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Remonter à contre-courant

Jusqu’à la source des rivières

Comme ces grands poissons mourant

Aux rives froides des gravières ;

Retrouver de l’onde première

Sous le chatoiement argenté,

Les jeux d’ombres et de lumière

Au soir d’un jour désenchanté.

 

Donner au verbe indifférent

La force pure des prières

Que l’amour accroche en pleurant

À la grille des cimetières ;

M’enraciner comme le lierre

Aux lieux où je fus enfanté

Encore une fois, la dernière,

Au soir d’un jour désenchanté.

 

Susciter un visage errant

Juste en refermant la paupière,

Retenir, dans mon poing serrant

Des grains de sable et de poussière,

Par une grâce singulière,

La touffeur d’une nuit d’été,

L’essence d’une vie entière

Au soir d’un jour désenchanté.

 

Seigneur, déposez sur ma bière

Ce que les ans m’ont emporté,

Pour m’aider à porter ma pierre

Au soir d’un jour désenchanté...

 

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Commentaires

plume bernache
ballade

  

 Dès les premiers vers, ce poème a chanté à mes oreilles et à mon coeur, comme une chanson de Brassens ou de Ferré.

Il comporte une musicalité incroyable. Rythme et choix des mots créent une ambiance de tendre mélancolie.

Quant au thème développé, l'enracinement aux lieux de son enfance;ce retour aux sources"comme ces grands poissons mourants"...Très émouvant. Merci pour ce beau poème.

merseger
Ballade désenchantée

Je veux d'abord remercier Louis qui comme il sait si bien le faire a pénétré ce texte avec une accuité époustouflante, une qualité de recherche des symboles d'une extrême finesse, ce qui lui a permis de s'approprier tout ce que je souhaitais mettre de moi dans ce texte, allant parfois même au delà. Son commentaire porte sur le fond et non sur la forme ( je ne ferais à personne l'injure d'imaginer que cette forme est ignorée ou n'a pas été reconnue) mais je veux préciser pour répondre à certaines remarques que c'est celle d'une "petite ballade", forme médiévale utilisée par Villon, Rutebeuf et leurs contemporains. C'est une forme peu usitée aujourd'hui qui se construit en 3 strophes de 8 vers (s'il s'agit d'octosyllabes) suivies d'un "envoi" de 4 vers commençant par une apostrophe. L'ensemble doit être bâti sur 3 rimes suivant le schéma ABABBCBC. et BCBC pour l'envoi, avec retour du même vers aux 8, 16, 24 et 28. Ceci explique qu'une des rimes (ière pour moi) apparaisse 4 fois par huitain et deux fois dans l'envoi, ce qui fait un total de 14 qui peut paraître excessif, mais il s'agit là de la structure obligée d'une "petite ballade".(Cf Villon : La ballade des dames du temps jadis). Il est certain que ce type de poésie ne cherche absolument ni l'innovation, ni l'originalité du propos, mais juste une tonalité particulière et une harmonie qui rappellent qu'à cette époque la poésie était chantée et portait souvent sur des thèmes mélancoliques.

Merci de vous être arrêtés sur ce texte.

Bien amicalement.

 

J'ajoute Plume dont la grande sensibilité me touche beaucoup à mes remerciements .

Louis P.
Que faire «au soir d'un jour

Que faire «au soir d'un jour désenchanté»?

Dans ce temps, ce crépuscule, cette fin de journée qui est aussi une fin de vie, que faire  ?

Que faire quand, de plus, le jour est «désenchanté» : quand il déçoit, quand il manque de charme, d'émerveillement, quand dominent la tristesse et le désappointement ? Comment conjurer la mélancolie de ces moments-là  ?

 

«Remonter aux sources  » dit le poème, «  Remonter à contre-courant / Jusqu'à la source des rivières». Il faut donc remonter le temps, et chacun sait que le cours d'eau est métaphore du temps qui passe et qui «s'écoule». Mais chacun sait aussi que le retour en arrière dans le temps est strictement impossible. Le cours du temps est irréversible. L'imagination et la mémoire le peuvent pourtant, l'esprit seul peut nous faire quitter le présent.

Au soir désenchanté, retrouver donc par l'esprit «l'onde première». Retrouver l'énergie d'un commencement. Revenir à ce temps débutant.

Non pas mourir là d'où l'on vient «comme ces grands poissons mourants», mais retrouver la puissance d'un renouveau, percevoir «les jeux d'ombres et de lumière», retrouver une jeunesse nouvelle, la force des contrastes, ombre et lumière, quand au soir désenchanté tout est ombre sans lumière. Non pas mourir, mais renaître, de cette matrice d'où une fois déjà la vie fut offerte.

Revenir et «s'enraciner» aux lieux du commencement qui permettent un recommencement : «M'enraciner comme le lierre / Aux lieux où je fus enfanté»

 

Au langage aussi, il faut redonner du pouvoir pour recréer l'enchantement : «Donner au verbe indifférent / La force pure des prières».

La prière n'a pas un sens qui serait seulement religieux.

La prière, quand elle n'est pas une façon d'honorer son dieu, est l'expression d'un vœu, d'un désir. Par le pouvoir des mots, on croit infléchir un dieu, ou le monde, l'infléchir pour le plier à ses désirs. Les mots auraient une magie, une correspondance secrète avec les choses, et sur elles un pouvoir d'agir. La magie n'est rien sans les formules magiques, sans les mots adéquats. Et le Dieu de la Bible crée par les mots, au commencement était le Verbe, Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut.

Retrouver la magie des mots qui recrée tout un monde.

Cette «force pure», qui est plutôt «pure force», «l'amour l'accroche en pleurant / à la grille des cimetières» : force des prières en leur parole qui recherche à donner vie à ce qui n'est plus, à ceux qui ne sont plus, et leur accorde de fait une vie nouvelle, les mots sont un rappel.

 

Il y faut encore, pour réenchanter les soirs de mélancolie, outre le langage, une vision. Non pas en ouvrant les yeux du corps, mais ceux de l'âme et de l'imagination : «Susciter un visage errant / Juste en fermant la paupière».

Et puis une « grâce », nécessaire pour retenir dans le temps qui passe en « grains de sable et de poussière», « l'essence d'une vie entière ». Grâce spirituelle, dans la métaphore des événements d'une vie, passés au tamis de sa main, laissant les poussières s'écouler et se perdre, mais retenant dans son « poing serrant » les grains qui font la substance de toute une vie, de toute une existence.

 

La dernière strophe est une prière, mais cette fois-ci, c'est Dieu que l'on prie.

Et cette prière, cette fois, ne concerne que les seuls croyants, dont je ne suis pas.

 

On entend surtout, dans ce poème, une musique désenchantée et mélancolique à travers même une volonté et un effort pour sortir de ce « Soleil noir de la mélancolie ». Des accents nervaliens, en effet, se font entendre.

 

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Une assez longue litanie, un

Une assez longue litanie, un peu soporifique, avec un certain charme tout de même malgré le sujet traité... Mais pas désenchanté tout de même.

Néanmoins, je rejoins Brume pour les rimes en ère.

Spleen, quand tu nous tiens. À ne pas lire un jour de pluie.

K-tas-strof
Portrait de K-tas-strof
L'enchantement a du mal à

L'enchantement a du mal à percer, néanmoins "touffeur" m'a bien secoué. Qu'est-ce donc ?!!!

Les mots sont pourtant là, les maux aussi ne manquent pas sur un thème soulevé (l'indifférence) que je suppose en légères teintes.

Je m'accroche aux 4 derniers vers qui me sont plus "accessibles", beaux et bien amenés.

Difficile de dire plus. C'est une affaire de goût et j'ai adoré la cerise....

K

K'adore ou K'pitule ... des fois :-)

brume
Portrait de brume
Bonjour, Je me suis laissée

Bonjour,

 

Je me suis laissée emporter par la force tranquille de votre poème.

Une douce mélancolie survole vos vers avec grâce.

Mais ô dommage les nombreuses rimes en "ère" m'ont lassé. Je n'ai pas pu supporter leur sonorité plus longtemps, trop présentes donc trop bruyantes. 

L'agréable lecture du début a fini par devenir monotone.

Et le "déposez sur ma bière" on sent que c'est vraiment là pour la rime tellement ça n'a rien à voir avec le reste. Je ne vois pas du tout ce que la bière vient faire là, vous manquiez de rime en "ère" je pense.

A publier quand même car c'est un poème délicat et les images sont belles.

 

PS: concernant le mot "bière", désolée j'aurais dû me douter que ce terme peut avoir une autre signification, je comprends mieux maintenant.

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