Accueil

Les visiteurs inclinèrent la tête à l’énoncé de leur nom et fonction. Côté enfants, cette nouvelle provoqua une vive émotion. Un ministre pour un mauvais rêve et un peu d’eau par terre ? Peut-être… peut-être allaient-ils pouvoir attacher Bouillot sur leur chaise à trou ?

La Claque acheva les présentations.

—… M. le ministre, M. le secrétaire, permettez-moi de vous présenter, Paul Varland, Pierre Coudray et Jacques Morel… voilà, voilà, voilà… hem… les enfants, vous… vous pouvez saluer M. le ministre...

Les garçons se levèrent d’un seul mouvement. La Claque en profita pour s’essuyer discrètement le front. Pierre, Paulo et Jacky restèrent bêtement debout ne sachant comment on devait saluer un homme d’État. Paulo finit par s’avancer en tendant tout simplement la main.

— Bon ben... heu... ben salut m’sieur l’ministre.

Le ministre rit de bon cœur en tendant lui aussi la main à leur Paulo national qui n’arrêtait plus de la secouer énergiquement.

— Enchanté jeune homme, enchanté !

Le secrétaire rit à son tour, La Claque non. Paulo lâcha tout de même la main du ministre pour se saisir aussitôt de celle de son secrétaire. Il se tourna ensuite naturellement vers Claquedur. Le regard que lui lança son directeur le dissuada d’insister.

La Claque poursuivit.

— Très bien les enfants, très bien… je dois aussi vous apprendre que M. Balconnet est de passage dans notre ville pour inaugurer un nouvel orphelinat « Le Sans Soucis ».

Pas croyab' ! s’étrangla Paulo. Où ils vont chercher des noms pareils ?

— M. le ministre a donc chargé son secrétaire, M. Barrault, de sélectionner trois orphelins qui inaugureront à ses côtés les nouveaux bâtiments. Et comme me l’a appris hier soir par téléphone M. Barrault, c’est vous mes chers enfants, c’est vous ! qui avez été choisis, félicitation !

Pour les garçons, une seule question se posait. S’agissait-il d’une petite balade d’une journée ou bien allaient-ils changer définitivement d’orphelinat ?

Rouge de son audace mais avide de savoir, Pierre posa la question qui leur brûlait les lèvres.

— Euh… M. Balconnet, s’il vous plaît… est-ce… que cela veut dire que nous allons changer d’orphelinat ?

— Mais oui mon garçon ! Vous allez inaugurer les nouveaux bâtiments à mes côtés et puis après, vous y habiterez, à moins que vous ne vous plaisiez trop ici comme nous le porte à croire les alléchantes descriptions de M. votre directeur sur l’ambiance très… très familiale qui règne « Aux Heures Heureuses », vous avez bien évidemment le choix, vous n’êtes pas obligés de répondre tout de suite, nous vous…

— Pour moi, c’est tout cuit ! rugit Paulo en bondissant de sa chaise. J’vous suis avec ou sans bagages, et j’crois qu’mes deux boulets sont d’accord avec moi, hein les gars ?

Sous le regard fou de Claquedur, Jacky et Pierre évitèrent toutefois de répondre par une ovation. Ils se contentèrent d’opiner vigoureusement de la tête.

— Hem, hem… eh bien dans ce cas M. le ministre, si vous le permettez, plus rien n’empêche…

— Parfait M. le directeur, parfait ! Mon secrétaire va s’occuper avec vous des formalités, pendant ce temps, j’aurais grand plaisir à raccompagner ces garçons jusqu’à leur chambre pour qu’ils commencent à préparer leurs affaires. Le vieil homme se leva avec souplesse.

La Claque s’empressa de les raccompagner en multipliant les courbettes grotesques et formules de politesse extravagantes.

— Je vais faire appeler notre surveillant-chef, M. le ministre, il va vous indiquer le chemin.

Ce dernier n’était d’ailleurs pas très loin. En ouvrant avec empressement la porte de son bureau, La Claque provoqua du même coup le déséquilibre du fameux Bouillot.

Après l’entrée des garçons, le vilain curieux s’était empressé de coller sa meilleure oreille contre la porte. Cet entretien l’intriguait au plus haut point. Il se retrouva donc la tête collée contre le ventre du ministre ! Bouillot bafouilla d’incompréhensibles excuses et se mit à épousseter frénétiquement le veston de son grand grand grand patron. Claquedur lui donna aussitôt de violents coups sur les mains pour dégager l’homme d’État.

— Pourquoi faire grands dieux… finit par répondre le ministre sans quitter des yeux l’ignoble espion. Ces jeunes gens m’ont l’air assez dégourdis pour retrouver leur chemin… allons, je vous quitte M. le directeur. Le ministre serra hâtivement la main de La Claque ignorant celle que Bouillot venait de tendre. Votre… votre aide m’a été précieuse…

La Claque s’efforçait sans succès d’abaisser la main de Bouillot. Chaque fois qu’il appuyait dessus, le bras du gros se retendait en direction du ministre. La Claque finit par se placer délibérément devant son employé. Le ministre ne pouvait plus détacher ses yeux de la grosse main passant entre la hanche et le bras de Claquedur. Ce dernier n’y alla pas par quatre chemins et fourra la main indésirable dans la poche de sa propre veste.

—… ne… ne perdez pas de temps pour les formalités, termina le ministre le regard fixé sur la poche gigotante. Il faut que tout soit en ordre pour ce soir, sans faute !

Aidé par les coups de coude de La Claque, Bouillot reprit une partie de ses esprits, récupéra sa main et fuit en rasant les murs.

Son imbécile d’assistant disparu, La Claque se relança dans une série de ridicules courbettes.

— Vous pouvez compter sur moi M. le ministre… au revoir M. le ministre... tous mes hommages à madame votre épouse M. le ministre, ainsi que peut-être, termina-t-il en se rengorgeant d’espoir, peut-être pourriez-vous transmettre mes très respectueuses salutations à M. le président de la répu…

Le ministre n’avait pas attendu la fin de la phrase pour s’éloigner avec les enfants. La Claque continuait à parler tout seul en multipliant les ronds de jambe.

—… ce soir M. le ministre ? ne put se retenir Jacky une fois passé l’angle du couloir.

— Mais oui mon garçon, ce soir ! répondit l’agréable bonhomme. Pourquoi attendre ? j’ai cru comprendre que malgré le beau discours de votre directeur, rien ne vous retient véritablement ici, me tromperais-je ?... Écoutez-moi bien les enfants. Il leur désigna d’un geste large l’ensemble des bâtiments. Votre séjour au sein de cet endroit peu… accueillant, prend fin ce soir à dix-huit heures précises. Mon chauffeur, M. Barrault, viendra vous chercher, avec ou sans bagages ! souligna-t-il d’un clin d’œil complice à Paulo. Plus rien ne peut empêcher que les choses se passent ainsi. Le ministre consulta sa montre et commença à s’éloigner tranquillement. Allons, maintenant je dois vous quitter, mais n’oubliez pas ! dix-huit heures précises ! je vous attendrai à l’autre orphelinat pour vous y accueillir. Ah ! j’oubliais… pour vous, mon petit nom c’est Riton, alors plus de M. le ministre, d’accord ?… À ce soir les enfants ! Sur un dernier sourire, il s’éclipsa.

— Mince alors ! Paulo avait encore une main levée en signe d’au revoir.

— Tu l’as dit bouffi ! répondit Pierre en se précipitant vers son armoire. Les valises ! Vite !

Pas un mot, pas une parole ne furent échangés pendant qu’ils entassèrent leurs affaires dans des valises couvertes de poussière, rien que des regards furtifs où se bousculaient encore la joie et le doute.

— Rien n’arrêtera not’ départ, RIEN ! il l’a bien dit, hein les gars ? hein ?… rien ! Paulo s’énervait à fermer sa petite valise trop pleine. Il s’assit dessus en jurant comme un charretier. J’le savais moi… han !… j’en étais sûr qu’on moisirait pas ici… ha ! ha ! ha !... j’en étais sûr moi !... han !

Leurs bagages reposaient à leurs pieds. Les portes de leurs armoires se refermaient lentement sur un intérieur aussi triste qu’un parc d’attractions fermé. Ce fut Paulo qui leur apprit que l’entretien dans le bureau, le retour à la chambre et enfin le remplissage des valises n’avait duré qu’une demi-heure. Qu’il était sept heures trente-cinq, qu’ils n’avaient pas déjeuné et qu’il ne fallait plus y compter. Jacky ouvrit la bouche et la referma.

Les garçons s’assirent sur leur lit, les yeux rivés sur la pendule. Il restait dix heures trente à vivre entre ces murs. Tout le monde semblait les avoir déjà oubliés.

Jacky rompit le silence.

— Dites ? vous avez entendu comment il nous a dit de l’appeler le ministre ? « Riton » c’est drôle tout de même, vous trouvez p...

— Bon sang d’bonsoir ! coupa Paulo. J’arrive toujours pas à y croire, on s’taille de c’mouroir ce soir ! Il se leva et commença à tourner sur lui-même, bras grands écartés. Vous vous rendez compte les p’tits mecs ? CE SOIR ! tous les TROIS !

Ce fut le signal. Tout ce qu’ils avaient subi ici et avant ici, la misère de leur vie d’orphelin, les brimades, les corvées, les coups… tout s’en allait, aspiré par une tornade d’euphorie. S’en suivit un concert de cris ou percèrent les yahous stridents d’un Jacky métamorphosé en ballon de basket. Pierre ne résista pas plus que les deux autres à ce tourbillon libérateur. Le couple Paulo-Jacky venait de se lancer dans une dévastatrice valse viennoise, quand Pierre tourna son regard vers la porte. À sa tête hagarde et son regard figé, Paulo lâcha son cavalier. Tournoyant sans fin, Jacky alla s’écraser contre une armoire dans un bruit de tôle froissée.

— Qu’est-ce t’as p’tit Pierre ?… Paulo se tourna lui aussi vers la porte. T’as vu un fantôme ?

 

5.04
Votre vote : Aucun(e) Moyenne : 5 (2 votes)

Commentaires

luluberlu
Portrait de luluberlu
Riton ? Oui, on rit ! Bon,

Riton ? Oui, on rit ! laugh

Bon, c’est bien mené, bien ficelé. Pas grand-chose à ajouter, sinon : la suite.

la poussière
commentaire

ah la la, cela ne finira donc jamais. Dés qu'on croit qu'on tiend la fin elle se dérobe devant un nouveau mystère.

Le texte est bien écrit, et les dialogues bien menés.

Vite la suite!

Vous devez vous connecter pour poster des commentaires