
Marcel était un très gros cahier à la couverture rouge plastifiée. Le pauvre faisait au moins dix centimètres d’épaisseur et depuis le début de l’année scolaire, de semaine en semaine, il n’avait cessé de prendre du poids. Il ressemblait dorénavant à un soufflet en éventail.
On était au début du mois de mai et Marinette avait de plus en plus de mal à enfoncer Marcel dans son petit sac d’école.
Han ! Vas-tu rentrer Marcel ?... Vas-tu rentrer !
Bercé par ce journalier refrain, le temps s’écoula, lentement, sans accrocs, cajolé par les fragrances du bonhomme Printemps.
Juin s’approcha, s’accrocha et finit par s’évaporer sous les puissants rayons du roi soleil.
Dernier jour d’école
Vacances d’été.
Marinette avait méticuleusement collectionné le savoir distillé par sa maîtresse et Marcel, le très gros Marcel, le très très gros Marcel en payait les conséquences, bravement, sans jamais rechigner. Tel était le devoir, telle était la destinée d’un cahier d’écolier ! Mais aujourd’hui Marcel, le contrat est rempli, la retraite est là, tu vas pouvoir te reposer.
Pour Marinette cette date avait un tout autre son de cloche, c’était aussi le jour de son anniversaire. Signal de départ donné par la maîtresse, Marcel fit un dernier effort pour s’amincir et faciliter la tâche de Marinette qui avait beaucoup de choses à préparer pour ses invitées.
Han ! Ferme le cartable et vive les vacances !
Ses sept meilleures amies assises autour de la table garnie de plaisirs, Marinette ne pouvait souhaiter plus merveilleux moment. Seule ombre au tableau, l’inévitable présence des jumeaux catastrophes, ses jeunes cousins. Pour l’instant, ils avaient investi la chambre de Marinette à l’étage et c’était autant de tranquillité de gagnée autour de la table. Pourtant, lorsqu’une de ses amies pointa un doigt fébrile vers l’une des fenêtres grandes ouvertes, Marinette aurait dû faire le rapprochement avec l’étonnant silence qui régnait à l’étage depuis un petit quart d’heure.
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Oh, regardez !...
Trois très élégants tours de salle et la chose se posa comme une plume sur la part de gâteau de Marinette.
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... Un bel avion en papier pour l’anniversaire de Marinette ! Comme c’est trognon !
Cette dernière commençait à sourire de cette attendrissante attention.
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Mais... comment avez-vous pu...
Elle écarquilla les yeux, tordit la tête et lut l’inscription qui décorait une aile.
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... nette CORZAL... voir de français... 18/20 !!
L’avion fut déplié fébrilement, et malgré la crème qui le maculait par endroit on put lire :
Marinette CORZAL – Classe de CM1 – DEVOIR DE FRANÇAIS du Mardi 15 Avril -- Note 18/20.
Ouuuuille ! Le dossier de la chaise n’avait pas touché le sol que Marinette disparaissait sous les regards éberlués de ses amies. Des pas rapides dans l’escalier, une porte qui s’ouvre et puis... le silence. Le silence revenu à l’étage.
Mains posées sur une bouche grande ouverte, Marinette vit d’abord le pauvre gros Marcel qui n’était plus gros du tout. Il n’en restait que la couverture vide, ouverte et inutile sur ce qui fut une solide spirale dorée où s’accrochaient encore quelques déchirures gribouillées. Ses yeux se levèrent lentement vers les jumeaux dont l’un, ou peut-être bien l’autre, mouillait avec application et gourmandise la pointe d’un très joli avion en papier et...
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Vole le navion ! Vole !
Marinette s’approcha de la fenêtre, écarta les deux sourires et se pencha.
Partout ! Partout ! Partout !
La pelouse, les buissons, les arbres ! Tous étaient parés des entrailles de notre pauvre gros Marcel pour qui l’automne avait pris un peu d’avance. S’en était bien fini de lui... quelle tristesse mes enfants...
Mais, ne pleurez pas, ne geignez pas ! Finalement, quelle formidable destinée, pour Marcel, que de voir les écritures de sa Marinette ainsi éparpillées aux quatre vents à la conquête du monde ! Quel meilleur messager, quel plus fou coursier que le vent léger qui doit se lever en cette fin de journée ? Non ne pleurez pas, ne geignez pas ! À quelle meilleure disparition pouvait aspirer Marcel que celle d’être effeuillé par des petites mains innocentes (hum !) cadencées par cette comptine que ses pages n’avaient jamais portées.
— On aime Marinette un p’tit peu, CHRAC ! Pas beaucoup, CHRAC !... Euh ? Pas du tout, CHR... ah non ! On l’aime un p’tit peu, CHRAC ! Beaucouuuup, CHRAC ! À la folieuuuh, CHRAC ! Et PAS DU TOUT ! CHRAAAAC !!
Marcel comprit, accepta son sort, se ferma et, comme un bienheureux, s’endormit le sourire aux couvertures.
Les contraintes : ICI

Commentaires
Coucou pifouone!
De la poésie, de l'imagination…et deux affreux jojos, p'têt ben cousins (sans le savoir) avec Paulo ?
plume au vent
"J'adore ! j'adore !"... Vous me verriez Anika, j'en suis tout rouge de vous avoir offert un petit plaisir dont je ne me sens pas du tout capable. Merci beaucoup quand même, les gens sont trop gentils et c'est tant mieux ! Mais bon, je dois avouer que j'ai quelque peu oublié que c'était pour les moins de douze ans, pas grave.
Amitiés
Didier
J'adore le p'tit navion, j'adore le 18/20, j'adore le CHRAAAC !!!! bravo, bravo les enfants -et leurs parents- vont se régaler !!
Merci Jamijo pour votre gentil commentaire. Manque d'imagination dites-vous ? A vous lire vous me semblez pourtant en parfait état de marche. Je ne lis pratiquement jamais de poésie mais la votre m'a touché. Je vais de ce pas lire les autres "Crabes". Bonne soirée.
Bonsoir Poussière.
Moi aussi je suis heureux de revenir sur ce site et de vous y retrouver. Vous continuez à me prêter des petits talents que je n'ai pas Poussière, mais bon, je prends pendant que c'est chaud, tant pis pour ma modestie. Le temps, c'est le temps qui me manque pour faire tout ce que j'aimerais faire mais c'est un peu notre cas à tous, sauf les chanceux retraités.
A bientôt.
Didier
On est sensible à la vie de ce gros Marcel, si cher au coeur de Marinette et si plein de sa vie d'écolière sérieuse et studieuse. Après tout, allégé des devoirs de toute une année scolaire, il semble très heureux lui aussi et il se sent en vacances à son tour. Bravo à l'auteur d'avoir une telle imagination, j'admire celà car je n'en ai aucune. Je ne peux écrire que du vécu. bonne journée et merci encore de m'avoir fait rêver avec ce Marcel.
Quel plaisir de vous retrouver pifouane, la plume alerte et l'imagination vive. Au bonheur de vous lire...