre visite à de la famille elle aussi. Elle est si petite... C’est pratique le train. Pas besoin d’acheter son billet. Je me faufile et hop ! Ni vue ni connue. Personne ne fait attention à elle. Elle est tellement contente qu’elle inspecte le wagon d’un bout à l’autre ; de l’avant vers l’arrière et retour de l’arrière vers l’avant. Et là, c’est très fort : parce que sans se fatiguer elle va même plus vite que le train. Nicolas se demande quel est le nom de cette petite futée. Voyons... et Zu... la voilà qui passe ; et Zul... la voilà qui repasse. Voilà, elle s’appelle Zulma. Zulma, coucou tu as de la chance de pouvoir voler partout sans que personne ne te remarque. J’aimerais tellement me promener avec toi si j’avais des ailes...

Zulma en a assez maintenant de ces aller-retour. Elle vient se poser sur le chapeau de la vieille dame à côté du gros monsieur. La dame s’est endormie sous son chapeau en forme de gamelle renversée, comme celle de Toby le chien des voisins. Elle dort la bouche un peu ouverte, et à chaque expiration le dentier d’en haut en tressaute d’aise. Nicolas ne peut plus détacher ses yeux de ce visage énigmatique. Derrière les lunettes, les paupières en papier de soie semblent posées sur d’énormes poches de peau flasques. Elles sont énormes ces poches ! C’est plus des poches, c’est des escarcelles !... Elles retiennent la peau d’en dessous qui est toute froncée et ballotte. On dirait le tablier de cuisine de maman, avec ses deux jolies poches de devant !
Tiens, voilà Zulma qui descend de la « gamelle » pour une petite promenade sur les branches de lunettes. Un peu de patinage sur les verres et un petit tour sur la moustache. Mais fais attention à la bouche, voyons c’est dangereux !... Nicolas articule sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche : Zulma, at-ten-tion ! Cette fois Zulma est au bord du gouffre. Ça y est, elle tâte le bord des lèvres d’une patte. Alors, Nicolas ne peut se retenir, et dans un hurlement :

— Non, Zulma, Zulma !
 
Une bombe vient d’exploser dans le wagon.
La dame se réveille en sursaut. Les lunettes manquent de tomber en se mélangeant les branches. Les escarcelles protestent en supportant des globes oculaires qui tourneboulent dans tous les sens. Le dentier se planque sans rechigner sous la moustache qui se hérisse.
Le ventre du monsieur sursaute lui aussi ; et les pieds dans les chaussettes dépareillées se tortillent dans un affolement complet.
Le journal du ventru glisse de ses mains et roule aux pieds de maman qui est furieuse. Le monsieur se baisse pour le ramasser.
Non ! pense très fort Nicolas en fermant les yeux : il va faire craquer son pantalon, et puis il-ne-faut-pas-se-pencher...
Il sait qu’il est l’auteur de tout ce désordre, mais qu’importe puisque Zulma est sauvée !!!

 

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Commentaires

luluberlu
Portrait de luluberlu
Tu as aussi le don de te

Tu as aussi le don de te glisser dans la caboche de la mouche et de prendre le train sans escarcelle délier ! yahooTu es aussi, manifestement, une spécialiste des moustaches. Comment as-tu appris tout ça ???? Quant à arriver aux oreilles, peut-être qu’il avait un collier le bonhomme ?

Tu sais quoi ? Je me suis gondolé en lisant ton opus... Comme les fils électriques.

Excellent. Merci de nous en avoir fait profiter.dance

plume bernache
          Encore plus amusant

 

  

 

   Encore plus amusant à la lecture qu'à l'écoute !
Tu as vraiment le don pour te glisser dans la caboche de ce gamin et emprunter son regard qui déniche les détails les plus insolites . 
 J'aime particulièrement la moustache qui fuit devant le rasoir et se cache dans le nez ou les oreilles…les paupières en papier de soie …et les "escarcelles"(ah, la contrainte subtilement casée !). Quant à la mouche qui va plus vite que le train sans se fatiguer, ça pourrait donner lieu à un problème de certif'?

 bref, je me suis bien amusée à cette lecture et je ne m'endormirai plus jamais la bouche ouverte s'il y a une Zulma dans les environs...sauf s'il y a aussi le petit Nicolas !clapping

        l'amie-plume

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