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Quitter la nuit. Les yeux ouverts.

 

Le soleil émerge de son bac de vide.

Jets d’échardes au travers des volets fermés.

 

Un rouge-gorge va se fracasser

Ce matin, tôt, sur la vitre.

 

Je me traque.

Creux d’une question.

"Rien ?"

 

Tout existe, sans plus.

 

Quelques grammes, tièdes encore.

 

Dans l'œil sans paupière

Un souffle sauvage,

Inconscient, incohérent.

Qui ternit.

 

 

J'écris comme on monologue.

 

Je poste ces mots de plume,

sans vie,

dans une boîte aux lettres.

L'inconnu.

 

Rien.

Tout empli de nature.

Y engorger du désir.

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Commentaires

RB
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Merci à vous deux. Bienvenue

Merci à vous deux.

Bienvenue jf...

A très vite.

Écrire, c'est se tenir à côté de ce qui se tait
Jean-Louis Giovannoni - extraits de Pas japonais

jfmoods
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Ce qui marque d'emblée la

Ce qui marque d'emblée la lecture, c'est l'alternance des types de phrases. Les infinitives, qui ouvrent et ferment le propos, sont porteuses d'injonctions. Les nominales dressent un constat. Les verbales tentent vainement de s'inscrire dans l'action, de dépasser la simple relation aux choses. Le rapport au temps et à l'espace est enkysté par l'insomnie ("Les yeux ouverts.", "Dans l'oeil sans paupière."). Sous la pudeur du paradoxe ("Tout existe, sans plus.") semble se murmurer, dans le secret du cœur, l'alexandrin le plus fameux de Lamartine ("Un seul être vous manque et tout est dépeuplé."). De fait, l'univers environnant est gangrené par la dureté des perceptions comme le manifestent la gradation ("Un souffle sauvage,/Inconscient, incohérent") et les métaphores construites sur des jeux d'oppositions. Le "bac de vide" fait immanquablement penser au réfrigérateur, si bien que le "soleil" en sort comme d'un compartiment à congélation. Les "jets d'échardes" mettent en exergue l'antithèse entre clarté extérieure et obscurité de la chambre. La violence visuelle du dehors est extrême qui se prolonge par l'image de cet oiseau s'écrasant de l'autre côté de la fenêtre fermée. Le rouge-gorge figure une vie ardente qui ne peut, hélas, plus se communiquer à un être resté englué dans la froidure et dans la nuit de l'âme. Comme dans d'autres poèmes (je pense, en particulier, à "Il pleut" de Francis Carco qui met en scène une situation différente), la vitre constitue une ligne de démarcation fondamentale entre soi et le monde. Un second paradoxe ("Je me traque.") traduit l'ambiguïté absolue d'une quête. Le questionnement est aride et les guillemets matérialisent une recherche infructueuse dans les tréfonds de l'être. "Quelques grammes", une quantité infime de chaleur, de tiédeur reste à disposition. Pas de quoi alimenter ce corps qui se défait graduellement de ses couleurs ("ternit"). L'incapacité du locuteur à partager sa solitude et sa douleur à travers un véritable échange (comparaison : "comme on monologue", métaphore : "mots de plume", expression : "sans vie") lui fait combler cette absence par le texte. Texte qui sera ensuite adressé ("Je poste", "boîte aux lettres"), comme une bouteille à la mer ("L'inconnu"), à un destinataire indéfini. Mais cette poste pourrait aussi bien compter parmi les lieux, nombreux, dévolus aux échanges virtuels, plus précisément aux lieux de partage de l'écrit... L'antithèse ("Rien"/"Tout") traduit une soif d'absolu et, par conséquent, un grand état de désarroi du locuteur, état amplifié par l'image finale d'une sursaturation exigée, forcenée des sens ("engorger du désir").

 

Merci pour ce partage !

luluberlu
Portrait de luluberlu
Après relectures multiples,

Après relectures multiples, je complète mon commentaire. Ce qui m’apparaît comme une particularité de ce poème, c’est le mélange des « genres ».

Haïku (je ne sais pas si les règles sont respectées, mais c’est pour moi sans importance, seul le fond importe) :

Je me traque.

Creux d’une question.

"Rien ?"

et

Rien.

Tout empli de nature.

Y engorger du désir.

 

Dualité, par l’association et la coopération de deux faits distincts :

– Quitter la nuit. Les yeux ouverts. Éveil, renaissance à la vie.

– Un rouge gorge va se fracasser... : extinction.

 

Des petits cailloux, semés un peu comme le Petit Poucet, qui font penser à des réflexions « philosophiques » :

– Tout existe, sans plus.

– J’écris comme on monologue.

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Je suis très sensible à ce

Je suis très sensible à ce genre de poème, où les choses sont posées, par petites touches délicates. Il y a de très belles choses comme (je cite en vrac) :

Je poste ces mots de plume,

ou bien :

Le soleil émerge de son bac de vide.

Jets d’échardes au travers des volets fermés.

 

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