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Concours. Règles ICI.

La plage s’étendait devant lui. Des galets noirs, aplatis et lustrés par des siècles de marées, reposaient sur un sable blanc immaculé.
Il avait pu en apprécier la douceur et la chaleur quand ils avaient accosté après une nuit de tempête cauchemardesque.
Ses compagnons invoquaient le ciel et commençaient à recommander leur âme à Dieu quand il avait réussi à retrouver l’entrée de cette crique. Leur bateau éventré par un rocher gisait à cinquante mètres de là, il pouvait entendre le bruissement du vent dans les haubans. Bientôt il s’enfoncerait dans la mer et disparaîtrait.

Il laissa errer son regard sur les falaises qui arrêtaient la plage. Des bandes de pierres grises entre des coulées plus claires témoignaient de l’agitation géologique et volcanique du site ; de petites grottes inaccessibles s’ouvraient le long des parois. Il chercha un moment comment il pourrait les atteindre, son esprit curieux imaginant les découvertes qu’il y ferait. Il avait entendu parler de sépultures, de rituels, mais les habitants de l’île ne partageaient pas leurs secrets.
Au-dessus des falaises une forêt dense et impénétrable lui cachait l’horizon ; des camaïeux de verts, d’ors et de bruns laissaient deviner la richesse de la flore. De temps en temps, et sans que rien ne le laisse présager, un envol d’oiseaux multicolores, piaillants, venait réveiller la torpeur de cette fin d’après-midi. Ils s’élevaient dans le ciel, tournoyaient dans un vol désordonné et disparaissaient, avalés par l’épaisseur verte.

Il pensa aux enfants. Il les avait laissés derrière lui pour une énième expédition et regrettait de ne pouvoir partager avec eux le plaisir de ses découvertes et la beauté de toutes ces terres magnifiques sur lesquelles il avait accosté. Il était sûr que le climat de cette contrée leur serait bénéfique, qu’ils deviendraient aussi solides et enjoués que les petits autochtones. Il les imaginait courant dans les vagues, escaladant les arbres, rieurs, enfants noirs et blancs mêlés.

Il y avait aussi Elizabeth, sa merveilleuse, douce et tendre Lizzie. Il construirait pour elle une grande maison au bord de la falaise. Tous les matins, ils contempleraient ensemble l’horizon sans limites, ce ciel azuré où les nuages s’étirent voluptueusement dans des brumes légères, allant du rose au blanc et si vite effacées.

Ce site était si beau qu’il séduirait bientôt bien des amateurs. Ils construiraient près de la mer des villages identiques à ceux de ces régions, le dépaysement serait total pour tous les adeptes d’aventures et de découvertes qu’il connaissait ; il leur offrirait les plages magnifiques et les richesses de la mer. Il inventerait des bains odorants comme celui dans lequel il se prélassait en ce moment. Les femmes avaient dispersé dans l’eau tant de feuilles et de pétales multicolores que les vapeurs en étaient presque entêtantes. Il faudra qu’il leur demande quelles étaient ces espèces qui donnaient à sa peau une odeur si suave et une texture si douce.

Il bougea dans le bain pour trouver une position plus confortable, la chaleur en était encore douce. Il adressa un petit signe de tête et un sourire à la jeune femme qui rajoutait une poudre jaune à l’eau. Elle éclata d’un rire cristallin et partit rejoindre le groupe de femmes assises en cercle un peu plus loin. Toutes s’affairaient et pilaient dans de grandes jattes en bois des sortes de navets bruns qui, une fois cuits, seraient le repas de ce soir.

Un repas sur la plage, quel romantisme ! Cela lui était arrivé une fois avec Lizzie, avant la naissance des enfants. Ils trouvaient qu’il faisait si doux ce soir de mai qu’ils ne voulaient pas retrouver la froideur des hautes salles du château. Tels des paysans à la fête des moissons, ils avaient partagé au bord de l’eau le pain et le fromage qu’Elizabeth portait dans un panier. Il se souvenait parfaitement de la nuit qui les avait surpris et de ce qui s’était passé ensuite. Il sentait encore sous ses doigts le velours de la peau de sa femme et la chaleur de son souffle dans son cou.

Il devait reconnaître que la vie fruste et naturelle, proche de la nature, des habitants de l’île avait des avantages que la douce Lizzie apprécierait.
Son regard se porta un peu plus loin sur la plage, au-delà du cercle caquetant des femmes, ses compagnons endormis reposaient abandonnés, paisibles. Le vent parfois soulevait une mèche de cheveux, faisait battre sur un torse un gilet ouvert. Il trouva à cette scène une grande douceur, regrettant simplement que son titre de commandant n’ait valu qu’à lui seul le privilège de ce bain agréable.
Il s’abandonna à la quiétude de ce moment, s’endormant presque.

Il fut sorti de sa léthargie par la chaleur de l’eau qui commençait à le faire transpirer. Les femmes avaient ravivé le feu. Les flammes montaient autour de lui. Les hommes arrivèrent précédés du son des tambours et du frottement de morceaux de bois qui agaçait son oreille.
Ces peuples avaient de la musique et de sa pratique une idée qui le mettait presque en colère. Il repensa à la musique qu’il avait eu l’occasion d’entendre à Londres. Ce jeune garçon qui emportait son auditoire avec son clavecin ; ses notes pures, virevoltantes lui avaient donné une émotion qu’il n’avait jamais ressentie auparavant.
Et la danse ! Ces menuets si légers, si gracieux, auxquels Elizabeth, lui et leurs amis s’adonnaient. Le bonheur de ces soirées l’emplit d’une poignante nostalgie. Il faudrait qu’il pense à apprendre aux habitants de cette île les danses et les musiques de la vieille Europe. Ça les changerait de leur musique de sauvages.
Le groupe se rapprochait, les hommes dansaient, criaient, riaient. Il les trouva soudain menaçants dans la nuit qui tombait. Les lueurs du feu qui dansaient sur leur visage augmentaient la sauvagerie de leurs regards. Leur chef, en tête, brandit au-dessus de lui un énorme gourdin qu’il abattit d’un geste brusque et rapide. Pendant que sa conscience s’éteignait, une pensée l’effleura :
— Non James Cook, ça n’était pas comme ça que ça devait se passer ! —

 

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Commentaires

pifouone
Z'auraient pu le vider avant

Z'auraient pu le vider avant quand même ! Bravo Poussière. J'aime bien et presque beaucoup.

Manuella
Portrait de Manuella
Comique !   Plouf !   Un

Comique !

 

Plouf !

 

Un Paradis où l'on vous plonge en Enfer !

 

Cuisson à petits bouillons trés bien menée !devil

enlightened

plume bernache
    Je trouve que le lyrisme

 

 
 Je trouve que le lyrisme de la première partie est judicieusement forcé. Il renforce le contraste avec la chute que certes on pressent un peu. Mais ce n'est pas grave,  on voit bien que tout ça n'est pas sérieux !8)
Cela donne un côté "second degré" que me semble induire l'intitulé du concours.
J'ai bien aimé ce texte. Au fait, Cook était un nom prédestiné pour quelqu'un qui finit à la casserole !lolangel

luluberlu
Portrait de luluberlu
Un bon texte malgré quelques

Un bon texte malgré quelques pbs de ponctuation comme ici : « Son regard se porta un peu plus loin sur la plage, au-delà du cercle caquetant des femmes, ses compagnons endormis reposaient abandonnés, paisibles. »

Il aurait fallu écrire : « Son regard se porta un peu plus loin sur la plage ; au-delà du cercle caquetant des femmes (,) ses compagnons endormis reposaient abandonnés, paisibles. »

Le dénouement est bien amené, quoiqu’il soit un peu « téléphoné ». J’avoue ne pas avoir été surpris. On peut simplement regretter que ça ne se soit pas passé comme cela pour tous les colonisateursdiablo. Il faudra que tu me donnes la recette.

Escampette
Bonjour, La nouvelle traîne

Bonjour,

 

La nouvelle traîne un peu du fait de l'abondance des descriptions. Je ne suis pas très emballée. Je trouve ces descriptions un peu trop convenues, lisses sans pep's. Ça en devient même un peu gnan-gnan, un peu lourd jusqu'à ce que la chute nous réveille alors je peux dire que ça vaut le coup d'aller jusqu'au bout. J'aime même beaucoup l'idée. On sent le truc arriver, la musique de sauvages, le léger agacement jusqu'au coup final, la progression est sympa, peut-être un peu trop rapide, j'aurais aimé savourer davantage. Il faut créer un contraste pour produire l'effet de surprise mais les proportions sont peut-être mal dosées pour moi : 3/4 du texte sur la beauté du paysage, 1/4 sur l'évènement en lui-même. Je ne sais pas en réalité si ce sont les proportions qui me gênent ou la manière dont a été traitée la première partie, trop lyrique, trop excessive, pas assez dynamique.

 

Merci pour cette sympathique lecture et pour l'idée originale ! J'ai bien aimé.

brume
Portrait de brume
Bonjour,

Forme:

Une nouvelle essentiellement descriptive, ce qui pour moi est plutôt limite. Le point positif c'est qu'elle stimule ma sensation visuelle, c'est comme si j'y étais. Belle écriture, formulations simples et ponctuation bien placée.

Fond:

"Il" n'a pas de nom durant tout le long de l'histoire- sauf à la fin- "Il" n'a pas d'épaisseur. Les habitants de l'île ne sont que des ombres, nous ne savons rien d'eux, le narrateur ne s'intéresse qu'au paysage. On retrouve "Il" tout d'un coup dans un bain de fleurs au 5ème paragraphe sans que la relation entre l'étranger, ses compagnons et les habitants de l'île ne soit évoquée. 

Justement James Cook commence à prendre corps à partir du dernier paragraphe, il porte un regard très méprisant sur la culture musicale des habitants de l'île.

Je n'aime pas cette fin qui n'est qu'un cliché néo-colonial. Si je comprends bien ces sauvages sont de vulgaires cannibals assoiffés de sang qui tuent l'étranger blanc à coup de gourdin.

Je n'aime pas le fond, mais sur la forme j'apprécie les belles descriptions de l'île.

barzoi (manquant)
Paradis lointains

J'adore, tout, l'écriture, l'histoire, tout !

Bravo, Bravo, Bravo.

 

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