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Ressenti d'amant

au centre des chutes.

 

Regard cacheté

sous les préaux courbes des paupières.

 

Chaque mot était un galop

torché de coton.

 

Autant dire.

 

Mais l'audience est vague

le doigt posé sur la bouche

et la condescendance.

 

Ma langue restera tendre

à perdre espoir 
 

 

 

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Commentaires

jfmoods
Portrait de jfmoods
La présentation et le titre

La présentation et le titre manifestent d'emblée la prégnance d'un phénomène de distanciation, d'effilochage du rapport amoureux. Le portrait de femme dressé ici est marqué par un jeu subtil (et particulièrement troublant) d'ambivalences. La perception du corps de l'autre oscille entre fermeture (adjectif : "cacheté") et promesses d'ouverture ("préaux courbes"). La lecture du commentaire de Louis sur la seconde phrase du poème a quelque peu troublé ma perception première. Faut-il, en effet, attribuer au locuteur la prise en charge de ce discours ? Rien ne semble l'indiquer explicitement et c'est bien là toute la richesse, toute la complexité, toute l'ambiguïté de ce passage. J'ai plutôt tendance à étendre l'ambivalence première du corps à celle de l'esprit, matérialisé par le langage de la femme, quelque part entre affolement ("galop") et retenue ("coton"). La forme elliptique ("Autant dire.") met en exergue le questionnement insoluble du locuteur face aux contradictions patentes dans l'attitude de l'aimée. Sera-t-il possible de dépasser le conflit intérieur, de subsumer l'inconciliable, de faire refluer l'autre vers la perspective d'une nouvelle communion ? Cela semble peu probable si l'on prend le temps de s'arrêter sur deux noms communs plutôt explicites ("audience" et "condescendance") qui traduisent on ne peut plus clairement un rapport d'inégalité dans la relation. Comme s'il s'agissait là d'une faveur accordée de suzeraine à vassal. De fait, le silence imposé ("doigt posé sur la bouche") ne saurait favoriser le retour d'une complicité perdue comme le signale suffisamment l'adjectif "vague". Le locuteur, bien que dépourvu de véhémence ("tendre"), n'est pas du genre à renoncer à argumenter avec toute la verve dont il est capable (métonymie : "Ma langue"), n'est pas du genre à renoncer faire valoir les droits imprescriptibles du couple. L'utilisation du futur ("restera") atteste de sa volonté de se battre le plus longtemps possible, de plaider sa cause jusqu'au bout du bout de sa patience, de sa bonne volonté. Cependant, comme le lecteur pouvait légitimement s'y attendre au travers des repérages sus-mentionnés, les dés étaient pipés d'avance (forme infinitive : "à perdre espoir").

 

Merci pour ce partage !

Louis P.
ex communion et ex communication

Un moment singulier dans ce poème, celui d'un entre-tien, d'une entre-vue : l'amant face à l'être aimé, à l'être auquel il était uni, et se vivait en communion, dans une alliance étroite du toi, du moi.

Une déchirure s'est produite, une fracture dans l'unité du couple, moment d'une tentative pour renouer.

 

Mais l'entre-vue est un échec : « regard cacheté ».

Tout commence par ce regard. Pas d'informations à donner sur un contexte, pas de mise en situation : juste une focalisation sur un instant, sur un regard.

Chaque mot du poème est un condensé de sens et d'émotion.

Ainsi ce mot : « cacheté » est riche d'évocations.

Il renvoie d'abord à ce qui est fermé, scellé. Des yeux voient, mais ne regardent pas. Ils ne s'ouvrent pas avec franchise sur l'amant qui leur fait face. Ils se dérobent. Ils s'oblitèrent, au sens premier du mot, celui d'un effacement.

« Cacheté » : le mot fait entendre une « cache », les yeux ne révèlent pas une intériorité, ils ne l'ex-priment pas ; ouverts, et pourtant fermés à l'expression ; ouverts, et pourtant non lancés sur celui qui leur fait face, non plongés en lui.

« Cacheté » : voilé.

« Cacheté » : les yeux ne sont plus propres à offrir une adresse, leur adresse, à recevoir ce qu'on leur envoie, à recevoir un message. On ne peut plus s'adresser à ces yeux-là.

 

Le regard coule

« sous les préaux courbes des paupières ». L'image est belle. Préaux arcades, découverts, mais où l'eau du regard s'écoule, s'évade, n'est que de passage, fuyante. Pas de regard fixé sur l'amant en face.

 

L'entre-vue s'accompagne de paroles, mais «chaque mot était un galop».

On imagine que c'est l'amant qui parle, sa conversation est précipitée, les mots se bousculent, chaque mot court après les autres. Il faudrait dire, tout dire, tant à dire, et à l'autre bout des mots, trouver la sensibilité de l'être dont le regard fuit ; une course pour trouver l'adresse d'un cœur, pour le rejoindre dans son éloignement, dans sa fuite, pour le rattraper, le retenir ; une course effrénée de chaque mot pour dire, tout dire, tout se dire, en chacun, dans les modulations de chacun.

 

Chaque mot est « torché de coton ». Les mots au galop ne sont pas des cris, pas des hurlements. Ouatés, ils ont leur coton ; « torchés », ils ont leur flamme, comme un tison, une torche, mais ne brûlent pas ; torchés ils ont leurs apprêts, texture coton, doux et tendres, ni négligés ni sauvages malgré leur galop.

 

« Autant dire », pour le dire en deux mots, tout ce discours, ce flux de paroles, tous ces mots trouvés pour unir, réunir, nouer, renouer, s'avèrent inefficaces.

« autant dire »: tant dire et si peu dire.

« autant dire » : l'expression est brève, succincte, elle condense toute une longue phrase. Se révèle ici, plus qu'ailleurs, le procédé métonymique et brachylogique de l'écriture propre à l'auteur.

Autant dire, on peut dire autant en deux mots, en un mot.

 

Si le discours porte peu, c'est aussi que « l'audience est vague ».

L'écoute est aussi vague que le regard. L'interlocuteur ( sans doute une interlocutrice) n'est pas entièrement présente à la parole.

Il (elle) a un geste : « le doigt posé sur la bouche ». Le doigt clôture la bouche, ferme la parole orale, mais fait signe de l'inutilité de toute réponse, de toute conversation, dévalue les mots, ce ne sont que des mots. Ce doigt sur la bouche, « et la condescendance », cette hauteur prise, au-dessus des mots, le langage rabaissé, lui et son auteur.

L'interlocuteur n'est plus, il est allocutaire, vers lequel court la parole, mais sans trouver son adresse ; il s'est placé hors communication, au-dessus et au-delà de la parole. Ainsi l'ex-communion est aussi une ex-communication.

 

L'amant éconduit n'y renonce pas pourtant, à la parole : « Ma langue restera tendre » ; il a foi dans le pouvoir des mots. Il ne renoncera pas non plus à sa tendresse. Pas de colère, pas de ressentiment. Elle le restera désespérément tendre, aimante, « à perdre espoir ».

 

C'est le texte émouvant d'un moment singulier, quand se vit, dans le regard et dans les gestes, la sensation d'une ex-communion, d'une unité de couple brisée qui ne réussit pas à se ressouder ; une sensation d'être en dehors de la communion et de la communication avec l'autre que l'on aimait, que l'on aime toujours et vous exclut pourtant de sa vie, de son intimité. Dans ce moment, se vit aussi le rapport au langage, son pouvoir et ses faiblesses.

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Déjà, le titre, à lui seul un

Déjà, le titre, à lui seul un poème : ex… communié. Il faut le lire ainsi pour qu’il prenne tout son sens.

Ici, l’amant reçoit sa lettre de cachet :

Regard cacheté

sous les préaux courbes des paupières.

L’ordre émane de la reine, le regard est incarcéré, l’amant exilé, chaque mot est effectivement « un galop ».

À l’évidence, cette « condescendance » n’est pas complaisante. « À perdre espoir ».

 

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