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— Dis, on peut venir en vacances avec toi à Andernos ? Maman est d’accord.

 Ces chers petits, comment leur refuser ? J’acceptai tout de suite.

Cela faisait quelques semaines que je pensais à cette expédition. Histoire de décrasser mes poumons pollués par les fumées du ciel parisien. Et aussi pour ne plus entendre ma chère sœur Émilia me sermonner sans cesse : « Quand comptes-tu t’occuper de ta “surcharge pondérale” ? L’expression lui plaisait. Elle s’en délectait en dessinant dans l’espace une brioche très exagérée et en lançant vers mon abdomen un regard désobligeant.

Iode, air marin, exercice physique et un zeste d’aventure. Pour le régime, on verrait plus tard… voilà donc mon programme :

D’abord adapter mon véhicule éolien pour quatre personnes ; les deux enfants,

Silicio le marchand de sable flûtiste, et moi.

Je dénichai les accessoires indispensables à Boîtaclous l’incontournable magasin d’Andernos pour tout bricoleur un peu sérieux. Dix mètres de corde d’escalade, trois manches à balai que je fis découper en tronçons de cinquante centimètres, un bon soufflet, une burette de dégrippant “3en1” et un écouvillon de 4. Pour le cadre de vélo et le pédalier, le vendeur m’orienta vers le brocanteur voisin.

Les enfants eurent tôt fait de se procurer quatre petits moulins bariolés auprès du marchand ambulant de la plage. Le marchand de sable avait déjà fait le plein de son sac à la dune du Pyla : du super fin évidemment. Et sans plomb (rapport au poids) !

            Par une belle matinée d’octobre, nous partons de la plage des Quinconces sous le regard étonné des loutres et des poules d’eau. Un héron téméraire tente de grimper à bord.

— Désolé, c’est complet !

Silicio monte le premier à l’échelle de corde refaite à neuf pour l’occasion ; j’avais prévu juste assez de corde et de tronçons de bois pour les échelons. Nicolas et Pimprenelle le suivent, leurs moulinets fluo déjà frémissants dans le vent de terre.

Quant à moi, j’huile une dernière fois la chaîne de mon vélo. Cela amuse beaucoup le chevalier gambette en train de déguster des bigorneaux dans la vasière voisine en compagnie d’une aigrette garzette. J’endosse mon harnais et j’enfourche le vélo fixé juste en dessous de mon nuage de sport. Je commence à pédaler. Notre éolienne s’élève laborieusement. Je sue à grosses gouttes. Si Émilia me voyait, elle serait satisfaite. Silicio a pitié de moi et lâche quelques poignées de lest. Aussitôt nous nous élevons de plusieurs mètres. Il me semble entendre des cris de mécontentement venant d’une pinasse juste en dessous de nous. Un ostréiculteur est en train de déplacer une tuile chargée d’huîtres. Comme je suis un peu dur d’oreille, je ne comprends pas bien ses paroles. Les enfants, eux, éclatent de rire mais ils n’ont pas le temps de m’expliquer pourquoi. Le marchand de sable s’écrie : “Vite éloignons-nous, l’homme veut nous canarder. Le sable et ma formule magique soporifique ont fait bâiller toutes ses huîtres et elles se sont décrochées de leur support. Vite vite, pédale Bernard Hinours ! Plus fort. Hissez les moulinets les gosses ! Maintenant Nounours qu’est-ce tu attends pour te servir du soufflet ; c’est bien pour ça que tu l’as acheté non ?” Je n’ai pas le temps de répondre. Je pédale, je souffle, je peine, je transpire, je souffle… si j’avais su, j’aurais pas v’nu !

Une mouette nous croise et se met à rire bruyamment à bec déployé. Juste un cri d’elle et voilà toute la gent ailée du Bassin qui rapplique. De la réserve d’Arès, du domaine de Certes ; et surtout de l’île aux oiseaux. Ceux-ci sont les plus turbulents.

Sternes, cormorans, gravelots et pluviers, courlis et goélands nous entourent, nous ennuagent de plumes et nous assourdissent de leurs cris stridents. Nous volons à une allure folle, portés par toutes ces ailes de “pros” ; j’ai à peine le temps d’entrevoir les deux cabanes tchanquées entourées d’eau. Déjà la tête rouge du phare du cap Ferret émerge du brouillard marin. Mon soufflet de secours est devenu tout à fait inutile. Nous sommes transportés, propulsés par ces milliers d’oiseaux. Je ne pédale même plus. Ne le dites surtout pas à ma sœur Émilia ! J’ai même le temps de rêver. Avec tous ces volatiles, n’y aurait-il pas une fabuleuse source d’énergie renouvelable ? Il faudra que j’en parle à mon frangin l’Écolo.

Avec tout ça, je ne sais même plus où nous sommes. Silicio  a pris sa flûte, il l’a récurée avec l’écouvillon. Comme j’avais prévu, le conduit était rempli de ce sable si fin de la dune. En entendant la douce mélodie jouée par le marchand de sable, les enfants ont le vague à l’âme. Pimprenelle réclame sa maman. Cela ne dure pas car voici une cigogne du Teich qui arrive à tire d’ailes elle tient dans son bec un balluchon bien rebondi.

— Oh dit la fillette, je parie qu’elle livre un bébé dans une famille !

— Peuh… vous les filles, se moque son frère, vous êtes prêtes à croire n’importe quoi !

La cigogne se rapproche encore et dépose sur notre aéronef… un panier-repas ! Opération publicitaire dans le cadre des Éoliades. Il contient le menu type offert à tous les voyageurs croisant dans le ciel de la réserve ornithologique. Vol au vent, petits soufflés citron-ailes et des dragées (ça, c’est le cadeau de la maison précise la cigogne en faisant un clin d’œil)

— Ah ! tu vois ? triomphe Pimprenelle.

Pendant que nous nous restaurons, notre escorte ailée a un peu changé. Des bernaches, des oies cendrées et des outardes à tête bleue ont pris le relais. Elles sont beaucoup plus disciplinées que leurs collègues du Centre-Bassin qui ont dû regagner leur base. Nous volons en formation. Elles nous ont fait rentrer dans le rang.

Au loin sur la terre, on entend une cloche sonner les douze coups de midi. L’oiseau de tête cingle vers le soleil. Je vois de l’eau à perte de vue ; à vrai dire je suis même un peu aveuglé. Notre équipage éolien se retrouve inséré dans une rangée d’oiseaux superbes. Ceux-ci trompettent en fanfare un rythme hypnotique qui nous entraîne vers le grand large. Je me sens aspiré dans leur sillage. Juste un petit coup de pédale de temps en temps pour me donner l’illusion de participer. Les petits moulins fluo moulinent. Tant bien que mal, Silicio accompagne la fanfare à la flûte. Il a renoncé à distribuer son sable somnifère : trop risqué. Et s’il endormait nos guides migrateurs ?

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nicolas a reconnu le petit bonhomme chevauchant l’oiseau de tête.

— Nils ? C’est bien toi ? Où nous conduisez-vous ?

— Oui je suis Nils Holgersonn. Nous migrons vers l’Afrique !

Vers l’Afrique ! Mon rêve de toujours, moi natif des pays froids !

Salut vous tous en bas. Rendez-vous au printemps !

Thème proposé lors d’un atelier d’écriture à Bergerac (UTL : Université du Temps Libre).

Contraintes : voir ICI      

                 

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Commentaires

plume bernache
          Merci   

   

       Merci

    Luluberlu, Louis.P,  A.Nonyme, Sirye oleudaré, Anika

  d'avoir risqué avec moi ce petit tour dans les airs en compagnie de nos amis d'enfance Nounours, Nicolas, Pimprenelle.

 

   Que l'air de flûte du marchand de sable berce vos rêves de grands enfants!

 

      plume...au vent

sirye oleudaré
Belle balade dans les airs

Belle balade dans les airs au-dessus du Bassin.

Merci de ce rêve où les détails et noms d'oiseaux n'alourdissent rien.

sirye

 

A.Nonyme
nostalgie d'enfance

   Surtout que Nounours n'enlève rien à ses rondeurs , c'est tellement rassurant ...Les petits de maintenant en auraient bien besoin ! Félicitations pour toute la documentation aussi bien technique que ornithologique ! :)

Louis P.
Poésie et humour contribuent

Poésie et humour contribuent à ce joli conte, dans lequel on retrouve les personnages de la fiction Bonne nuit les petits, bien connus des enfants (mais peut-être pas ceux d'aujourd'hui)  : le marchand de sable, Nicolas et Pimprenelle.

Le narrateur est «Nounours» qui a pour sœur Emilia.

Nounours va prouver que, bien qu'il soit en «surcharge pondérale», il peut voler, s'envoler sur un engin fantastique, minuscule, et surchargé de personnes.

Il se veut léger, et bricoleur.

Il construit lui-même son vélo-éolienne, un pédal-haut, un pédal-air, bricoleur d'un féerique aux dimensions de l'enfance.

En guise d'éoliennes, des jouets d'enfants, des moulinets  ; pour produire du vent, un soufflet, le narrateur est sous son nuage.

Il se veut planeur rêveur, et se laisse propulser par des milliers d'oiseaux, par le peuple migrateur.

Il se veut aventurier et croise un autre personnage de fiction, Nils Holgersson, le voyageur merveilleux.

 

On joue plaisamment sur les mots, « pédale Bernard Hinours ! », « petits soufflés citron-ailes », etc.

On reconnaît les lieux survolés par l'équipage fantastique, on reconnaît le Bassin d'Arcachon.

 

Bravo Plume.

Une réussite, ce joli texte.

 

 

 

 

 

 

 

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Ah ! mais c’est qu’il s’agit

Ah ! mais c’est qu’il s’agit là d’une description presque clinique du matériel nécessaire (50 cm). Une telle précision mérite un constat de visu. Donc, amener l’éolienne à l’UTL me semble indispensable. Il y a même un écouvillon de 4. Décidément, il y en a qui ne grandiront jamaisbig_grin (et pas que Pimprenelle et Nicolas ). Merci pour ce beau voyage.

 

anika
épopée en éolienne

Toute la douceur du bassin transparaît dans ce beau texte inondé des milliers d'oiseaux qui le rendent si vivant. Merci pour cette aventure !

Anika

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