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Paulo hurlait de douleur et de peur.

— AAAh !… OUILLE ! AAAAh !… AÏE !… AAAAAh !…

Il se releva en vitesse, direction la sortie. Pierre entra en trombe dans la pièce.

— Qu’est-ce que vous fabri…

— TONG !

— Aïe !… Paulo ? c’est toi ?…

Sans répondre Paulo saisit Pierre à bras-le-corps, le souleva et s’élança. Les garçons se cognèrent aux montants de la porte. Une fois dans le couloir, Paulo reposa son compagnon. Un bras tendu devant lui, il le tira de toutes ses forces. Peut-être qu’avec un peu de chance, ils parviendraient indemnes jusqu’au panneau. À moins que la… la chose ne les saisisse avant !

— … réponds quoi ! Qu’est-ce qu’il s’est passé… pourquoi vous avez criés comme ça ?… où est Jacky ?… oh ! Où est Jacky ? Réponds !… si c’est encore une de tes blagues je te jure que cette fois-ci… mais... arrête de tirer comme ça !…

— Tais-toi bon sang ! Il va nous repérer…

Pierre résista un bon coup et réussit à plaquer son camarade contre un mur.

— AH !… t’es fou !… faut s’barrer ! vite ! 

— Je ne pars pas sans Jacky ! Tu m’as compris ?… où est Jacky ?

— Tu comprends pas… il l’a eu ! il a eu Jacky !… saloperie ! Qu’est-ce que c’était…

Pierre approcha son visage au ras de celui de son ami. Une expression de terreur l’habillait.

— De qui tu parles ? qui a eu Jacky ?…

— J’en sais rien !… j’en sais rien du tout… faut s’barrer, il va nous chopper nous aussi, t’entends ! Il va nous avoiiir ! 

Pierre résistait aux secousses. Il fixa le blanc des yeux de son ami et articula.

— O n p a r t i r a q u a n d o n a u r a r é c u p é r é J a c k y ! Pas avant ! Et calme-toi ! On dirait une p’tite mauviette…

Pour Paulo, ce fut comme une gifle, il arrêta aussitôt de se débattre.

— Quoi ?… un… une… eh ! tu m’prends pour qui dis ?

— Bon, ça a l’air d’aller mieux.

— … euh, Ben oui… je sais pas c’qu’y m’a pris… c’est la faute à cette chose-là… elle est sortie tout droit du placard pour choper Jacky avec ses grands bras et puis après, pfffutt ! Plus d’Jacky, volatilisé not’ Jacky !

— Qu’est-ce que tu racontes ? Les fantômes n’existent pas et puis personne n’aurait pu pénétrer ici sans qu’on l’entende, surtout pour aller se cacher dans un placard. De toute façon, il n’y a rien à voler ici.

— J’t’ai pas dit qu’c’était un fantôme, ni un voleur… ça f’sait plutôt penser à un… monstre ! Ouais, un monstre ! Enfin un truc dans l’genre quoi, c’était tout blanc ! J’en sais rien c’que c’était moi… j’ai pas eu l’temps d’voir… c’est Jacky qu’avait la lampe, d’ailleurs il a disparu avec, on est dans l’noir maintenant, ça va pas être… attends ! J’ai l’briquet qu’j’avais piqué à Bouillot, tu t’rappelles ? Celui qu’j’ai allumé la queue du matou avec… l’est dans ma poche, j’me suis dit qu’on en aurait p’têt besoin… 'tends... le v’là !

La lueur tremblotante d’une petite flamme les éclaira faiblement. Pierre et Paulo étaient solidement cramponnés l’un à l’autre.

— Donne, lui dit Pierre en s’écartant vivement. On y va !

— A… a… attends… y avait bien que’que chose ! J’l’ai vu comme j’te vois… et elle a chopé not’ Jacky !

— Les fantômes n’existent pas Paulo ! Et si jamais il y a quelqu’un d’autre ici eh bien ça ne me fait pas peur non plus. Mais si t’as la trouille reste ici !

Paulo respira un grand coup.

— Pas question ! Je viens avec toi… t’as raison, on sait jamais… s’il y a l’coup de poing à donner vaut mieux qu’on soye deux !

Les garçons refirent en silence la dizaine de mètres qui les séparaient de la dernière pièce visitée. Pierre tendit le briquet en avant et entra sans hésiter suivi de près par Paulo.

Première constatation, Jacky n’était plus dans la pièce. La seconde fut les portes du placard grandes ouvertes. Et enfin la troisième fut de distinguer au pied du placard, une longue forme de couleur blanchâtre…

On dirait… Pensa Pierre en s’avançant prudemment.

Rendu au près, il se baissa.

— Bah ?… bégaya Paulo en s’approchant à son tour… un squelette ?!!

Pierre avança la main et se saisit du crâne. Il le tourna dans tous les sens. À la clarté du briquet il déchiffra à haute voix.

— Classe N° 22… Histoire naturelle... Squelette humain… sexe : Masculin… âge : trente et un ans.

— Mille merdouilles ! s’exclama Paulo, un martin !… un squelette pour les cours d’sciences nat'… Mais alors ? J’comprends tout ! il s’rait tombé directo dans les bras d’Jacky et l’a eu une telle trouille qu’il s’est barré comme un dingue… mais bon sang ! Il a pas été loin… après m’avoir passé d’ssus, il a disparu d’vant mes yeux. Paulo se tourna approximativement vers la porte d’entrée pour tendre un doigt. Par là ! Il a disparu par là… plus vers la droite… y courrait dans tous les sens c’t’andouille ! C’est pas croyab' c’qu’il peut être trouill...

— Chuuut !… écoute ! ordonna Pierre. Quelqu’un appelle…

Les garçons tendirent l’oreille. Une voix appelait effectivement. Une voix très lointaine, une voix d’outre-tombe.

EhoOooh !…

Pierre lâcha le crâne qui roula sur le plancher.

Vouus êtes là… eeeh les gaars…

— Jacky ?…

c’est moooi… venez m’aider… j’ai drôlement mal au cuuuul !…

Pierre savait déjà à quoi s’attendre. Ces deux imbéciles s’étaient effrayés eux-mêmes, aidés pour cela par la découverte mouvementée du squelette. Jacky s’était enfui et le parquet avait cédé sous son poids… en ce moment, il devait se trouver à l’étage en dessous, au rez-de-chaussée… mais dans quel état ?

— Jacky ? c’est toi ?…

Ouuiii… c’est mooooââ !… j’suis là ! J’suis tombé… bon sang ! Ce que j’ai mal au derrière…

Quelques prudents pas dans la direction indiquée et Pierre découvrit un beau trou au contour déchiqueté.

Il descendit avec précaution le briquet par la brèche pendant que Paulo le retenait par sa veste de pyjama.

— Jacky ?… ça va ?

— Ça vaaaa… ça vaaaa… ronchonnèrent les paroles montantes. Façon de parler ! J’ai les fesses en compote moi…

— Tu peux bouger ?

— J’en sais rien… j’ai pas encore essayé…

— Ben essaie imbécile-idiot ! qu’est-ce que t’att…

— Paulo ! Si on parle tous en même temps, on ne va plus s’entendre ! Occupe-toi plutôt de pas me lâcher… Jacky !… tu vois notre lumière ?… essaie de te lever…

— Oui, oui ! Je vous vois… mais… ouille !… la vache ! J’ai mal ! pleurnicha-t-il. Venez me chercher ! J’arrive pas à me lever… la lampe est cassée, j’y vois rien.

— Bon, t’inquiète pas, on arrive… surtout bouge pas !

— Ça risque pas ! répondit la voix geignarde du dégringolé.

— Panique pas ma grosse citrouille ! On va essayer d’arriver avant les vampires.

— Hein ?… quels vampires ?

— Paulo ! Ça suffit ! Pierre se dirigea vers la sortie. On y va, quelque chose me dit que ça risque de ne pas être si simple que ça.

— Des… vampires ? Quels… ampires ? eh… me… aissez pas !

Dans le couloir, ils prirent la direction de l’escalier menant au rez-de-chaussée.

— Bah ! Pourquoi tu dis ça ? Y a pas de problème, on descend, on récupère not’ crapaud d’nuit et pis on s’taille…

— Oui, eh bien j’espère seulement que les escaliers ne sont pas dans le même état que le plancher, sinon on ne pourra pas descendre et si jamais on n’arrive pas à récupérer le crapaud comme tu dis… alors j’ai bien peur qu’il nous reste qu’une seule solution... aller réveiller Bouillot…

— Quoi ! T’es pas bien ! Si jamais on fait ça, tu peux être sûr qu’on n’entendra plus parler d’nous avant cinquante ans, au moins… on nous r’trouvera dans l’même état que l’paquet d’os dans le placard.

— Tu as une autre idée peut-être ?

— Beuh… on pourrait… sacrifier Jacky ? C’est vrai quoi ! continua Paulo à toute vitesse, vaut mieux qu’y en ait qu’un qui y passe… si jamais on est obligé de réveiller la Bouille pour lui annoncer ça, on y écopera tous les trois, ça s’rait dommage, non ?…

— Tu n’as pas honte ?

— Oooh… c’que j’en dis hein… hum, tu sais bien que j’ferais jamais ça… tout d’même, qu’est-ce qu’on va s’prendre. Paulo tâtonna pour serrer son pote contre lui. Content de t’avoir connu mon Pierrot…

— Attends, on n’en est pas encore là… tiens, voilà l’escalier, on va être fixé.

Pierre secoua le haut de la rampe. Pas de craquement révélateur. Il s’y cramponna et tapota la première marche du bout du pied. Les coups donnés sonnèrent le plein. Il descendit une volée de marches. Paulo tendait de toutes ses forces le briquet dans sa direction.

— Je pense que c’est tout bon, on doit pouvoir descendre sans problème.

— Et remonter ? Dis, tu crois qu’on pourra ?

— Y a pas de raison voyons ! Qu’est-ce que t’es bête. Allez viens, je pourrais pas le ramener tout seul sur mon dos !

— Et s’il s’est cassé que’que chose c’t’espèce d’hérisson à bretelles et qu’on arrive quand même à le rapatrier, comment on va faire pour annoncer ça au gros ?

— Eh bien… j’en sais rien moi, on verra, on inventera, c’est ta spécialité non ? Avant tout, il faut le retrouver et le ramener coûte que coûte.

Quelques sueurs froides et Pierre posa enfin un pied sur le parquet du rez-de-chaussée.

— Fais attention Paulo ! Le plancher peut très bien craquer ici aussi et en dessous... c’est la cave !

— Hein ?… tu parles d’une balade toi, j’m’en souviendrai tiens !… se rappelant justement que l’idée venait de lui, Paulo se tint coi et passa le briquet à Pierre.

Les appels leur parvenaient plus clairement à mesure qu’ils avançaient.

— OoOoh !… répondez quoi… quels vampires ? Oh ! J’vous entends plus… répondez ! Me laissez pas… ehooOOOh !

— Bon Dieu ! grommela Paulo, il est fada ! S’il continue à gueuler comme ça, il va réveiller toute la ville, voilà ! On arrive ma biquette !… on arrive j’te dis !

Les deux garçons ouvrirent une porte à coups d’épaule et entrèrent. Ils furent accueillis par un long soupir de soulagement.

— Aaaaaah ! J’pensais jamais vous revoir les gars… vous parlez d’une dégringolade !

Pierre et Paulo s’approchèrent rapidement de leur camarade. Il l’aidèrent à se remettre debout avec mille précautions et mille gémissements.

— … doucement ! aïe ! ouille ! Paulo, fais gaffe ! tu me pinces !

— Oh la la, quel doudouille !

— Tu peux rigoler tiens, vous parlez d’une trouille que j’ai eue… le temps que je comprenne ce qu’il y avait dans l’armoire et vlan ! Voilà que le plancher fiche le camp et que j’me retrouve un étage plus bas.

— Hum ! T’oublies un peu vite que tu m’as piétiné avant de disparaître.

— Ah ? p’têt bien, je ne m’en rappelle plus… en tout cas j’étais drôlement sonné, ça j’en suis sûr, et puis quand je suis revenu à moi j’ai commencé à vous appeler… j’ai appelé, appelé, mais pas de réponse, j’ai pensé que vous m’aviez laissé tomber, c’est le moment de le dire hein ? Tout ça pour un squelette dans un placard.

— Comment ! se récria Paulo. Te laisser tomber ! Pour qui tu nous prends dis, pour qui tu nous prends ? Jamais on t’aurait abandonné, quelle idée ! Plutôt se faire couper en p’tites rondelles… en fait, voilà comment ça c’est passé. Juste après ta disparition, j’ai tout de suite compris la situation, tu m’connais… aussi j’ai pris les choses en main et j’suis allé prévenir Pierre qui f’sait les cent pas dans l’couloir, ensuite on t’a entendu gueuler et nous v’là… hein Pierre ? Sans compter qu’on a risqué plusieurs fois not’ vie dans un escalier à moitié pourri… enfin pas pourri-pourri hein… la limite quoi.

Pierre décida de ne pas raconter la véritable façon dont les choses s’étaient passées. Heureusement pour le pauvre cou de Paulo déjà assez malmené pour cette nuit.

— Mouais… c’est à peu près ça.

— … oui, bon et ben maintenant qu’on t’a récupéré et qu’t’as l’air entier, plus rien nous r’tient ici. On devrait s’magner l’derrière pour rapatrier nos planches à rêves avant qu’le jour se lève.

Soutenant Jacky par un bras pendant que Pierre prenait la tête du cortège, Paulo conclut avec un regard brillant de satisfaction.

— Tout d’même ! Des nuits comme ça, z’en aurez pas tous les jours hein ?… pourriez au moins m’remercier… hein les gars ? Hein ?... Hein ?

Le retour se fit sans embûches. Les chewing-gums furent remâchouillés, un peu pour le plaisir, et le passage fut soigneusement refermé. Passant à nouveau devant la porte de Bouillot, Paulo récupéra sans bruit ses mystérieux ustensiles qu’il n’avait point oubliés, contrairement aux deux autres.

— Qu’est-ce que tu… commença à lui chuchoter Pierre.

— Chut… continuez, j’vous rejoins… allez, allez !

Pierre et Jacky n’insistèrent pas. Après avoir poussé Jacky à l’intérieur de leur dortoir, Pierre ne put empêcher un regard inquiet vers Paulo plié en deux dans le noir. Il se décida tout de même à entrer à son tour dans leur chambrée. Il rejoignit son lit avec délice et tira ses couvertures au ras de son nez.

Pierre resta néanmoins éveillé jusqu’à ce que l’ombre de Paulo se glisse elle aussi dans la chambrée. L’ombre souleva son matelas pour y glisser ses mystérieux outils. Les couvertures se soulevèrent et s’affaissèrent accompagnées d’un long soupir de satisfaction. Jacky ronflait déjà comme si rien ne s’était passé.

— Enfin, tu vas me dire ce que… commença Pierre

— Chut… tu verras bien demain… on pourra roupiller un chouïa plus long grâce à tonton Paulo, good nuit my p’tit pote.

— Mmoui… bonne nuit Paulo...

 

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Commentaires

plume bernache
suspense

 

 Quel suspense ! Pauvre Jacky…

 

J'ai retrouvé le climat de mystère du film"Les disparus de Saint Agil"

pifouone
Bonsoir Christian.   S'il y a

Bonsoir Christian.

 

S'il y a évolution, j'en suis content mais c'est grâce à toi. Je revoie mes textes en essayant des phrases plus courtes et j'enlève le superflu (même s'il y en a encore plein). J'essaie aussi, comme tu me l'as conseillé, de laisser une plus grandes place à l'imagination du lecteur (c'est difficile).

Je suis impatient de balancer le voyage en éolienne, j'ai carrément fermé les yeux et lâché la bride à mon petit cerveau. Beaucoup de plaisir, mais bon, pour le résultat, faut pas s'attendre à du Zola, on verra.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Décidément, c’est bien dans

Décidément, c’est bien dans les dialogues que tu es le meilleur. J’ai vraiment aimé cette phrase : « une expression de terreur l’habillait » pour le verbe utilisé dans ce contexte.

Le « Content de t’avoir connu mon pierrot » m’a bien faire rire. Quel opportuniste ce Paulo. L’en loupe pas une.

Il me semble déceler une évolution dans la manière d'écrire (dans le bons sens (du moins à mon goût)) tout en gardant ce sens du récit que tu as.

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