Accueil

            L’objet gisait au milieu du sentier parfaitement insolite dans ce cadre bucolique.

            Gérard faillit poser le pied dessus.

            Cela faisait une bonne heure qu’il courait. Il avait passé le seuil où la douleur fait place à une bienfaisante euphorie. Ne pas bloquer le flux d’adrénaline. Respirer calmement.

            Ce truc au milieu du sentier l’intriguait tout de même un peu…

            Il en fit le tour sans cesser de trottiner et en soufflant consciencieusement.

            Mais bon, un petit vent du nord commençait à se lever. Ne pas se refroidir. Allez, allez ! Il verrait çà au retour.

Tout en continuant son ascension, il repensait à cette chose qui avait freiné sa course.

Que faisait-elle là, au milieu du chemin ?

Probablement déterrée et poussée là par quelque sanglier. N’avait-il pas remarqué dégringolant du talus en surplomb, des cailloux et de la terre fraîchement remuée ?

L’endroit était inaccessible à tout véhicule… même à pied, il avait dû contourner pas mal de ronciers et d’amas rocheux. En maints endroits le sentier se perdait sous les ajoncs ou les fougères géantes. Il ne devait pas y passer grand monde…

C’était la première fois qu’il venait courir dans ce coin-là… et la dernière ! Trop chaotique. Casse-jarrets et coupe-rythme.

Ce matin, il avait voulu éviter le sol détrempé de la vallée. Mauvais pour la vitesse. Et le brouillard. Mauvais pour les poumons. C’est pour çà qu’il avait affronté le mont de la Grandusse.

Justement, il venait de déboucher là-haut dans les prairies, ébloui par le grand soleil. Le spectacle à ses pieds était grandiose : le brouillard en effervescence essayait vainement de gagner les hauteurs. Seuls, émergeaient le clocher du village, et la cime des cèdres bleus du château. Gérard constata que le versant qu’il venait de gravir était sûrement l’endroit le plus boisé de la région.

            La contemplation du paysage ne le retient pas longtemps. Il n’est pas là pour çà. Ses muscles sont chauds, il est en sueur. Pas question de se refroidir.

Être en forme dimanche prochain. Vital !

« Si on perd encore le prochain match, on redescend en 3e division. C’est çà que vous voulez ? Alors les gars, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Toi, Gégé, t’as intérêt à assurer. Tu sais qui garde la boutique en face ? Torinal ! J’te fais pas un dessin. »

Il entame la descente. Aussi difficile que la montée à cause des pierres qui roulent. Gaffe où tu poses les pieds mon Gégé…

Torinal, putain ! Un cauchemar ce mec… laisse rien passer. Une forteresse ! Concentration. Accélération. Contrôle du souffle… maîtrise du mouvement.

 

À mi-parcours, il s’accorde une pause. Courbé en deux, mains sur les genoux, il expire profondément.

Tiens, sur le sentier, voilà l’objet qui l’avait arrêté à la montée. Du pied, il écarte les végétaux qui le masquent :

Un bonnet ? Un casque !

Mais qui n’a rien à voir avec les casques actuels en plastique fluo, bigarrés, de motards ou de vététistes...

Celui-là est gris-vert. Terne. Austère. En tissu raidi par les moisissures et les lichens. De chaque côté, quelque chose qui ressemble à des écouteurs intégrés.

Gérard ne pense plus à courir. Ni à respirer. Torinal est bien loin…

D’un revers de pied, il retourne l’objet. Une lanière de cuir sombre se déroule, terminée par une boucle rouillée. À la fixation qui la relie au casque, pend une grappe de feuilles et de mousses agglomérées. Sa main s’attarde sur l’agglomérat et commence à l’émietter machinalement.

Surgie du passé, la voix de son grand-père :

       « Un avion de la Luftwaffe… Abattu par les Alliés »

Tous ces mots qu’il ne comprenait pas. Trop petit.

Ses doigts s’enfoncent au cœur de la grappe.

       « Le pilote a pu sauter »

            Du bout des doigts il effleure le casque, la boucle, la lanière, la fixation,

       « Parachute en torche »

Son ongle rencontre une consistance qui rappelle celle de ces « langues de bœuf » proliférant sur les vieilles souches.

       « Le corps du boche retrouvé fracassé sur les rochers de La Grandusse. »

Comme aspiré, son index plonge brusquement au milieu de la matière.

                   « Pas beau à voir… »

Un jus noirâtre remonte entre ses doigts.

Relent de champignon en décomposition.

Sueurs froides. Cœur qui s’emballe… Oh nom de Dieu !

Une nausée le submerge. Il lâche le casque, le projette au sol.

Il secoue sa main avec frénésie et s’enfuit en hurlant.

Cette dernière phrase qu’il avait fini par croire inventée par son grand-père vient de lui exploser en plein cœur :

 

              « Le pilote n’avait plus son casque

                et son oreille gauche avait été arrachée. »

 

5.04
Votre vote : Aucun(e) Moyenne : 5 (1 vote)

Commentaires

Escampette
Bonjour,    J'apprécie le

Bonjour,

 

 J'apprécie le découpage en phrases courtes et en mots qui donne du rythme. Je regrette le contraste mis en place avec les descriptions plus longues qui qui ne m'ont pas trop emballée puisqu'à mon sens, elles ne servent pas le récit. Je pense que j'aurais aimé davantage de suspens par rapport à l'objet, à cet égard le mot "objet" ne fait pas sensation je trouve. Et j'aurais apprécié que vous fassiez durer la découverte de l'objet, le toucher, les senteurs, tout ça tout ça, slurp !

 

Merci pour ce petit footing !

Pepito
Haargh ! J'avions point vu

Haargh ! J'avions point vu les retours, mes excuses.

Me coller Zozo dans ls pattes, non mais.

Zola parle d'un arbre, dont l'état naturel est d'etre debout, d'ou gésir quand il est couché. ;=)

 

Là je m'accroche aux branches... ooooaaaaaaooooo !

 

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

plume bernache
   Merci pepitode vous être

 

  Merci pepito

de vous être attardé sur mon texte.

 Je vous trouve un tantinet chipoteur...Mais bon...

 Pour les trois premiers mots, ils ne me semblent pas inappropriés . Mais de toute façon, ils ne sont pas de moi. Désolée vous ne pouviez pas le deviner. Je reconnais que j'aurais dû mettre la première phrase entre guillemets.(voir ma réponse à luluberlu)

 

 En ce qui concerne la phrase"L'endroit était inaccessible à tout véhicule...même à pied il avait dû contourner pas mal de ronciers et d'amas rocheux"

j'admets que ma phrase est trop longue . J'aurais pû scinder après véhicule... et commencer une nouvelle phrase "Même à pied il avait dû..."

 

 Enfin n'avez-vous jamais vu deux joggeurs qui se rencontrent et se font un brin de conversation en trottinant sur place? On voit souvent cela dans les comédies américaines.

 

  Et pour finir sur une note appétissante en ce soir de réveillon, imaginez notre Gérard qui lâche le casque mais la "grappe" est gluante, colle aux doigts et Gérard doit secouer pour projeter le tout au sol !

 

  Allez, bon bout d'an ! Et beaux lendemains. winkwinklaugh

 

 

plume bernache
     Merci luluberlu d'étre

 

   smileyMerci luluberlu d'étre venu à la rescousse accompagné du collègue Zola qui n'est pas un débutant...

 

  D'ailleurs, la première phrase n'est pas de moi : Mea culpa, j'aurais dû la mettre entre guillemets. Il s'agit d'un incipit proposé pour un concours de nouvelles auquel j'ai participé il y a quelques mois.angel

 

      Bon passage d'an.laughlaughlaugh

 

 

plume bernache
  Bonjour Sarsa Bienvenue sur

  Bonjour Sarsa

Bienvenue sur le site.

Merci pour ce sympathique commentaire.

Auriez-vous des talents d'extra lucide?

Oui, Torinal a bien un cou de taureau.

wink

luluberlu
Portrait de luluberlu
@ Pepito à propos de gésir :

@ Pepito à propos de gésir : [Le suj. désigne une chose abandonnée, détériorée ; correspond à supra A 1 a] Être tombé, dispersé çà et là sur le sol. Des meubles, jetés dehors, gisaient sur le gravier de la terrasse (Zola, Débâcle, 1892, p. 369). Des clairières où gisent les arbres abattus (Moselly, Terres lorr., 1907, p. 248).

Va falloir écrire à Zola.big_grin

« Il en fit le tour sans cesser de trottiner et en soufflant consciencieusement. » : ben oui, j’ai pas mal fait de footing et il m’est arrivé de faire ça, même pour un objet peu volumineux.

« L’endroit était inaccessible à tout véhicule… même à pied, » : et le contexte alors ?

Globalement, pas trop d’accord avec cette analyse.angel

Pepito
Bonjour Plume,   Forme : bon,

Bonjour Plume,

 
Forme : bon, c'est pas le top.
- "gisait" : allongé sans mvt, pour un objet c'est le minimum
- "insolite""bucolique" frénétique ;=)
- "faire le tour sans cesser de trottiner" un casque de 2 mètres de long alors ? ;=)
- "inaccessible à tout véhicule... même à pied," là je me suis marré...
- "Il lâche le casque, le projette au sol." bon, là faut choisir : lâcher ou projeter ?
-... 
Pas mal de changement de personne, un coup l'auteur s'exprime directement, la seconde suivant c'est un narrateur extérieur...
 
Mais le prénom  "Gérarrd" rattrape tout ! ;=)))
 
Fond : pas mal du tout, on a envie de savoir de quoi t'est-ce que ça parle, donc !
Puis on sait.
Beuuuuurk ! génialement dégueu, j'adooooooore !
 
Merci pour cette charmante lecture. Encore !
 
Pepito

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

sarsa
Bravo Plume . Quelle belle

Bravo Plume .

Quelle belle description des songes d'un coureur à pied dans la nature !

Ce Torinal, n'aurait-il pas dans votre imaginaire un cou de taureau ?

C'est un bonheur de vous lire.

brume
Portrait de brume
Je ne comprends pas pourquoi

Je ne comprends pas pourquoi cette nouvelle est placée en catégorie fantasy? il n'y a rien de merveilleux, d'onirique, de surréaliste.

Le héros a de la consistance: on lit ses pensées, sa curiosité, sa peur. Le footing est bien mis en valeur avec les chemins empruntés, le héros dans l'effort. 

Je trouve que les phrases sont bien formulées, la ponctuation bien placée, et la structure de la mise en page ne m'a pas gênée.

Je trouve votre nouvelle vivante: décor, émotion, mouvement, description claire, pas trop de longueurs. Une nouvelle dont l'action démarre rapidement et qui m'a happée dès le début.

Dès la première phrase ont est déjà plongé dans le mystère, dans l'ambiance et c'est ce que j'aime dans une nouvelle.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Commentaire en cours

Juste pour m'amuser, j'ai passé le texte au répétoscope. Hit-Parade de votre vocabulaire surprise :

 

[7] avait [7] qu’il [5] casque [4] pour
[4] grand [4] pied [4] sentier [4] milieu
[3] doigts [3] L’objet

 

Synonymes de sentier : http://www.cnrtl.fr/synonymie/sentier/substantif

Pied et doigt, c’est plus difficile.

Je le fais aussi pour mes textes, c’est très instructif et ça permet de travailler le vocabulaire, de trouver le mot qui convient le mieux et d’éviter d’utiliser un même mot de manière trop proche. Bon, j’arrête de pinailler (à part pour la mise en page qui est un peut déroutante ou fantaisiste, comme on veutpleasantry).

 

Que dire, sinon que le style est bon (tiens ! on se croirait à l’école), la progression du récit correcte et la chute bien amenée. J’en suis tout essoufflé et un peu nauséeux (à cause de l’oreille).

 

Vous devez vous connecter pour poster des commentaires