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Comme chaque année à la même époque, la kermesse du village bat son plein : ambiance joyeuse et bon enfant, soleil radieux, stands variés et colorés, jeux et activités multiples, beaucoup de monde, et une tombola somme toute fructueuse… Tous les ingrédients auront été là pour faire de cette journée un moment de belle convivialité.

Et pour clore le tout, le tirage, dans un instant de la tombola, avec un gros lot pour le moins inattendu et insolite puisque : un voyage en éolienne de 3 jours au pont de l’Ascension ! Surréaliste non ? bien réel pourtant ! C’est dire si l’impatience règne dans l’assistance. L’attente paraît interminable, quand tout à coup… Chut, une voix résonne dans le micro. Autour de moi, la tension devient tangible, chacun bien sûr espérant être l’heureux gagnant ! La voix précise alors : « j’ai le plaisir de vous annoncer que le grand gagnant de notre tombola est ce soir une gagnante : Madame X est l’heureuse bénéficiaire du voyage en éolienne ».

Un moment d’hébétude : je n’ose y croire tant cela me paraît inouï, stupéfiant.

Puis… la folle et heureuse évidence : je viens de gagner le périple le plus extravagant et le plus excitant dont j’eus pu rêver.

D’abord, rentrer chez moi, remettre un peu d’ordre dans mes idées et réfléchir à la suite à donner à l’événement.

Nous sommes le 21 avril, l’Ascension tombe cette année le 9 mai. Il me reste donc 14 jours pour tout préparer et organiser, 15 jours pour rejoindre mon éolienne à Narbonne. Pas une minute à perdre donc. Dès demain, j’établis une liste précise des différentes opérations à prévoir.

Mardi : dans la matinée étude et concrétisation de mon itinéraire. Départ de Narbonne, direction la Dordogne et les départements limitrophes, ensuite les Pyrénées, les Landes, La Gironde, la Bretagne, l’Alsace et plus si possible…

Dans l’après-midi, j’appelle « pôle-emploi céleste » pour m’assurer les bons et loyaux services du mistral : pas de déplacement en éolienne possible sans vent !!

Mercredi : contact pris avec EDF dans l’Aude : elle me confirme la réservation de l’éolienne No 18-0016 (nacelle spacieuse, couverte, bien équipée et dotée d’un parachute : plutôt rassurant ma foi !!) et me promet d’envoyer quelqu’un sur place pour une révision en bonne et due forme.

Jeudi : autre contact, avec un ami cette fois, ingénieur de son état et artificier à l’occasion. Il me dit accepter m’assister le 9 mai et pouvoir peut-être faciliter mon décollage grâce à une nouvelle technique qui semble avoir fait ses preuves.

Côté organisation tout est désormais réglé.

Reste maintenant à prévoir l’équipement : pas une mince affaire !!

Direction donc « le Vieux Campeur », particulièrement bien achalandé. Je devrais trouver là tout ce dont j’ai besoin.

Un jeune vendeur se propose pour m’aider dans cette lourde tâche et me conseiller le cas échéant. Sur le comptoir s’amoncellent alors : un sac à dos, une épaisse doudoune, des gants, un gros bonnet, des lunettes, un ciré (ça peut toujours servir), une échelle de corde et ses mousquetons, un harnais, une boussole (pas de panneaux là-haut), un altimètre et un anémomètre, une lampe de poche, une petite boîte à outils pour d’éventuelles réparations, une couette bien moelleuse, un peu d’huile antibruit (une nouveauté particulièrement attrayante dans le cas précis de mon engin volant !), une bonne paire de chaussures…

— J’ai justement là, intervient le vendeur, quelque chose qui devrait convenir : des rangers nouvelle génération, très souples et robustes ; détail intéressant : les ressorts sur les semelles pour donner et faciliter l’élan, un plus pour des déplacements en hauteur comme ici.

Un moment d’hésitation, et puis les chaussures rejoignent la pile sur le comptoir. Grand sourire sur le visage du vendeur et pour cause !!! tandis que, tout au fond de ma poche, ma carte bancaire s’impatiente, s’affole : pareille dépense, jugez, c’est folie et… la pauvrette n’est guère habituée !!! Peut-être serait-il sage en effet de revoir ma liste un peu à la baisse à la baisse. Ce sont là vraiment beaucoup d’articles, onéreux et… encombrants pour certains.

Bon ! … Oublions déjà le réchaud : le soleil me prêtera bien un ou deux rayons pour attiédir mes conserves !! Le pack d’eau ? On oublie aussi : une bouteille devrait suffire. Je compte bien en effet me faire des amis parmi les nuages et quelques bonnes grosses gouttes de pluie devraient faire l’affaire !

L’échelle et ses mousquetons ? Superflus maintenant puisque j’ai mes chaussures !

Pas davantage besoin d’un harnais ni de la boîte à outils ; dans le pire des cas, j’ai mon parachute !!

Voilà qui, en définitive, va bien alléger mon panier !

Pour ce qui est des provisions de bouche, je me contenterai de quelques conserves, aliments protéinés et de survie : pas fameux certes mais… pratiques et pas trop lourds.

Côté préparatifs en tout cas, la boucle est bouclée. Je vais pouvoir maintenant me poser un peu et me préparer mentalement et psychologiquement à ma folle aventure. Restent 6 jours, 6 tout petits jours mais 6 très longs jours aussi…

8 mai nous y voila enfin. La voiture est prête et m’attend.

Mon plus jeune fils est là avec sa femme et ses enfants pour me dire au revoir.

Mon petit-fils s’est approché et me tend quelque chose.

— Oh, le joli paquet, dis-je, qu’est-ce donc ?

— Ben « vayons » mamie, c’est la boîte des mots « maziques ».

— Mais bien sûr, comment n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Indispensables ces mots-là pour un voyage en éolienne ! Tiens, tu sais quoi ? Quand elle sera vide, je la remplierai d’étoiles pour toi.

— Des « détoiles » en semblant ?

— Oui, c’est cela, des étoiles en semblant. Les vraies sont trop malignes pour se laisser capturer ! Allez, mon bonhomme, embrasse-moi très fort maintenant ; il faut vraiment que j’y aille.

Montée dans la voiture j’emporte avec moi la tendre image de sa menotte levée en guise d’adieu, celle surtout de ses yeux sombres remplis de jolies petites lumières mordorées.

Et puis je roule, je roule enfin direction Narbonne. Quelques heures à peine m’en séparent.

9 Mai, le grand jour. Le temps est lumineux et le mistral au rendez-vous. Petit pincement d’inquiétude tout de même mais… grand moment d’émotion et d’excitation. Devant moi, immense et majestueuse dans sa blancheur, se dresse mon éolienne. Elle capte toute mon attention et j’en oublierais presque pourquoi je suis là.

Vite se ressaisir et ne plus perdre un instant : je veux pouvoir goûter et savourer chaque minute, chaque seconde de ce voyage inespéré, n’en pas perdre une miette !

J’enfile donc, mes chaussures et hop, hop ! En haut en bas, en bas en haut, je me fais l’effet d’être un yo-yo bien huilé. Magnifique ! À côté d’elles, les bottes de 7 lieues font presque pâle figure !!

En un temps record, tout est monté et organisé dans la nacelle. Un nouvel et ultime élan de mes chaussures magiques et je me retrouve bien calée et confortablement installée dans mon mini studio, tandis que mon ami s’affaire plus bas pour me faire décoller sans trop de bobos !!

Quelques minutes d’attente angoissée, un énorme et impressionnant craquement, un souffle puissant puis, pour finir, un ronronnement victorieux ! - youpi, décollage net et sans bavure !! - la nouvelle technique de mon ami à qui je fais un grand signe de la main en remerciement, est au point ! Nous quittons la planète terre, direction les étoiles : sublime bonheur, douce félicité. Un peu plus haut, toujours plus haut.

— Et mais, holà, holà, pas si vite, tout doux mon bel oiseau ; mon objectif n’est pas la lune ! Vite la boîte de mots magiques : « abracadabra..!! », et, sur le champ mon équipage de ralentir sa course folle.

— Quant à vous, monsieur le vent, un peu moins fort s’il vous plaît, que je puisse jouir à plein et en toute quiétude de ce beau voyage.

Nous évoluons tranquillement dans l’air tiède et parfumé, portés et bercés par le vent. Les pales, bien huilées « anti-bruits » (!), paraissent ronronner de plaisir et, dans cette immensité bleutée, tout paraît soudain plus doux et plus paisible. Même les voitures en dessous de nous semblent rouler « feutré » et sans bruit.

Derrière nous, revenant de quelque contrée féérique, un vol de cygnes, intrigués et semble-t-il plus effrayés qu’admiratifs de ce gigantesque oiseau blanc inconnu de leur bestiaire !!

Devant, un tendre et tranquille ballet de petits nuages blancs en flocon.

Au-dessous, la terre, énorme puzzle coloré, où se fondent et se confondent, sous mes yeux éblouis, tous les camaïeux d’or, de gris, de vert et d’orangé, ou se mêlent généreusement et harmonieusement les « mats » et les brillants, les lisses et les moins lisses. De là-haut, elle paraît un riche et subtil patchwork de nuances.

En ce moment, nous surplombons la Dordogne aux longs et mouvants méandres, avec, de part et d’autre, les vignes et les bois qui s’étalent en une somptueuse palette de tons et les beaux toits pentus de ses maisons en pierre dorée.

Nous survolons maintenant le Tarn et ses gorges profondes.

Petite poussée légère du vent et nous nous retrouvons au-dessus des Pyrénées avec ses sommets à peine teintés de blanc en cette période de l’année : pentes tantôt abruptes et sombres, tantôt richement habillées de pâturages et de forêts, toits d’ardoises scintillant au soleil de midi.

Puis ce sont les Landes, ses pins, ses dunes et, longue écharpe azurée aux tons changeants : l’Atlantique.

Tout doucement, paisiblement, nous progressons, en parfaite symbiose avec l’immensité céleste. Partout, le même enchantement, la même paix, loin des bruits et de l’agitation terrestre. Baudelaire eût -il encore vécu, eut pu dire : « Là-haut tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».

Bien assurée dans ma nacelle, je savoure chaque parcelle de ce bonheur et pendant un instant, j’ai 8 ans, pendant un instant je suis Cendrillon dans son carrosse doré… Un instant seulement, un très court instant en fait, car… Aïe, ouille, aïe !!! Fini mon joli rêve, la réalité vient de me « rattraper », sans, malheureusement, que j’aie eu le temps d’ouvrir mon parachute !! et je gis là par terre à côté de mon lit, pauvre victime, honteuse et dépitée, d’un atterrissage plutôt brutal !

Adieu, veau, vache… Adieu Bordeaux, Perrache, Menton et St Céré ; adieu belles provinces et cités de France que, las, plus jamais ne survolerai en éolienne !!

Aïe, ouille ,aïe !… Un peu meurtrie je crois,… désappointée surtout !!

Mais bon… un petit hématome, un tout petit « bleu », ce n’est, somme toute, pas trop cher payer pareille odyssée et…, de là-haut, disons que j’aurai au moins rapporté un petit morceau de ciel… bleu !!

Note : Un exercice avec contrainte donné lors de l’atelier d’écriture de Bergerac. Voyage en éolienne : traversée du pont de l’ascension en éolienne. Contrainte : passer au Vieux Campeur pour s’équiper. Exercice inspiré par l’émission de France Culture : des Papous dans la tête.

 

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Commentaires

pifouone
Le début m'a un peu freiné,

Le début m'a un peu freiné, mais il en est toujours comme ça avec les débuts pour moi. Comme Lulu j'ai beaucoup aimé l'échange avec le petit fils. Après l'envole, il n'y a plus qu'à se laisser aller, c'est mignon tout plein.

 

Didier

luluberlu
Portrait de luluberlu
Voilà, j’ai modifié le texte

Voilà, j’ai modifié le texte pour qu’il soit conforme à ce que tu m’avais envoyé. Toutes mes excuses.

Que dire ? Déjà, l’écriture que je qualifierai de « très classique », dans le bon sens du terme, c’est à dire qui se réfère « aux classiques », et donc d’une tenue certaine.

De belles trouvailles :

— les chaussures ;

— l’échange avec le petit-fils, que j’ai beaucoup aimé et qui ajoute une note de « candeur » très « rafraichissante » (wink) ;

— le passage poétique et lénifiant (calme et volupté) qui succède au décollage.

Un peu gêné par une propension un peu trop appuyée à user des points d’exclamation.

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