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« Céline s’est-il suicidé ? », » le collabo Céline retrouvé mort sur une voie ferrée", « Mort mystérieuse de Céline, l’écrivain maudit », « Qui avait intérêt à la mort de Céline ? », « Un médecin de Meudon meurt dans d’étranges circonstances ».

Il les voit d’ici, les titres des journaux : ceux qui donneront dans la fausse retenue, ceux qui feront semblant de ne pas savoir de qui on parle, et ceux qui s’acharneront sur son cadavre, comme des chiens de meute autour du cerf abattu. La presse de gauche en général, la presse communiste en particulier. Pourtant, ce soir, ce n’est pas ce qui s’écrira dans « Les lettres françaises » qui le fait trembler, c’est le froid ; mais peut-être que « L’Huma » ne mentionnera même pas sa mort en première page : le coup du mépris ; après tout, ce sera peut-être mieux ainsi, pour Lucette, qui va se retrouver toute seule dans cette baraque.

Il lui a laissé un mot sur sa table : « je suis descendu chez madame ✭✭✭, pour lui refaire ses pansements. De retour vers 20 h ». Quand il a quitté son cabinet de consultation, qui est aussi son bureau, elle donnait un cours à l’étage ; écho du piano et frappement des pointes sur le parquet.

Les chiens. Les vrais ; ceux de la maison du numéro ✭✭; depuis que le propriétaire l’a insulté, traité d’ordure fasciste et menacé de lâcher ses bêtes contre lui, le docteur Destouches évite de gagner le bas de la ville par la route des Gardes ; il sait bien que les molosses de ce presque voisin sont en liberté dans le parc et que la grille est parfois entrebâillée. Un soir, au début de cet automne, il a dû se défendre en frappant les deux bergers allemands avec sa sacoche en cuir ; il a réussi à ne pas se faire mordre, mais sa trousse de médecin en a été toute déchirée. 

Ça la fiche déjà mal, un docteur qui vient visiter ses patients à pied, si en plus son stéthoscope tombe sur le tapis par une large déchirure du cuir dès qu’il a besoin de son matériel ! Une voiture, pour un praticien, c’est presque un outil de travail, quelque chose de nécessaire pour pouvoir exercer vraiment ; pas forcément une DS 19 toute neuve, comme le docteur T✭✭✭, tout en haut de la rue, mais même une 4CV, une 2CV, tout vaudrait mieux que ce médecin piéton, et qu’on voit aussi descendre ses poubelles lui-même jusqu’à la rue.

D’ailleurs, même s’il crache toute sa haine de l’automobile, dans le livre auquel il travaille, la vérité est qu’il y pense, à une voiture, pas pour s’en acheter une, non, mais parfois, comme ça… par exemple lorsqu’au lieu de prendre la rue dans le sens de la descente, il la remonte au contraire sur quelques mètres pour s’engager dans le Chemin aux bœufs ; comment n’y penserait-il pas, d’ailleurs, alors que s’étend en contrebas l’extrémité du vaisseau illuminé de Renault ? 

Le Chemin aux bœufs, c’est ce passage qui permet d’éviter un grand détour : une étroite ruelle dont la pente naturelle très raide a été considérablement atténuée par le moyen de cinq petites marches, tous les cinq mètres, et ce boyau pavé est bordé par deux hauts murs de moellons grossiers. Les soirs où Agar l’accompagne, il a l’impression de l’être moins, lui, hagard, tandis qu’il dévale cette venelle grâce à laquelle on peut rapidement rejoindre Bellevue.

Mais si, dans ce livre qu’il est en train d’écrire, et qui s’intitulera d’un château à l’autre, il veut faire croire que son chien l’accompagne toujours et partout, la vérité est un peu différente, et Agar reste souvent à la maison, on ne sait jamais, pour avertir Lucette d’une intrusion, pour la protéger, au besoin. 

Par elle-même, la ruelle aux bœufs n’est pas vraiment inquiétante, parce qu’on peut voir assez bien, grâce aux murs, et d’un peu loin, si quelqu’un guette ; non, ce qui lui provoque toujours une certaine appréhension, c’est la passerelle : dès qu’on a parcouru quelques mètres, à partir de la route des Gardes, on débouche soudain, et sans y être préparé, sur une mince passerelle qui enjambe, dans un vide impressionnant, une tranchée d’une bonne vingtaine de mètres de haut, et en bas, c’est le ballast du chemin de fer.

Il se dit que si deux hommes décidés se postaient là, rencognés à l’entrée de la passerelle, et se saisissaient de lui par surprise, ils n’auraient aucune peine à le faire basculer par-dessus le parapet, même un seul homme décidé, peut-être, y parviendrait ; et le crime perpétré sans arme, sans témoin, à la faveur de la nuit, serait très vite, compte tenu de l’identité de la victime, une affaire classée. Souvent, il se dit que c’est inévitable, que c’est comme ça que ça va finir, peut-être ce soir, ou demain. 

S’il ne meurt pas fracassé sur la voie ferrée, avant peut-être que son corps maigre habillé presque comme un clochard ne soit haché par un train et qu’on ne parvienne même plus à identifier son cadavre avant des jours, il aura soixante-trois ans en mai de l’année prochaine, et il voudrait bien vivre assez pour publier encore ce livre sur les mois passés à Siegmaringen. Mais Brottin ne croit plus en lui, il lui dit que sa littérature de vaincus n’intéresse personne, ou qu’il aurait fallu changer son fusil d’épaule...

Brottin ! Son vrai génie d’éditeur, sous l’occupation, est-ce que ce n’est pas d’avoir su publier des gens de tous les bords ? Et Camus, et Tartre, ont permis qu’il ne lui arrive rien, en 44 ; pas comme l’ami Denoël ; liquidé, Denoël ! Et Céline, pareil, question de temps, rien de plus. Il se les représente comme s’il les avait déjà vus, les deux types qui l’attendent, ou qui l’attendront, à l’entrée de la passerelle, et qui le balanceront dans le vide ; des gars pas compliqués, pas du tout des tueurs, peut-être des manœuvres de la Régie, en bas, à qui on aura demandé de régler une bonne fois son compte à une vieille crapule, des gars qui font ça, qui feront ça, pour rendre service, comme ils iraient pousser une bagnole tombée en panne. 

À ces braves bougres il n’en veut même pas ; ils n’en savent rien, mais, même avec leur troisième semaine de congés payés et leur salaire, à 177 francs de l’heure, ce sont aussi des vaincus, dans leur genre. Leur patron, c’est l’État ; mais est-ce que l’État se préoccupe de leur niveau de vie, simplement de leur vie ? On leur dit que oui, mais avec leurs même pas 30 000 francs, est-ce qu’ils ne sont pas obligés de manger souvent des pâtes, eux aussi, parce que c’est moins cher et que ça ne sent pas fort comme la friture ? C’était déjà comme ça, passage Choiseul, et sûrement également à Courbevoie, à la fin de l’autre siècle.

Ici aussi, le chemin de fer marque un arc de cercle, alors, tout en descendant, dans le froid de décembre, il fait ce rapprochement incongru en imaginant son épitaphe : Louis-Ferdinand Destouches, né à Courbevoie, mort à Meudon, dans la courbe d’une voie… 

C’est le sort de Lucette, qui lui fait souci, quand il ne sera plus là. Mais de mourir, à l’improviste, balancé d’un pont par des gars de la Régie, des gars « de Dreyfus », comme il le marmonne souvent — pas le Dreyfus de l’Affaire, non, celui des bagnoles —, au fond ça lui fait pas si peur, précisément parce qu’il a apprivoisé cette mort probable.

D’un château à l’autre : ça fait pas mal de temps qu’il a trouvé ce titre, il lui plaît bien, il va le garder. Bien sûr c’est « l’autre » qui contient toute l’ironie du titre ; parce qu’enfin cette maison de la route des Gardes, c’est bien tout le contraire d’un château ! Si, il doit y avoir un point commun avec les vieux châteaux, c’est qu’il y fait froid ; comme il y fait froid ! On ne chauffe que l’atelier de Lucette ; on ne peut tout de même pas faire danser des gamines de onze ans avec six degrés dans la pièce — mais le reste de la baraque n’est pas chauffé. 

Pour les quelques patients qu’il reçoit encore, le froid qui les saisit dans son cabinet est terrible, surtout quand les pauvres bougres qu’il soigne doivent retirer leur tricot de peau pour l’auscultation ; ça lui fait de la peine, un peu honte aussi, ces hommes usés, négligés, soudain gagnés par la chair de poule chez le docteur ; ceux qui sont crasseux, sous leurs épaisseurs de vêtements douteux, c’est presque tant mieux, ils ressentent moins le froid, celui du cabinet comme celui, métallique, du stéthoscope.

Tard le soir, quand il pose les énormes liasses de pages de son manuscrit sur la même table dont il se sert pour rédiger ses ordonnances, il sent flotter encore au-dessus du dossier de la chaise sur laquelle ils ont déposé leurs frusques, cette sale odeur de suint qui lui rappelle toutes ces périodes de précarité, à Berlin, dans les trous à rats, sous les bombardements, à Siegmaringen, au Danemark…

Mais le froid, à lui, ça ne lui fait plus mal ; le confort, c’était dans la maison de Montmartre, celle qu’il a fallu fuir, en toute hâte, en abandonnant tout, en 44, et qui a ensuite été dévalisée, par les ennemis, et aussi par les « amis ». Une autre vie. Là, oui, il a été bien, avec Lucette ; mais depuis, il a l’impression qu’il n’y a plus rien eu d’autre dans leur existence que la précarité, les privations, le froid, et puis le qui-vive, toujours cette sensation d’une menace diffuse, mais sans cesse présente, comme là, pendant qu’il descend vers le Bas-Meudon par le Chemin aux bœufs. 

La patiente à qui il va changer ses pansements, il sait bien qu’elle n’en a plus pour longtemps, elle non plus ; d’ailleurs, à l’hôpital de Versailles on s’est débarrassé d’elle et on l’a renvoyée à son domicile ; il pense quand même qu’elle verra l’année nouvelle, mais elle n’ira sans doute guère au-delà ; « Au-delà » ; ça l’amuse, ce mot, parce que lui sait résolument que cette vie, si misérable soit-elle, n’est l’antichambre d’aucune autre vie meilleure ; quand les types l’auront jeté de la passerelle, et que sa tête se sera fracassée sur les rails, tout sera aussitôt fini, sa vie, son œuvre, la littérature, tout. Mais peut-être aussi qu’on lui laissera encore un peu de temps pour finir son « château ».

Voilà, la passerelle a été traversée et les deux costauds de Renault n’y étaient pas, ou alors ils seront là quand il remontera de sa visite chez la vieille dame. La tranchée du chemin de fer est aussi un chenal pour le froid, à cause d’une lame de vent qui s’y engouffre en permanence, pas vraiment de vent, d’ailleurs, plutôt un courant d’air plus froid, très perceptible même si on ne sent pas de véritables rafales. En tout cas, il a l’impression, là plus qu’ailleurs, que son souffle, à lui, se traduit davantage par une expiration chaude devant son visage.

D’un château à l’autre ; oui, il y a quelque temps déjà qu’il a choisi ce titre, un bon titre, d’ailleurs, même si certains soirs, en y pensant, il ne le trouve pas si bon que ça. Qu’est-ce qui lui manque, à ce titre, pour être parfait, pour lui ramener enfin des lecteurs, pour pas que Brottin lui dise encore qu’il est un écrivain dépassé, du passé ? Peut-être que c’est un titre trop sage, pas en conformité avec son écriture, avec les phrases bringuebalantes qui ont rendu son style si unique. Comment justement en faire un titre un peu de guingois, un peu bancal, un titre en forme de château de cartes, sur le point de s’écrouler ? Peut-être supprimer « d’un » : Château à l’autre. Y réfléchir.

Pas loin d’ici, à deux pas, même, habitait le compositeur roumain Enesco. En continuant à descendre entre les deux murs du Chemin aux bœufs, il se souvient l’avoir vu, peu de mois après leur installation à Meudon, qui se rendait à pied à la petite gare du Bas-Meudon. Il lui a paru bien vieux et bien pauvre, le grand musicien ; et pourtant, les journaux ont rapporté qu’au moment de sa mort, à Paris, l’année d’avant, en 1955, il était veillé par la reine de Belgique.

Mais pour lui, Céline, il n’y aura ni roi ni reine à son chevet, et ce sera certainement un modeste employé à la surveillance des voies ferrées qui trouvera son corps disloqué sur les cailloux et les traverses, avec sa cervelle collée sur le métal froid et luisant d’un rail. A-t-il conscience qu’en se projetant ainsi dans la représentation très réaliste de son cadavre mutilé il retrouve les images de la guerre de 14 qu’il a dépeintes avec tant de force dans le Voyage…, et puis surtout la longue et terrible description du corps de Roger-Marin Courtial des Péreires après son suicide ?

Demain, ou la semaine prochaine, quand ils auront accompli leur besogne, il sait bien que ses ennemis vainqueurs se serviront de ce texte pour accréditer la thèse du suicide. Il faut l’accepter. Peut-être bien qu’ils iront aussi lui voler son manuscrit, ou qu’ils mettront le feu à la maison. Si au moins Agar réussissait à protéger Lucette.

On a dit de lui que sa phrase déstructurée était l’écho de tous les chaos du siècle, mais certains font semblant de croire qu’il ne sait pas écrire, qu’il produit des romans composés à la va-comme-je-te-pousse. Lui, le terrible auteur des pamphlets, si on savait comme cette accusation lui fait mal, encore maintenant ! Il voudrait qu’on dise de lui qu’il est un grand styliste, parce que c’est d’abord ça qu’il veut être. Tiens, pourquoi son titre le tracasse tant ? Parce qu’il y a remarqué un hiatus : d’un châtEAU À l’autre, O-A. Ça ferait bien marrer Loukoum, ou Brottin d’apprendre que ce qui tourmente Céline, c’est un hiatus dans le titre de son prochain bouquin !

Où est-ce qu’il a lu ça, ce récit des derniers moments de Danton et de ses partisans, à la Conciergerie ? : Devant le lion d’Arcis-sur-Aube, qui peste de devoir mourir alors qu’il a un tel désir de vivre, Fabre d’Églantine craint qu’une fois mort, on ne joue plus sa nouvelle tragédie versifiée ; et Danton s’emporte : « Des vers, c’est pour cela que tu te fais du mal ? Mais des vers, est-ce que nous n’allons pas en faire bientôt ?! » Anecdote terrible ; et dans laquelle Céline se reconnaît chez les deux protagonistes : de Danton, il a lui aussi la lucidité froide, mais de Fabre, cette désarmante sensibilité envers son œuvre. Tout à l’heure, ou la prochaine fois, il se dit que le métal du rail ne sera guère différent du métal du couperet.

Le médecin, en lui, est plus humble que l’écrivain ; le docteur Destouches sait que la vieille dame d’en bas va bientôt mourir, et il sait exactement quel secours il peut lui prodiguer, celui, bien limité, d’adoucir ses derniers jours. Mais Céline, l’écrivain, voudrait que son œuvre soit immortelle. Et il se fait un sang d’encre non pour les menaces qu’il sent peser sur sa propre vie, mais pour celles sur les milliers de feuillets de son manuscrit.

Mais non de Dieu ! qu’est-ce qu’il faut faire pour que ce titre fonctionne ?

Il a atteint le quartier Bellevue, près de la boucle du fleuve ; c’est vrai que la vue est belle, avec la Seine, miroitante des lumières de la ville, des lumières de l’usine. Il y a bien peu de gens dans les rues de Meudon, en cette fin décembre. Il faut aller à Paris pour trouver le grouillement des fêtes de fin d’année. À Meudon, tout est mort, et puis, avec les restrictions de carburant, on ne sort plus guère les voitures.

La vieille dame souffre beaucoup, ce soir ; il lui fait sa piqûre, bavarde un peu avec elle, lui demande, par plaisanterie, si elle a ses bons d’essence pour pouvoir aller bientôt à la campagne en convalescence. Mais elle a à peine entendu parler de la crise de Suez, du rationnement, et même de Guy Mollet.

Le froid a encore augmenté quand le docteur quitte le domicile de la vieille dame ; oui, elle devrait voir le nouvel an, mais ne dépassera probablement pas janvier. En lui préparant son injection, il a regardé le buffet de la cuisine ; le calendrier des PTT 1956, avec sa vue des remparts de Saint-Malo, y trône bien au centre, mais celui de 1957 aussi, perpendiculairement, en attente. Elle a choisi une photographie du vieux port de Nice, avec des barques de pêcheurs au premier plan. C’est cette image qui vient de lui faire trouver le nom qu’il donnera à la vieille dame, dans le livre : Mme Niçois.

En remontant, il ne pense plus du tout à ses meurtriers, il est tout à ce qui vient de progresser, dans l’écriture de son roman, pas seulement le nom de la dame, mais le fait que ce sera sur elle qu’il terminera le livre. Il se sent maintenant le cœur plus léger, parce que son livre a bien avancé, parce que tout se met en place ; dans les jours qui viennent, si on lui en laisse le temps, il écrira le difficile épisode onirique des retrouvailles avec La Vigue, le passage de la péniche. 

En sortant de chez « Mme Niçois », donc, il est passé devant une maison où une radio marchait très fort. Pour une fois ce n’était pas un reportage « de notre envoyé spécial au Caire ou à Port-Saïd », c’était une chanson, une sorte de romance napolitaine, portée par une belle voix de chanteuse à accent, une voix grave, magnifiquement timbrée. Il s’est arrêté sur le trottoir pour écouter cette inconnue narrer les émois d’un gamin, amoureux précoce, un gosse pressé de grandir, comme il l’était lui-même vers 1910. Et lorsqu’il a refranchi la passerelle de la tranchée ferroviaire, il fredonnait déjà cette mélodie entêtante et charmante, et il n’avait plus du tout peur.

C’est au moment où il poussait le portail de la maison, dont la masse sombre se détachait sur le ciel moins noir, qu’Agar est venu l’accueillir en aboyant de joie, très fort. À cet instant, un souvenir visuel particulièrement vif, celui du burg de Siegmaringen, perçu, les soirs de 1944, comme un dessin de Victor Hugo, s’est superposé à la masse obscure du dérisoire « château » de Meudon ; et dans un tressaillement il a murmuré, l’âme soudain envahie de bonheur : » d’un châtEAU L’autre ».

 

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Commentaires

barzoï (manquant)
Bas Meudon

Un texte riche, sensible, très agréable à lire, j'ai vraiment beaucoup aimé

incognito
Bonjour, Laroche,   Un

Bonjour, Laroche,

 

Un courriel de l’Ecriptoire m’annonce : « La nouvelle « Bas-Meudon » (genre : Inclassable) de Laroche vient d’être publiée et n’attend plus que vos commentaires ». Mes oreilles se dressent, mes pupilles se dilatent, ma peau se contracte et est traversée de frissons. Non ! Se pourrait-il ? J’y crois pas. Ce « Meudon » a mis tous mes sens en éveil. Vraiment, se pourrait-il ? Le Meudon de la Route des Gardes ? Mais non, voyons… ça, c’est dans le haut, pas dans le bas. Bon, je vais voir quand même, des fois que… Et là… bingo !… la mémoire s’enflamme… Lili… le piano, le cours de danse à l’étage… Billancourt… Agar… Loukoum… Ben Achille… Madame Niçois… les pâtes sans odeur… le passage Choiseul… jusqu’à Courbevoie… la Rampe du Pont du tout début, mai ’94… le printemps juste après que la Seine a gelé… tout y est, nom de Dieu ! On trouve même des éléments de style : ce « médecin piéton »… typique Céline !

 

Dans ce texte, je vois plusieurs trames :

1.       La description de l’univers de Céline.

2.       L’imagination d’une fin possible, sous la forme d’un meurtre.

3.       L’évocation d’un livre en train d’être écrit, mêlant la réalité à l’imagination.

4.       L’évocation d’un langage en cours d’invention.

 

Je vais passer en revue chacun de ces points.

 

1.       La description de l’univers de Céline.

C’est très bien fait. Les éléments de l’œuvre, de l’existence de Céline sont suffisamment nombreux et précis pour qu’on y retrouve ce qu’on en sait, et qu’on y retrouve dès lors l’atmosphère connue pour qui s’y est intéressé d’un peu près. On voit bien que vous avez lu Céline, beaucoup, avec beaucoup d’attention et, de toute évidence, beaucoup de plaisir. Il y a juste une petite chose qui me dérange, mais je vous prie de prendre ceci avec recul et de n’y voir qu’une impression personnelle. Certes, le texte est rédigé de bout en bout à la troisième personne du singulier, mais il me semble qu’il y a certains passages où le point de vue est davantage celui du personnage Céline, et à d’autres endroits davantage celui d’un narrateur omniscient. Lorsque le point de vue est celui de Céline, on peut écrire tout ce qu’il aurait lui-même pu écrire, avec toute la part d’invention et de mauvaise foi qu’il aurait pu y mettre. Mais lorsque le point de vue est celui d’un narrateur extérieur, il me semble qu’il faut davantage prendre garde à ne pas présenter comme vérité ce qui n’est que supposition. Il y a deux endroits, en particulier, où j’ai un peu tiqué. Je vous les livre ici…

A.      « Tartre » aurait permis qu’il n’arrive rien à Céline, en ’44 ? J’ai un doute. Vous avez dû lire  « A l’agité du bocal », je suppose.

B.      Brottin aurait saboté l’œuvre de Céline, ou du moins n’aurait rien fait pour la mettre en valeur ? Là aussi, j’ai un doute. Certes, Céline lui-même le prétendait. Mais comment le prétendait-il, et que ne prétendait-il pas ? Ne le faisait-il pas dans sa correspondance aux Gallimard, que l’on doit prendre avec toutes les précautions d’usage chaque fois qu’il s’agit de Céline. Céline pouvait exagérer, pouvait mentir, mettre tout son talent, toute sa verve épistolaire au service de sa mauvaise foi. Surtout, Céline pouvait jouer, encore et toujours, jouer sur le fond pour jouer sur la forme, au risque, subi ou voulu ou les deux à la fois, de se mettre dans les pires situations. Ces histoires de publications contrariées n’étaient-elles pas, dans le fond et avant tout, un jeu entre Céline et son éditeur. Roger Nimier écrivit ceci à Louis : « Gaston s’ennuie. Il ne reçoit plus vos lettres d’insulte. Il est obligé de relire les anciennes ».

 

2.       L’imagination d’une fin possible, sous la forme d’un meurtre.

C’est bien fait également, c’est bien vu, car ceci introduit l’élément qui est peut-être l’élément principal caractérisant l’existence de Céline : la méfiance, pour partie justifiée, pour partie paranoïaque.

 

3.       L’évocation d’un livre en train d’être écrit.

Il y a un côté « mise en abîme » qui, là encore, est très bien vu, car vous décrivez un Céline en train d’écrire « D’un château l’autre » alors que Céline lui-même a mêlé, dans la trilogie allemande, l’histoire passée a celle de l’auteur en train de créer, à tel point qu’il se disait alors chroniqueur. Vous décrivez donc un Céline en train d'écrire un livre dans lequel il s'écrit en train d'écrire. Vous vous êtes vous-même posé en chroniqueur en mêlant des noms et événements de l'époque dans votre narration, et c'est très bien vu.

 

4.       L’évocation d’un langage en cours d’invention.

Il s’agit probablement là de la trame qui m’intéressait le plus et il n’est dès lors pas étonnant que ce soit celle-ci qui me déçoive un peu. Je m’attendais à trouver le cheminement intellectuel (ou autre) menant de « D’un château à l’autre » à « D’un château l’autre ». En fait, je n’ai trouvé que la contrariété initiale de Céline (lorsqu’il trouve que quelque chose ne va pas) quant à la première version du titre et ensuite l’énoncé de la version finale, mais il me manque le cheminement. En fait, je me rends compte que ce que je viens d’écrire n’est pas tout à fait vrai. On trouve un peu du cheminement, c’est vrai, mais je ne l’ai probablement pas intégré parce que je ne l’ai pas trouvé acceptable, plus particulièrement parce que j’y trouve une contradiction. Dans un paragraphe, vous évoquez le désir de Céline de faire un titre « un peu de guingois, un peu bancal, un titre en forme de château de cartes, en train de s’écrouler ». Ceci correspond à l’idée que se font beaucoup de gens du style de Céline, c’est-à-dire tous ceux qui se trompent, selon mon humble avis qui n’engage que moi, bien entendu. Ceux-là pensent que le travail de Céline consistait à salir la langue, à l’alourdir pour la rendre plus complexe. C’est tout le contraire ! Votre phrase reprend l’idée de mouvement, ce qui est déjà une bonne chose, mais il ne s’agit là que d’un mouvement de chute, conséquence de la gravité, de la lourdeur, alors que le mouvement imprimé par Céline à la langue relevait d’un mouvement vers l’avant, à toute vitesse, permis au contraire par la légèreté. Plus loin, vous êtes cette fois, toujours selon moi, dans le bon, lorsque vous évoquez le hiatus. Car en effet, tout au contraire de l’alourdissement, il s’agit d’alléger la langue, de ne lui opposer aucun obstacle, d’aller au but le plus rapidement possible.

Céline a admirablement métaphorisé ceci dans les « Entretiens avec le professeur Y », dont je ne doute pas que vous les ayez lus. A ce sujet, j’ai d’ailleurs été étonné que vous n’utilisiez pas les rails du train, très présents dans votre texte, pour faire un parallèle avec les rails du métro, mais il s’agit peut-être d’un choix d’auteur.

 

En final, je vous remercie pour ce texte qui m’a beaucoup intéressé. Je trouve que les idées sont bonnes, qu’elles sont plutôt bien exprimées, à la seule réserve que j’ai faite ci-dessus. Si le texte devait être retravaillé dans le sens indiqué, il me satisferait alors vraiment pleinement. Tout ceci n’est bien sûr qu’un avis personnel.

luluberlu
Portrait de luluberlu
Insondable mystère de la

Insondable mystère de la création artistique. Un bon texte, qui témoigne d’une réelle connaissance de cet écrivain à l’écriture chaotique et plutôt nihilisme.

Seuls, Agar hagard me semble superflu (bon mot ? je n’en suis pas sûr). Le lecteur que je suis aurait fait le lien de lui même.

Également, l’excès de virgules qui souvent hache inutilement le texte et nuit à la fluidité de la lecture.

Enfin, la typographie et la ponctuation (comme je l’ai déjà fait remarquer). C’est ennuyeux de devoir corriger systématiquement, même si mon logiciel de correction fait le boulot. J’ai l’impression à chaque fois que c’est du foutage de gueule.

Pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrai pas, j’ai supprimé le titre en début de texte et utilisé la police ARIAL corps 14 (voir : http://ecriptoire.org/content/aide-aux-auteurs). Ajouté une ligne à blanc en fin de texte également.

Dernier point : participer (ne serait-ce qu’un peu) à la vie du site permettra de le faire connaitre, et donc, d’attirer de nouveaux auteurs/commentateurs. Il y a, me semble-t-il, un devoir de réciprocité… Mais peut-être suis-je naïf ? smiley

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