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Mésaventures d’un homme qui n’aimait pas les bêtes…

Samson, le bien nommé, avait un système pileux si développé qu’il aurait pu décourager le plus zélé des coiffeurs. Pourtant Marion, ma douce compagne, s’entendait à merveille avec les poils de ce félin, les démêlant sans impatience de sa main experte et cajoleuse.

Pour l’obtenir, cette main, j’avais dû aussi épouser... le chat !

Depuis cinq ans ils mettaient dans ma vie, l’une sa fantaisie charmante, l’autre sa nonchalante félonie. Pour son amour à elle j’endurais patiemment les désagréments de l’intrus : ces relents de fauverie dans les toilettes où trônait « le plat », le goût de « Ronron » que prenait régulièrement le jambon dans le réfrigérateur, mon Persan, — à moi — complètement lacéré... Et ces « mon minet… » pleins de tendresse dont ma femme nous gratifiait tous les deux dans le même élan...

Mais il y avait plus grave ! Bien que j’aie doublé ses étrennes, ma concierge me battait froid, car ce sauvage ne lui épargnait aucune avanie lors de fugues dont témoignaient quelques bâtards, étalant orgueilleusement de somptueuses fourrures aux abords de notre immeuble...

— Il faut le faire castrer, suppliai-je !
— Tu n’y penses pas, c’est un chat de grande race destiné à la reproduction, aussi il me rapporte largement de quoi subvenir à son entretien, ainsi, mon chéri, il ne te coûte rien…

Que répondre à cela ? Je souffrais en silence car – de plus, suprême injure, –il prétendait même occuper ma place dans le lit conjugal au moment où, bien entendu, me prenait l’envie de m’y installer... Lorsque je faisais mine de le chasser d’un geste impatient, les beaux yeux de ma femme, chargés d’un muet reproche, me rappelaient à l’ordre et la claque qui me démangeait les doigts se terminait hypocritement en simulacre de caresse...

Aussi, quand Marion dut s’absenter pendant une semaine pour son travail de décoratrice, elle n’oublia pas de joindre aux baisers du départ mille recommandations concernant l’importun, et j’ai dû marmonner in petto : « s’il pouvait seulement aller au diable !..»

Après quelques jours d’une cohabitation difficile, je me levai un matin en me disant, soulagé, que ma femme serait là dès le lendemain pour assumer les corvées.

Mais, lorsque j’entrai dans la cuisine, une surprise troublante m’attendait : ayant sans doute épuisé les ultimes ressources de sa septième vie, Samson, auréolé de sa robe couleur d’opale maléfique, gisait inanimé sur le carrelage froid. En vain je le secouai : il retomba, inerte. La souris, à demi dévorée, que je lui avais arrachée la veille, après une lutte féroce dont témoignait ma main lacérée, devait en être la cause, la dératisation ayant eu lieu récemment dans l’immeuble.

Dire que j’en éprouvai un vif chagrin serait hors de propos. Les réactions de mon épouse m’inquiétaient bien davantage. N’ignorant rien des sentiments que je nourrissais pour son matou, elle ne voudrait jamais croire en mon innocence... Il allait falloir prétexter une fugue définitive de l’animal mais, tout d’abord, faire disparaître sa dépouille. Question abrupte et lancinante : mais comment s’en débarrasser ?  

Le vide-ordures ? Impossible ! Il pesait bien ses douze livres ce gaillard-là... La perspective d’un découpage macabre me procura quelques frissons... Perplexe, je partis à mon travail. Si ma journée de bureau ne fut pas très productive, le soir je pensai avoir trouvé une solution : d’un vaste carton j’expulsai mes après-ski et y couchai le corps tout en murmurant – curieuse réminiscence – « Bigre ! il est encore plus lourd mort que vivant... » Cela me mit d’humeur joyeuse : désormais je serais seul à être « le minet » de Marion et je me délectai de quelques projets de voyages où le chat n’avait plus sa place...

Lorsque je passai devant la loge, la concierge me fixa de ses petits yeux inquisiteurs tendant le cou vers mon fardeau ; qu’allait-elle encore imaginer, celle-là ? Craignant ses bavardages, je crus bon d’expliquer :

— Heu... Je vais poster ce colis... » Elle ricana :
— Z'avez même pas mis l’adresse sur vot’paquet ! »

Je me sentis rougir et bafouillais lamentablement pendant qu’elle grondait :

— Eh, bien ! Dépêchez-vous donc, sinon ce s’ra fermé... »

Je m’empressai de lui obéir, soulagé d’échapper à ses sarcasmes. Me retournant furtivement, je vis qu’elle me regardait partir... dans une direction diamétralement opposée à celle qui menait à la poste !

Maudissant la pipelette et la gent féline tout entière, j’arrivai sur le Pont de l’Alma. Car j’avais décidé de confier à la Seine cet « encombrant », ni plus ni moins ! Comment, en effet, rêver plus belle sépulture ? Le chat aux yeux d’or que ma femme avait tant aimé reposerait, désormais, dans le fleuve émeraude qui roulait vers la mer ses friselis d’argent...

Ému par l’envolée poétique de mon esprit fertile, je laissai glisser le paquet le long du parapet. Une poigne solide arrêta mon geste : je levai des yeux candides vers un agent soupçonneux qui me dévisageait sans aménité :
                                          
— Attention, m’sieur, vot'paquet pourrait bien tomber sur la tête du Zouave, (tiens, je l’avais oublié celui-là !)... et ce ne serait guère facile pour aller le récupérer... »

Balbutiant quelques vagues excuses, je m’éloignai au plus vite et gagnai les quais. Mais je n’osai plus exécuter ma sinistre besogne car, de là-haut, l’agent surveillait le moindre de mes pas et je voyais déjà mon nom inscrit à la rubrique des « chats noyés » dans le canard à sensations dont ma concierge se régalait...

Je me coulai sous le pont et laissai tomber le « colis » sans plus de cérémonie. Une voix avinée sortit de l’ombre où son auteur était tapi :

— Eh ! l’ami, vous perdez quelque chose... Puis il ajouta : ça vaut bien un litre, non ? »

Dégoûté, je donnai une pièce au clochard, puis repartis au hasard des rues. Las ! les bouches d’égout s’avérèrent trop étroites... Sous une porte cochère un peu sombre, un gamin me fit manquer ma chance. Toutes les tentatives de ce genre demeurèrent infructueuses : que de gens honnêtes dans Paris ce soir-là !...

Furieux et fatigué, j’arrivai à la Gare Saint-Lazare et perdis mes pas dans la salle du même nom. Pendant que je réfléchissais, le nez en l’air, je heurtai sans le voir un voyageur fort encombré : ses bagages et le mien s’éparpillèrent au sol. En bougonnant très fort, – pendant que je détournais des yeux gênés –, des colis enchevêtrés il démêla les siens, puis se hâta vers son train en dédaignant mes penaudes excuses.

Épuisé, je pris un taxi pour rentrer chez moi. Demain j’aviserai, me dis-je : dès potron-minet (!) je pourrais peut-être glisser le cadavre sous le couvercle d’une poubelle avant le passage des éboueurs... la nuit, tous les chats sont gris ! Pour me réconforter, je me gargarisai hardiment de mes jeux de mots douteux... Dernière tentative, néanmoins : je tentais « d’oublier » mon fardeau dans le taxi, mais le chauffeur ouvrait l’œil et j’arrondis le pourboire car je me sentais vraiment une âme de coupable.

C’est ainsi que, toujours flanqué du chat, je glissai ma clé dans la serrure. Là, une autre surprise m’attendait : des jappements aigus m’assaillirent cependant que ma femme me sautait au cou. Volubile, elle m’expliqua un peu dans le désordre :

— Je viens juste d’arriver ! Oui, un  peu plus tôt que prévu... à cause de Whisky qui ne supporte pas de rester seul à l’hôtel. Elle ajouta :

— Lui ? Un Yorkshire d’un an, – et pure race, mon cher ! – que l’on m’a offert en récompense de mes bons et loyaux services... Ainsi nommé parce qu’il ne dédaigne pas une petite lampée de temps en temps !...»

Il ne manquait plus que celui-là pour venir vider ma cave, pensai-je accablé...

Saisi par l’urgence, j’avais profité de l’amoncellement des bagages dans le vestibule pour dissimuler le paquet compromettant. Mais vint la question fatidique :
                        
— Où donc est passé Samson ? Sous le lit, sans doute... Il a dû avoir peur du chien... Il lui faudra pourtant bien s’y habituer... «

Pendant ce temps, guidé par son instinct, le clebs tournait autour des valises flairant, en connaisseur, certain carton suspect qu’il s’activa bientôt à déchiqueter...

— Non ! criai-je horrifié... »
                        
Et le pire arriva : Marion s’empara, malgré toutes mes dénégations, de ce qu’elle présumait être un cadeau, (bien mal ficelé, d’ailleurs, s’indigna-t-elle !). Alors que je fermai les yeux dans l’attente d’une catastrophe imminente, un cri de joie me fit sursauter et me ramena, effaré, à une curieuse réalité :

— Un lièvre ! Quelle bonne idée ! Je vais te mitonner un de ces civets... tu m’en diras des nouvelles ! » (la cuisine était son passe-temps favori...)

Éberlué et soulagé à la fois, je ne l’écoutais plus. « Comment un chat, — fut-il Persan — peut-il se réincarner en gibier après sa mort ? » me demandais-je, perplexe... Puis, je revis le voyageur bousculé, les paquets entremêlés, et un rire incoercible (bien que peu charitable) me secoua tout entier à l’idée de sa déconvenue en découvrant la bête... Content de mon hilarité, le chien leva allègrement la patte sur le revers de mon pantalon.

— Ca y est, mon chéri, il t’a adopté ! » s’exclama, ravie, ma tendre moitié.

« Oh ! oui, c’est certain, » me dis-je, faussement résigné, car il se dirigeait maintenant tout droit vers mon fauteuil favori sur lequel il s’installa avec l’air béat du propriétaire satisfait.
 

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Commentaires

Pepito
Miaouuuu !

Bonjour Mona 79,

 

Forme : belle écriture, cela coule d'une traite.

Pour les jeux de mots, pas d’excuses, il faut bien se faire plaisir.

 

Fond : je compati, ces délicieuses petites bêtes sont bien encombrantes. 

Un hic sous le pont près du clodo, l’impression que le colis est tombé à la baille. Peut être revoir la phrase.

 

Merci pour cette réjouissante lecture.

 

Pepito

 

L’écriture est la science des ânes (adage populaire)

Mona 79
Merci

Merci à vous, Luluberlu et Pifouane, pour vos commentaires et vos encouragements. Il s'agit là d'une "oeuvre" de jeunesse mise à jour et remaniée, bien qu'elle demanderait encore, sans doute, quelques corrections, nul n'est parfait ! à vrai dire j'ai un peu de mal avec la prose, mais je m'entraîne...

luluberlu
Portrait de luluberlu
Une lecture très agréable ;

Une lecture très agréable ; c'est léger, j'irai jusqu'à dire primesautier (dans le sens de : Qui exprime une spontanéité, une vivacité de trait, de style).

pifouone
Bonjour Mona   Alors, autant

Bonjour Mona

 

Alors, autant le dire tout de suite, commencer ma journée par vous lire a été un vrai petit moment de bonheur. Pourtant, le matin, ce n'est pas mon truc. Je ne parle pas, je ne réfléchis pas, je n'existe pas,  je ne veux même pas qu'on me regarde (j'exagère un peu). Mais là, de l'humour, de la légèreté,  de l'efficacité, de la simplicité, pour moi c'est dit, j'adore! J'ai souri limite rire plusieurs fois ! Si, si ! Bien sûr je ne suis qu'un simple lecteur et mon avis compte pour peu, mais pour moi votre nouvelle coule comme un bon vin. Merci.

 

Didier (pifouone)

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