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Je fuis mon chez-moi qui m’étouffe, qui me vampirise. Une promenade au parc me ferait le plus grand bien, j’ai vraiment besoin d’être seule et de respirer.

Je franchis la barrière et me sens immédiatement réconfortée par cette verdure qui m’attire et m’apaise. Seulement… J’ai à peine fait cent mètres, je ne sais quel instinct me pousse à me retourner.

Un énorme chien noir s’engage à son tour sur le chemin caillouteux d’un pas décidé. Il ressemble à un bas-rouge, une de ces races qui m’impressionnent, sans doute à cause de leur mauvaise réputation, parce que, personnellement, je n’ai rien à leur reprocher. J’ai beau regarder au loin en amorçant une prière désordonnée, personne ne l’accompagne.

Je suis figée sur place, je sais qu’il est là pour moi. Il est venu pour me ramener, pour me prouver que je ne suis pas le maître de mes volontés, que l’heure n’est pas à la promenade et que la route sera encore longue pour acquérir ma liberté.

Depuis que je l’ai repéré, je ne l’ai pas quitté des yeux. Il avance, à pas réguliers et décidés, droit vers moi, effrayant. Il ne regarde que le sol. Je distingue nettement ses babines retroussées sur ses mâchoires serrées et, couvrant ses crocs, une bave très blanche, épaisse. Ce ne sont pas quelques filets de salive qui coulent, c’est une masse solide, compacte, immobile, qui semble murer l’entrée de sa gueule.

Tout chez lui me fait penser à un robot. Ses pattes s’activent, mécaniques, et réduisent l’espace entre lui et moi. Je balaye l’horizon, nous sommes seuls, je suis désespérément seule. Mon cerveau est paralysé, j’ai les jambes flageolantes. Il parvient à ma hauteur, imperturbable, me dépasse en gardant ses distances, fait encore une dizaine de pas. Je détaille son corps, robuste, musculeux. Je vois se dessiner les mouvements de ses efforts sous son pelage brillant. Je caresse un court instant l’espoir qu’il continue sa balade sans se préoccuper de ma présence. Peine perdue.

Il amorce un demi-tour sans modifier son rythme cadencé, se retrouve face moi. Cette fois, il lève les yeux, l’espace d’une seconde, et nos regards se croisent. Il n’y a pas d’urgence dans l’ordre silencieux que je reçois. C’est juste impératif, sans discussion possible. La toute-puissance, le summum de la violence. Il sait que je sais. Il sait que je ne peux que lui obéir.

En mode automatique, mes jambes se mettent en mouvement. Mon cerbère me suit, à quatre ou cinq mètres, il a calqué son allure sur la mienne. Il garde la tête baissée, semble ne pas faire attention à moi. Je suis totalement soumise. Une image me vient, terrifiante, qui écarte toute velléité de résistance. Je l’imagine, en une fraction de seconde, me sauter à la gorge dans un acte de violence inouï et me regarder me vider de mon sang. Juste punition pour avoir voulu désobéir, m’échapper de son emprise. Ce scénario est délirant mais mon intime conviction est que je suis dans le vrai. Aussi, j’avance sans hésiter jusqu’à la sortie du parc. Aussitôt franchie la barrière, je tourne à gauche pour rentrer chez moi.

Lui, il a rempli sa mission. Du même pas tranquille et mécanique, sans un regard dans ma direction, il longe la haie à droite, babines retroussées, tête baissée. La bave blanche et solide qui ne tremble pas lui barre la gueule à l’horizontale. Un couple de passants marque un temps d’arrêt en voyant ce molosse qui les ignore divaguer seul. Je sais au moins que toute cette histoire n’était pas qu’une hallucination.

Tremblante, je m’assois sur un muret providentiel. Mon cœur bat la chamade et résonne jusque dans mes oreilles. Peu à peu me reviennent les sensations ordinaires. Le bruit des voitures, l’odeur du bitume, un léger souffle de vent. Mes épaules se détendent et s’affaissent. Je lâche un soupir énorme, suivi d’un sursaut brutal quand mon chat Léonard vient se lover, sans aucune douceur, au creux de mes bras.

5.04
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Commentaires

Escampette
Bonjour,   J'ai bien aimé le

Bonjour,

 

J'ai bien aimé le rythme vif de votre texte. L'enchaînement de phrases courtes me plaît et colle bien au propos.

 

J'aimerais savoir ce que le narrateur fuit exactement. Je l'ai imaginé s'échappant d'un hôpital psychiatrique et rappelé par un chien de garde qui avait l'habitude de ce genre de missions. Envie d'en savoir plus.

 

Lui, il a rempli sa mission < je supprimerais "il"

 

Et réduisent l'espace entre lui et moi < entre lui et moi me fait buter, c 'est un peu lourd

 

Merci pour ce texte.

 

 

darlène
Merci Pepito

Merci Pepito pour suggestions diverses dont je n'ai retenu que "fond très bon" :)!!
Je plaisante, pas de méprise!!

Dans les détails, je dois bien reconnaitre qu'il y a eu bcp de laisser-aller.

Tous ces qui, qui.. qui déclenchent tous ces Harghssssorry, sorry

Je préfère "contourner", car je tiens à Ma barrière.

Le "bien que" est nettement plus adapté, mais je garde mon "en"amorçant.

Muscle avec musculeux la ligne au-dessus... à cours de synonyme, pas sportive!

 Et pas d'inquiétude, y'a du rab d'historiettes ( à re-travailler) au fond de mes tiroirs,

darlène
Désolée

Désolée, Greg pour "anecdotique" et "aurait valu la peine ".

Je tâtonne.

Un peu de travail et je pourrais sûrement faire mieux. 

Tout avis est précieux. Merci.

darlène
Respire!

 Respire! prevedC'est fini, j'suis passée à aut'chose depuis. Merci Plume pour n'y trouver que du bon

Pepito
Bonjour Darlène, Forme :

Bonjour Darlène,

 
Forme : perfectible. Je suis allergique aux "qui" alors 3 en 2 phrases... ;=)
- "Franchir la barrière" donne l'impression de la "sauter", "portail" ou équivalent serait plus juste.
- le "parce que" gagnerait à être un "bien que"
- "en" amorçant une prière, remplacer par une ","
- "le mouvement de ses efforts" ? "de ses muscles"
- "intime conviction" hmm, expression trop entendue dans les tribunaux
- un "robot" pour de la bave, du muscle, un regard hmmm, là je ne sais pas pourquoi, mais cela m'a gêné.
- "qui (hargh !) les ignore" me semble en trop, et coupe l'effet (par ailleurs excellent)
- Hargh, la fin, quel dommage, l'ordre des mots !
 
Fond : très bon, le coté angoissant, montant et descendant. La réaction des passants prouvant que le chien n'est pas imaginé. La fin, en dernier sursaut, juste que "mon chat Léonard" doivent être les derniers mots. ;=)
 
Merci pour cette lecture.
 
Pepito
 
PS : rien à voir avec l'écriture, peut-être éviter de vider d'un coup son stock de nouvelles. Laisser d'autres auteur(e)s s’intercaler. ;)
 

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

Greg (manquant)
C'est un peu anecdotique.

C'est un peu anecdotique. Vous avez croisé un chien... et alors ? Si en rentrant chez elle, la narratrice avait fait quelque chose de nouveau qui résolve le problème initial, à savoir que son chez-elle la vampirise, le texte aurait valu la peine.

plume bernache
    Quelle drôle d'histoire !

 

  Quelle drôle d'histoire ! Angoissante à souhait...Tu as trouvé des formules efficaces pour créer le malaise:

"il n'y a pas d'urgence dans l'ordre silencieux que je reçois. C'est juste impératif....il sait que je sais. Il sait que je ne peux que lui obéir" Et cette évocation de "bave blanche solide qui ne tremble pas" a quelquechose de terrifiant je ne sais pas pourquoi.

Bravo!

 

 plume tremblante

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