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Leurs nuits n’étaient pas toutes aussi mouvementées. Bien souvent, ils se contentaient de raconter leurs maigres souvenirs. Ces soirées étaient aussi le moment idéal pour partager leurs projets d’avenir.

Paulo voulait à tout prix devenir ministre des orphelinats. Devant les regards perplexes de ses deux compères, il s’expliqua avec enthousiasme.

À un poste aussi élevé, il pourrait s’occuper du terrible Claquedur, de l’abominable papa Bouillot et du vicieux Martin la clochette. Son plan était clair et efficace.

Donc, après une nomination au poste de ministre des orphelinats, il faudrait alors faire cerner le bâtiment par une compagnie de costauds CRS. Une libération sans bavure et les jeunes pensionnaires seraient remis entre les mains de superbes infirmières. Infirmières sélectionnées spécialement pour leur gentillesse... et leurs gros nichons précisa Paulo exprès pour faire rougir Jacky. Ils seraient ensuite fournis en quantité importante de gourmandises et fouette cocher ! Convalescence de deux mois à Disney world, en Amérique !

La suite, enchaîna Paulo ? Eh bien la capture mouvementée des trois têtes mises à prix. On les aurait coincés, après un excitant suspense et quelques gnons échangés, dans un coin obscur des caves. Un bon coup de matraque sur le crâne pour les calmer !

— PAN ! Pour La Claque.

— PAN ! Pour Martin.

— DONG ! Ça c’est Bouillot, ça sonne creux.

— Et PAN ! La Claque bougeait encore.

Viendrait ensuite le moment très attendu où ils seraient livrés, poings et pieds liés, au ministre Paulo. Et enfin, enfin ! Le choix des châtiments.

Les garçons passaient alors de délicieux moments à inventer, à réinventer toutes les humiliations et tortures imaginables. De la condamnation trop classique à trente jours de cachot, sans torchon pour s’essuyer, ils passaient à un tas de corvées aussi dégradantes que drôles, pour eux évidemment.

Jacky avait beaucoup de mal à supporter le surnom de « grosse vache bigleuse » que lui donnait régulièrement Bouillot. Il avait donc spécialement inventé pour lui « le supplice de la chaise trouée ». Il fallut à tout prix qu’il raconte à ses deux aides comment il comptait procéder : « Premièrement, se procurer un Bouillot bien méchant. Ensuite, le ligoter serré sur une chaise à fond troué. Encore un peu, parfait ! Il suffirait ensuite de le gaver des restes de nourriture avariée récupérés dans les fonds de gamelles du réfectoire.

Précision importante. Avant de l’asseoir, il faudrait lui enlever son pantalon pour lui enfoncer un gros bouchon dans le cul. La Claque s’en chargerait. Le bouchon serait relié à une longue ficelle. Une semaine de gavage intensif et lorsqu’ils jugeraient le prisonnier bien plein, il serait alors décidé d’évacuer la pièce. Jacky se réservait l’honneur de tirer un coup sec sur la ficelle. Du beau boulot ! »

Le visage couvert d’une fine pellicule de sueur, sous les applaudissements assourdis de Pierre et de Paulo, Jacky concluait d’une élégante courbette.

Un autre soir, après avoir une fois de plus commenté leur expédition dans la partie condamnée de l’orphelinat, la discussion s’orienta sur ce qu’ils voudraient faire quand ils seraient plus grands. Pierre surprit ses deux amis. Il ne souhaitait plus grandir. Bien au contraire, il désirait plutôt rajeunir. Rajeunir jusqu’à se retrouver au jour de sa naissance. Comme il aurait gardé l’usage de la parole, Pierre expliquerait à sa maman qu’elle ne doit pas, qu’il est interdit, qu’elle n’a absolument pas le droit de l’abandonner. Il lui décrirait ce que serait sa vie d’orphelin si elle ne le gardait pas avec elle. Il lui raconterait ses souffrances, ses peurs ainsi que ses envies de petit garçon jamais satisfaites. Il lui expliquerait ! Elle comprendrait… elle avait cru bien faire. Mais c’était fini. Elle jurerait d’être dorénavant une maman modèle, et que jamais, jamais ! Ni rien ni personne ne pourrait les séparer. Ensuite, Pierre redeviendrait un véritable bébé et sa vie reprendrait son cours…

— Voilà…

— Et… et nous ? s’étrangla Jacky dont les larmes striaient ses belles joues rebondies.

— Bah oui… et nous ? reprit Paulo d’une voix chevrotante d’émotion.

— Oh ! vous inquiétez pas les gars, les rassura Pierre. J’aurais aussi expliqué à ma mère où et quand vous trouver et elle m’aurait juré de vous adopter tous les deux… c’est bien non ?

— On serait frères alors ? demanda Jacky en reniflant.

     — On serait frères Jacky.

Plongés dans leurs pensées, ils s’allongèrent sur leur lit. Le sommeil les prit.

Entre deux mondes, Pierre glissa vers un immense gouffre noir, son corps endormi traversé de légers tressaillements. Il tomba en tournoyant dans un nouveau cauchemar. Un bruit résonna dans la chambrée. Pierre se réveilla. Combien de temps avait-il dormi ? Il n’ouvrit pas les yeux. D’abord se débarrasser de cet épouvantable vertige.

Un autre bruit, un frottement. Ne bouge pas… si c’est Bouillot… Pierre entrouvrit un œil. Dans l’allée centrale une silhouette se déplaçait lentement. Une forme imprécise. L’intrus tournait régulièrement la tête à droite, à gauche. Il reniflait ! Il reniflait les odeurs émanant des formes allongées.

L’ombre portait une longue et lourde cape surmontée d’une ample capuche emplie de ténèbres. Drôle de pyjama le père Bouillot… les copains ne vont pas me croire. Heureusement, Paulo dort. En voyant le gros rôder à cette heure de la nuit, cet imbécile est capable de lui donner un coup de tabouret en criant au voleur. Même si ça devait lui coûter un mois de cachot. Et puis connaissant l’animal, sans doute qu’en conclusion de sa libération, il lancerait au premier camarade rencontré :

— L’prochain coup, j’taperais plus fort !

Toujours occupé à renifler un lit non loin du sien, le fantôme Bouillot se figea, ébaucha une lente rotation en direction de Pierre sans qu’aucun mouvement ne déforme la longue robe noire. Le bruit d’aspiration saccadée accéléra. L’ombre avait trouvé ce qu’elle cherchait. La silhouette glissa dans sa direction, fut au pied de son lit et l’effrayante respiration cessa. Le silence…

Les cheveux de Pierre se dressèrent. Sa couverture glissa toute seule vers le fond de son lit… ce n’est pas Bouillot !… Ne pas hurler, pas maintenant… ce n’est pas Bouillot !... Cette chose n’a ni sa taille ni son gros ventre difficilement camouflable... ne pas bouger... C’est ça, ne pas bouger. Paulo va me réveiller et nous rirons ensemble… oui… on va bien rire… De petits cristaux glacés se formèrent entre Pierre et la silhouette. Je vais me réveiller…

La capuche du visiteur fut vivement tirée en arrière, dévoilant un visage sans traits. Les cristaux en suspension devinrent flocons de neige. La silhouette tendit lentement les bras dans sa direction, ses mains se superposèrent.

Grésillement.

Une lueur apparut au-dessus des mains tendues. Imprécise, tremblotante, elle se transforma en une grosse boule. Un éclat lumineux insoutenable en émanait, éclairant le dortoir comme en plein jour. Impossible… pensa Pierre, impossible que personne ne se réveille avec une lumière pareille ! Un liquide chaud coula entre ses jambes.

La silhouette frémit, le soleil miniature fonça droit sur le visage du garçon. Pierre ferma les yeux et leva ses mains. Rien… ni choc, ni douleur. Il rouvrit les yeux. La boule de feu se tenait immobile à une vingtaine de centimètres. Elle explosa ! Pas de brûlures, pas de projections. Juste un petit craquement, un léger souffle tiède. Pierre baissa ses mains, un hurlement et l’ombre disparut…

 

5.04
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Commentaires

plume bernache
    Je trouve cet épisode 15

    Je trouve cet épisode 15 très équilibré :

une partie rigolote : Paulo ministre des orphelinats

 

une partie "pipi-caca" : très plausible de la part d'ados délurés comme ces trois-là. et on comprend enfin le titre de l'oeuvre !

 

une partie émotion avec l'idée d'adoption par une même mère, ce qui les rendraient frères ; très touchant.

 

un passage poétique avec la description de ce mystérieux personnage qui traverse le dortoir : "L'ombre portait une longue et lourde cape surmontée d'une ample capuche remplie de ténèbres"(magnifique phrase)

 

et puis le suspense…

 

   Vraiment très réussi. Bravo !

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
J'ai refait un peu de mise en

J'ai refait un peu de mise en page et remplaçé Pierre par Il 2 fois pour éviter les répétitions inutiles du prénom. J'ai un tout petit peu revu la ponctuation. dis-moi si OK ?

Ch

luluberlu
Portrait de luluberlu
Bon, autant le dire : la

Bon, autant le dire : la première partie, Paulo ministre, m’a fait rigoler. Tu vas dire que je suis un emm... deur, mais je trouve que mettre une ligne par phrase (ou presque) dans la deuxième partie, nuit au récit et à la montée de la tension, tout au moins à la lecture.

De plus j’aurai gardé cette partie :

« Même si ça devait lui coûter un mois de cachot. Et puis connaissant l’animal, sans doute qu’en conclusion
de sa libération, il lancerait au premier camarade rencontré.
— L’prochain coup, j’taperais plus fort ! »

Tu fais monter puis redescendre puis remonter la tension.

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