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Marcel était un gros cahier à la couverture rouge plastifiée. Le pauvre faisait au moins dix centimètres d’épaisseur et depuis le début de l’année scolaire, de semaine en semaine, il n’avait cessé de prendre du poids. Il ressemblait dorénavant à un soufflet en éventail. On était au mois de mai et Marinette avait de plus en plus de mal à enfoncer Marcel dans son petit sac d’école.

Les premières douleurs apparurent à cette période. Marcel sentit poindre une inquiétude. Ces tiraillements inhabituels ne présageaient rien de bon. Le mal semblait prendre racine dans sa colonne vertébrale, la spirale métallique dont le rôle était de maintenir ses pages, comme autant de membres flexibles et indépendants mais solidaires.

Le médecin que l’on fit venir sans tarder diagnostiqua une élongation insidieuse. Rien de grave, juste un avertissement qu’il ne fallait cependant pas prendre à la légère. La cause étant clairement établie : surcharge volumique. Il allait falloir réagir en conséquence et dans les plus brefs délais, avait conseillé le Docteur. Le confort au quotidien de Marcel en dépendait. Une grande prudence était recommandée : toute déformation supplémentaire risquerait d’entraîner des dommages irrémédiables. Ces mots claquèrent aux oreilles du pauvre malade, produisant l’effet d’un coup de tonnerre et son ressort, dans la partie cervicale, se contracta d’effroi.

Marinette était restée très discrète pendant l’auscultation, silencieuse et attentive. Elle éprouvait un sentiment de culpabilité grandissant. Le rouge lui monta aux joues. Elle venait de comprendre combien Marcel lui était cher et quelle égoïste elle avait été !

Marcel ? C’était un cahier de plus dont elle n’avait pas eu besoin au moment de la rentrée. Un cahier en trop. Alors, elle l’avait d’abord abandonné au fond d’un tiroir, sans air ni lumière.

Hélas ! dès le premier jour d’école, la maîtresse lui avait asséné la pire nouvelle de sa jeune vie : Nathalie avait déménagé ! Nathalie, son unique amie ! Elles avaient partagé tellement de secrets et de bons moments depuis deux ans. Cette complicité, un vrai miracle, avait permis à Marinette, d’un naturel très timide, de briser sa coquille de solitude. Nathalie était partie habiter loin et avait dû changer d’établissement. Les deux filles ne pourraient plus se revoir avant les grandes vacances, et encore, si leurs parents respectifs les y autorisaient.

Marinette avait gardé intactes toutes les émotions de ces jours lugubres où elle avait erré, comme orpheline, jusqu’à s’égarer dans son chagrin. Elle en voulait à ses parents pour leur silence, à ses camarades d’école, à la terre entière. Le soir dans sa chambre, elle laissait couler les larmes qu’elle retenait durant la journée.

Un mercredi après-midi, alors qu’elle jouait seule selon son habitude au fond du jardin, elle se prit le pied dans une racine du vieux tilleul et trébucha. Elle se retrouva nez à nez avec un superbe crocus mauve au cœur jaune. Il lui sembla n’avoir jamais rien vu d’aussi délicat.

C’est ainsi que débuta son engouement. Elle commença à tracer, colorier, ou peindre, selon son humeur, sur de petits rectangles de papier à dessin, des fleurs vraies ou imaginaires, aux formes libres et généreuses, de toutes les couleurs. Elle se découvrit une préférence marquée pour les teintes vives et jouait des ressources des surligneurs fluo avec beaucoup de plaisir. Elle créa un herbier à sa façon, unique en son genre, qui eut le don de lui réchauffer le cœur. Elle reprit ainsi goût à la vie, entraînant Marcel dans sa passion. Elle le mit naturellement à contribution pour héberger ses œuvres. L’artiste était prolifique et Marcel, esthète à ses heures, se réjouissait, accueillant tout ce petit monde à feuilles ouvertes.

Marinette s’en voulait terriblement. Ses élans botaniques, ses débordements créatifs, tout son trop-plein de solitude qu’elle avait imposés à Marcel avaient sérieusement compromis la santé et le bien-vivre de son confident. Elle réagit promptement, opéra une sélection sévère, ne laissant aux bons soins de son cahier-ami que ses plus belles réalisations.

La douleur disparut rapidement, l’échine se détendit. Ému de ces marques d’affection, Marcel se sentait comme un nouveau-né. Alors, il ferma ses pages et, comme un bienheureux, s’endormit le sourire aux couvertures.

Les contraintes : ICI

 

5.04
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Commentaires

plume bernache
anatomie

 

  J'aime bien la description anatomique de ce Marcel :"la spirale métallique - colonne vertébrale -dont le rôle était de

 

  maintenir ses pages comme autant de membres flexibles et indépendants mais solidaires"; je ne sais pourquoi ce passage     m'évoque un groupe d'humains…genre "atelier d'écriture" ? Pauvre spirale métallique !pleasantry

 

  J'ai bien aimé la petite Marinette en train de dessiner ses fleurs et ensuite son sentiment de culpabilité ; elle a bon coeur   cette petite.

  Très joli texte, plaisant et bien écrit.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Marinette et Marcel s’aiment.

Marinette et Marcel s’aiment. Normal : M aime M (et réciproquement). C’est très féminin de confier ses états d’âme à un cahier, et ça évite la spirale de la déprime et la surcharge volumique pour cause de boulimie. Humour et tendresse dans ce conte. Un de plus pour l’an prochain (il faudra l’illustrer et le lire aussi). J’ai pris contact avec l’atelier de peinture. Je vais essayer de faire des binômes : conteuse/peintre. Un beau projet de Kamishibaï en perspective. 

voir : http://www.lejardindekiran.com/fabriquer-un-butai-modele-pour-kamishibai-traditionnel/

pifouone
J'aime beaucoup le début

J'aime beaucoup le début (description de l'état de santé de Marcel), avec Nathalie je trouve que ça déraille un peu et re j'aime beaucoup avec l'herbier et surtout la très jolie dernière phrase. Bravo.

 

Didier

Jamijo
Portrait de Jamijo
Cher Marcel

j'ai bien aimé l'histoire, mais j'ai du mal à croire que son auteur est un enfant de moins de 12 ans. Si cela est vrai, c'est un futur grand écrivain. De plus, sans faute d'orthographe !!!

Il est vrai que le matériel scolaire est souvent surchargé, martyrisé, pour peu de résultats. Bravo, félicitations au jeune auteur en lui souhaitant un avenir dans ce domaine merveilleux de l'Ecriture.

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