Accueil

Sept heures ! Quelques têtes aux yeux gonflés émergèrent des draps froissés. Pierre se réveilla entouré de murmures grandissants.

Sept heures deux affichait l’horloge électronique. Pierre se frotta les yeux. Sept heures trois ! Son regard alla de la porte toujours close à la forme endormie de Paulo. Plusieurs camarades s’étaient levés pour commencer de s’habiller. Indécis, certains s’arrêtèrent le regard vide. D’autres s’assirent sur leur lit les jambes ballantes. Jacky faisait partie de ceux qui continuaient de s’habiller rapidement, comme d’habitude.

  • — Pas d’panique Jacky… t’as l’temps…

  • — Hein ?… qui me parle ?

  • — T’as tout l’temps pour t’fringuer, répondit Paulo en se tournant vers lui... oOoOUuuark !… c’matin… Grat ! Grat !… c’matin on n’est pas près d’voir la grosse Bouillotte.

  • — Ah ?… Jacky lâcha son pantalon qui tomba sur ses chevilles. Il s’assit sur le bord de son lit.

    Sept heures cinq ! Les orphelins n’en revenaient pas, qui se grattant la tête, qui bâillant à s’en décrocher la mâchoire.

  • — Dis Paulo ?

  • — Oui mon p’tit Pierre, c’que t’as mon chéri ?…

  • — Maintenant tu vas peut-être nous dire ce que tu as traficoté avec ton attirail cette nuit ?

  • — Ooooh ça ! Rien d’bien terrib’… juste une p’tite farce spéciale Bouillot.

  • — Allez accouche Paulo ! lança un camarade.

  • — Bof, y a pas d’quoi en faire une histoire, fit Paulo modeste, l’père Bouillot est pas prêt d’se pointer, c’est tout. Un bon quart d’heure peinard les gars, minimum !

  • — Alleeez Paulo !…

  • — ‘rête ta frime !

  • — Raconte quoi !… Paulo ?

  • — Paulo ! Paulo ! Paulo ! Paulo ! Paulo !…

  • — Ouais, ouais, du calme mes p’tits orphelins, y a pas l’feu tout d’même… 'lors voilà, c’te nuit, avec les potes… il désignait du doigt Jacky, le pantalon sur les chevilles et Pierre tranquillement assis dans son lit. On a fait une p’tite virée top secret ! On a été visiter la partie condamnée… eh ! oh ! Stop ! j’vous racont’rai une aut’ fois !... NON ! Une aut' fois j’ai dit ! Bref, en r’venant, forcé, on est passé d’vant chez Bouillot. J’me suis dit qu’y avait p’têt moyen d’nous accorder une grasse matinée… sur le coup j’voulais tout simplement grattouiller à sa porte pour lui d’mander, mais… vous l’connaissez,. J’ai préféré lui chouraver sa clé.

  • — T’as piqué la clé à Bouillot ?

  • — Pas vrai !

  • — Oh l’aut’ !

  • — J’te crois pas…

  • — Comment qu’t’aurais fait, banane ! Y ferme sa porte de l’intérieur…

  • — Tu t’vantes !

  • — J’me vante ? Des clous oui ! s’insurgea Paulo en prenant à partie les sceptiques, et pis banane toi-même d’abord ! Est-ce que j’ai l’habitude d’raconter des bobards ? La totalité du dortoir explosa de rire. Pouvez rire bande de goélands goudronnés, pouvez rire, en attendant pendant qu’vous roupilliez bien tranquillement et ben moi j’ai agi ! Pan dans les dents !

  • — Allez Paulo, sourit Pierre. Raconte nous quoi…

  • — Bon ! C’est bien pa'ce que c’est vous hein. En fait, ç’a pas été bien dur, j’ai simplement glissé un bout d’carton sous sa porte et comme j’le sais bien qu’il s’enferme toujours à clé c’te trouillard, j’me suis dit qu’il d’vait la laisser dans la serrure. Logique, c’est l’meilleur endroit pour pas la paumer. Alors avec un crochet, j’l’ai chatouillée un peu et elle est tombée pile sur le carton qu’j’ai p’us eu qu’à tirer tout doucement… Paulo glissa une main sous son matelas pour en extirper une belle clé dorée. Et hop ! V’là la clé du père Bouillot qui doit être bien emmerdé pour sortir d’sa piaule !

    Ce fut un véritable déchaînement d’applaudissements et de hourras qui firent rougir Paulo jusqu’à la racine des cheveux.

  • — Boh… fit-il. C’t’était pas grand-chose… trois fois rien… merci quand même, merci les gars ! Il était monté sur son lit et s’inclinait cérémonieusement vers ses camarades en liesse. Merci !… Merci !... Bises !... Meeerci !.... Bises !

    Sept heures quinze. Tous profitèrent de cette pause exceptionnelle pour bavarder ou vaquer à des occupations quelconques.

    Sept heures vingt. Paulo était descendu de son lit pour discuter tranquillement avec ses deux amis. La clé avait rejoint sa cachette dans la doublure de son matelas en attendant de disparaître définitivement.

  • — Moi, demanda Jacky, ce que je vois pas, c’est où est-ce que tu as pu trouver ton carton et cette espèce de crochet.

  • — Aaaah, pour ça faut faire travailler ses méninges. Paulo martela férocement le dessus du crâne de Jacky. Faut faire fonctionner tout ça !

    Pierre fronça les sourcils pendant que Jacky se débattait, le pantalon toujours sur les chevilles.

  • — Attends un peu… quelque chose me dit… l’autre jour, pendant la récréation, quand tu as bavardé avec Loulou, ce n’était pas pour des prunes, je me trompe ?

  • — ‘tain ! le super détective Sherlock Pierre ! Bravo mon Pierrot, tu y es presque, mais tu sais pas tout.

  • — Je te fais confiance, le reste, tu vas nous l’apprendre.

  • — Ah ! Ah ! Ah ! je sens que j’vais encore une fois vous épater mes p’tits poulets, alors voili-voilà, la seule façon de s’procurer que’que chose dans c’te prison, tout l’monde le sait, c’est d’passer par Loulou. Le problème c’est qu’il est pas complètement idiot. Si tu lui d’mandes de t’refiler un truc même aussi innocent que du carton, y a d’grandes chances que t’aies l’droit à un bon coup d’pied au cul. Donc y m’fallait une monnaie d’échange... une monnaie d’échange irrésistible ! Et c’te monnaie miracle avec Loulou, ça pouvait être que du pinard !

  • — Du vin ! s’exclama Jacky, mais ? C’est plus dur à se trouver qu’un simple morceau de carton, non ?

  • — Pas du tout Jacky p’tit zizi ! Et j’peux même te dire qu’c’est grâce à toi que j’lai eu.

  • — Grâce, euh… à moi ?

  • — Oui à toi ! Tu dois t’rappeler y a une dizaine de jours, la fois où j’t’ai promis trois croûtons de pain rassis contre un p’tit service…

  • — Beuh… oui… Jacky eut un peu honte que Pierre apprenne qu’il s’était vendu pour un peu de pain dur. Tu m’avais demandé de faire diversion au réfectoire. J’avais fait semblant de m’étrangler et… non ! T’en as profité pour… pour piquer le vin à Bouillot ?!

  • — Eh oui ! Paulo opina vigoureusement de la tête. Dès qu’le gros te tombait dessus pour t’engueuler, j’lui ai vidé un bon quart d’sa bouteille pour le remplacer par de l’eau et hop… le tour était joué ! Il a vu que du feu comme d’hab’.

  • — Ben alors… t’es gonflé !

  • — T’as rien pour rien mon p’tit père, faut savoir prendre des risques dans la vie… bref ! Le vin j’l’ai versé dans un pochon en plastique, un bon nœud et hop, dans la poche. Pendant la récré, j’l’ai refilé à Loulou en échange du matos et d’sa parole d’ivrogne de pas me vendre. Il a pas hésité une seconde, l’a mordu dans un coin du sac et il s’est mis à téter comme un veau. Et v’là l’résultat ! Verrouillé dans sa chambre la grosse vache de….

  • — VLAN !!!

    La porte s’ouvrit violemment.

    La grosse vache de Bouillot, comme allait le dire à l’instant Paulo, se tenait immobile dans l’encadrement de leur porte. Les mains sur les hanches, fermement campé sur ses jambes, il les toisait d’un regard noir et… dégoulinant ! Personne ne lui avait refait le coup de la bassine. Ce n’était pas de l’eau qui dégoulinait, c’était de la boue !

    De la boue dans les cheveux, de la boue sur ses vêtements, de la boue sur ses mains, sur son visage, de la boue sur ses chaussures et même ressortant de ses chaussures, enfin et pour en finir, de la boue partout !

    Bouillot ne bougeait pas d’un pouce. Ce fut Paulo qui prit l’initiative.

  • — Hum… tiens ! M’sieur Bouillot… ben dites donc, z’êtes pas en avance… Ah oui, z'êtes sorti faire un p’tit jogging c’matin p't-être, quel courage ! Que’que chose me dit qu’y doit pas faire bien beau dehors ?

    Bouillot n’accorda même pas un regard à Paulo, il écarta trois doigts horriblement maculés dans sa direction. Il ouvrit la bouche, la referma, la rouvrit, la referma, sembla prendre une décision et ressortit de la chambrée. Quelques secondes encore et un terrible craquement suivit d’un immense fracas parvint jusqu’à leur dortoir.

  • — Oh putaing ! fit Paulo la main enroulée autour de son oreille, j’crois bien que not’ ver de terre a trouvé le moyen d’ouvrir sa porte, pourvu qu’il se soit cassé l’épaule… en tout cas, moi j’ai encore écopé… trois jours d’cachot. Ça m’fera des vacances, et pis pas d’classe pour Paulo pendant trois jours ! Quand même, j’aimerais bien savoir c’que cette andouille a pu bricoler pour êt'e dans c’t’état ? Mince alors !

    Ballottés et trempés par des rafales de pluie glacée, les orphelins en récréation comprirent enfin ce qu’il s’était passé. Pour sa part, Paulo devra attendre trois jours. Il devait déjà ronfler à poings fermés sur la planche du cachot.

    Après avoir fouillé et refouillé sa chambre à la recherche de la non de dieu d’non de dieu d’bon dieu d’foutue clé, Bouillot avait dû se résoudre à appeler à l’aide. Vu l’heure matinale, personne ne lui avait répondu. Il s’était donc résolu à utiliser la seule issue possible : sa fenêtre ! Les garçons imaginaient sans peine la suite. Leurs yeux rigolards fixaient le tuyau de la gouttière qui passait juste à côté de la fenêtre en question. Une grande longueur pendait lamentablement jusqu’à dans un carré de terre fraîchement retourné. On y apercevait parfaitement moulée dans la boue, une forme humaine bras et jambes grands écartés.

    Pauvre Bouillot ! Après qu’une facétieuse fixation du tuyau eut cédé, il était tombé bien à plat dans la gadoue et avait pas mal patouillé pour s’en dégager.

    En attendant, quinze minutes après le défonçage de sa porte, Bouillot réapparut lavé de la tête aux pieds et habillé de propre. Persuadé qu’il devait s’en prendre qu’à lui-même quant à la perte sa clé, il n’en fit aucunement état. Sans doute aussi par peur d’être la risée de tout l’orphelinat. Raté !

    Il commença donc sa tournée d’inspection comme si de rien était. À son passage, Jacky se baissa pour remonter son pantalon farceur et lui présenta ainsi son postérieur.

    Bouillot se figea la bouche ouverte et le regard fixé sur le fessier du dodu. Pierre et Paulo allaient protester vertement quand se tournant légèrement vers eux pour finir de se pantalonner, Jacky leur offrit le spectacle de ses fesses et cuisses couvertes de petites écorchures.

  • — Mais ?… bégayait Bouillot.

    Jacky se tourna vers lui, son visage se décomposa. Le regard fixe aux sourcils froncés de son surveillant ne présageait rien de bon. Jacky lâcha sa ceinture et le pantalon retomba permettant à tous de profiter du spectacle.

  • — OoOOoh !…

    Jacky ne comprenait toujours pas ce qu’on lui voulait. Il essaya un sourire avenant vers Bouillot dans l’espoir de l’amadouer. Pris d’un doute, il porta enfin ses mains à son fessier. Il comprit. Sa chute de la nuit avait provoqué quelques petits dégâts sur sa personne. À la faveur de l’obscurité régnante, trop contents de l’avoir si rapidement retrouvé et lui d’avoir été secouru, aucun n’avaient pensé à de possibles écorchures.

    Bouillot le fixait de son regard dur. Il attendait une explication rapide, sinon…

    Ce fut Paulo qui sauva une fois de plus la situation.

  • — Ah ça m’sieur Bouillot ! Pour une belle gamelle ça été une belle gamelle hein ?… Ah ! Ah ! Ah ! Aaaah oui alors ! Bouillot avait refermé sa bouche pour daigner tourner un regard méfiant vers Paulo qui souriait de toutes ses dents. On a d’la chance que not’ Jacky se soit pas r’trouvé à l’hosto, ça alors, quelle gamelle ! Hein Jacky ?… Hein Jacky ?

  • — Ah, euh… ben oui…

  • — Quelle… gamelle ? questionna leur surveillant d’une voix plus lugubre que celle d’un croquemort à l’annonce de la découverte de l’immortalité.

  • — Mais enfin m’sieur Bouillot ?… Hier soir ‘videmment, lança Paulo en le regardant d’un air étonné.

  • — Hier soir ? répéta lentement Bouillot en semblant interroger sa mémoire qu’il savait mauvaise, et Paulo aussi.

  • — Bah oui m’sieur… quoi, vous vous rappelez p’us ? En sortant du réfectoire ? Devant le regard résolument incrédule du gros, Paulo continua avec l’aisance du menteur professionnel qu’il était. En sortant du réfectoire… vous, vous rappelez pas ?

  • — Oui, bah quoi… non ! Je m’en rappelle plus, répondit Bouillot déjà moitié lassé. Eh bien quoi hier soir ?

    Paulo tenait le bon bout et ne le lâcha pas.

  • — M’enfin m’sieur Bouillot ! Jacky s’est ramassé dans les escaliers ! Parlez d’une descente… sur les fesses qu’il l’a faite ! Il partit d’un grand éclat de rire aussitôt imité par des camarades solidaires.

  • — Oui ! Bon ! Ça suffit hurla Bouillot. On n’est pas dans un bordel ici ! Taisez-vous !… Morel ! Tu passeras à l’infirmerie, pas de petit déjeuner pour toi, ça t’apprendra ! Et viens pas te plaindre, tu n’avais qu’à regarder où tu mets tes pieds… quoiqu’avec ton bide et tes yeux de caméléon, s’esclaffa leur surveillant en s’éloignant, ça doit pas être facile, hein grosse vache ? Toi Paulo, oublie pas tes trois jours, exécution !

Bouillot sortit du dortoir en vainqueur. Jamais il ne saura qu’il n’avait été qu’une marionnette entre les mains expertes de Paulo. Paulo à présent à moitié étouffé par les puissants bras de Jacky. Non pas pour l’étrangler cette fois-ci, mais pour lui prouver sa reconnaissance éternelle.

 

5.04
Votre vote : Aucun(e) Moyenne : 5 (2 votes)

Commentaires

pifouone
Un peu mon n'veu que c'est

Un peu mon n'veu que c'est envisageable !

Il est vrai Christian, et j'en suis tout à fait conscient, que ça traîne un peu. Mais avec ce personnage je ne peux m'empêcher d'en rajouter. Dans la version finale ( s'il y en a une un jour, je veillerais à suivre ton conseil et à "raccourcir" la bête ). Bon, dans l'immédiat, encore un et puis ça commence à bouger. Au troisième il vont sortir, c'est prévu. Mais pour ce qu'il en est de la vie réelle... enfin, tu verras bien ! Merci pour ta grande patience.

Je vais voir de ce pas ce que tu nous as écrit.

 

Didier

luluberlu
Portrait de luluberlu
Merci !… Merci !... Bises

Merci !… Merci !... Bises !... Meeerci !.... Bises ! wink

Pour le moment, l’action se passe en milieu fermé (unité de lieu), l’orphelinat. Il y a bien eu à moment donné une tentative d’externalisation (avec le colonel), mais elle a été très partielle et brève. Il serait peut-être temps de faire sortir les prisonniers de leur prison et de les confronter à la vie réelle. Je crains qu’à la longue les facéties de Paulo ne lassent. Est-ce envisageable ?

Vous devez vous connecter pour poster des commentaires