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Les contraintes : Un tableau, une musique, une histoire...

Blanc. Tout est blanc... Blanc comme un rêve inaccessible... Blanc comme un paradis perdu... Blanc... Froid. Ce froid qui minéralise tout sous son regard de glace. Blanc comme un chagrin qui n’a plus de larmes. Blanc comme un enfant perdu. Et c’est ce qu’il est lui... Lui aussi n’est que blanc jusqu’au plus intime de soi. C’est l’abandon. C’est un espoir qui ferme les yeux. Un secret qui étouffe. Une chape de mort...

Devant ses yeux, un chemin sans fin où les pas s’enfoncent dans un amoncellement de gros édredons. Il faut avancer pauvre marionnette. Mécanique perdue, seule chose mobile dans ce piège blanc. Mais bouge-t-il vraiment ?...

Il marche... quatre pas... quatre notes lancinantes martèlent sa tête. Une cinquième en suspend... C’est la musique d’une solitude blanche. Pourquoi cette pastorale n° 6 en mi mineur de Manuel Blasco de Nebra ? C’est un chien fidèle qui s’attache à ses pas. Pourquoi lui ? Il marche sur le fil de son ennui, mais il avance pour que le fil ne casse pas. Lui devant, le chien derrière. Quatre pas, encore quatre pas, une note en suspend...

À fil tendu, à pas creusés dans la neige crissante, le froid l’a figé jusqu’à l’âme. Il avance... Toujours ces quatre notes qui dansent dans sa tête vide, la cinquième en écho... Quel est ce fil ténu qui le tire en avant ? Un pied, puis l’autre s’enfonce dans ce duvet glacé. Il avance...

Il se demande s’il est encore en vie. Si c’est un rêve, un rêve blanc, si froid... mais il avance... Ce n’est que ça la mort alors ? Il ne sent plus le froid. Son corps ne pèse plus. Il est plume qui marche. Il avance... Longue est la route... Il voit les coulées de lumière sur la neige. C’est beau. Il imagine, là-bas, quelques âmes défuntes qui lui font signe. Oui, ils sont plusieurs. Il n’est plus seul alors. Soudain ce n’est plus triste. C’est un tout autre monde où il est entré par mégarde. Il a quitté l’ennui. Tous ces personnages qui s’agitent au bout du chemin ! Il sait : ils préparent un linceul ; le sien. Ils ont l’air si gais. Ils font du bon travail. C’est bien.

Veut-il vraiment mourir ? Non, pas vraiment. En fait, il ne sait pas. Il ne sait plus ce qu’il veut et s’il veut quelque chose.

Il avance... Il sait quoi au juste ? Il sait qu’il est perdu au sein de la montagne. Ses compagnons sont restés dans la béance d’une crevasse noire. Il est seul survivant. Alors il faut improviser sa vie. Sortir de cette pesanteur pour sauver ce qui reste de vie. Ce je-ne-sais-quoi de léger, de si léger qui s’obstine encore à s’accrocher à lui. Il n’a plus que ce fil tendu si mince, si frêle. Un pas, encore un pas dans ce moelleux où la lumière s’amuse à peindre des nuances de nacre.

Il entend les secours. Est-ce hallucination ? Oui ? Non ? Au fond il s’en moque. Plus rien n’a d’importance... Et soudain, il s’étonne. Une image s’impose. Tout ce blanc... Il pense à Sorolla. Le tableau de la voile. Tout ce blanc dévoilé... C’est une autre partance... Tous ces gens au soleil dans un jardin fleuri... S’il revient dans le monde qui vit, s’il échappe à la mort, il fait une promesse à lui-même, à la vie : il ira rendre grâce et revoir le tableau.

 

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Commentaires

Manuella
Portrait de Manuella
Un texte " vagabond ",

Un texte " vagabond ", habilement sorti d’un tableau. Tout aussi émouvant que le Blanc (toutes les couleurs réunies, pour finir !)

yes

 

.angel

enlightened

luluberlu
Portrait de luluberlu
J’ai noté, depuis quelque

J’ai noté, depuis quelque temps déjà, une certaine addiction à la marche. Il est vrai qu’elle est source d’inspiration... Et dans ce cas, c’est plutôt réussi.

plume bernache
   "blanc comme un chagrin

 

 "blanc comme un chagrin qui n'a plus de larmes" "il marche sur le fil de son ennui". J'ai relevé (entre autres)ces deux pépites dans ce paysage poétique, doux,  glacé et lumineux. Rêve ou réalité, peu importe.

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