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La joie décroche.

 

Approche le vide. Sans minute.

 

La frange des mots s’échappe.

Une robe glisse d’un cintre.

 

Sans lourdeur.

Une soie sur le sol.

 

Souvenirs.

Il ne sert à rien de les agonir.

 

Cette absence.

Méticuleuse.

Tout le temps.

 

L’inerte.

Dans les marges comme aux lointains.

 

Pourtant,

proies défroissées,

ma page déroule ces mots de levain :

 

« Ma petite sœur, tu me noues.

Comme si de ce chagrin seul

pouvait infiniment se régénérer ce qui nous lie ».

 

 

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Commentaires

jfmoods
Portrait de jfmoods
Neuf phrases nominales posent

Neuf phrases nominales posent l'aridité progressive d'un constat sans appel. Sept phrases verbales s'efforcent de rendre compte d'un cheminement intime douloureux dont le langage figure la pierre angulaire du relèvement (champ lexical : «  Levain » du titre, « frange des mots », « page », métaphore désignant les textes : « proies défroissées », autre métaphore : « mots de levain », marqueur d'opposition : « pourtant »). Doublement métonymique (« robe », « soie »), la femme absente s'impose avec force. Le présent de vérité générale (« Il ne sert à rien de les agonir. ») invite à surmonter les strates d'une souffrance. Le recours au discours direct ménage un espace d'intimité avec l'aimée, considérée par le prisme du rapport fraternel (« Ma petite soeur »). La double lecture (« Tu me noues » / « Tu me nous ») marque la densité du rapport à l'autre. Le locuteur n'apparaît pas sous sa forme sujet et, visuellement, sa présence se trouve cloisonnée. La dernière phrase du poème, remarquable par sa formation complexe, sollicite une attention particulière de la part du lecteur. La construction, qui s'apparente à un chiasme (« de ce chagrin seul... infiniment se régénérer ce qui nous lie »), la modalisation (« pouvait »), et la circonstancielle mixte (comparaison et hypothèse : « Comme si »), entérinent l'ambition prodigieuse, peut-être utopique, de l'entreprise.

Merci pour ce partage !

RB
Portrait de RB
Version initiale

Bonjour, bonsoir.

D'abord un immense remerciement pour l'intérêt que vous portez à ce que j'écris.

Je crois que Louis est dans le "juste".

Je me permets de vous livrer ci-après le texte initial, retravaillé jusqu'à ne plus lui ressembler.

 

Il peut sans doute éclairer Lulu sur le sujet.

Il ne faut en aucun cas le considérer comme un "texte" puisqu'il a été remanié, retranscrit, élagué.

Certains passages ont d'ailleurs été "déménagés sans ménagement" dans d'autres...

Même si ce site est public, je vous remercie de bien vouloir considérer ce texte comme non abouti - vous le constaterez aiséément- et donc d'accepter ses nombreuses dispersions.

 

 

J’avançais encore, paré d’un châle d’ombre.

J’avais un idéal

Traversé d’épines et de venin

Je balançais mes bras pour les soulager de ces éraflures avec un peu de fraîcheur.

Mon sang ne se vidait qu’à coups de gouttelettes

Je ne pourrai en mourir qu'au bout de longues années, mais au prix d’abstinences.

Ceux qui ne se blessent jamais, ne savent pas, ne sauront jamais.

Une simple griffure  peut saigner une âme

Pourquoi s’exposer aux morsures?

Pourtant

Pourtant

Désincarné de mon rêve, j'ai su qu'on ne peut en faire qu'un seul par vie.

L’esprit avait décidé, lentement, d’émietter l’espoir.

Je devais me vider d’une entaille  jusqu’aux entrailles.

Cette route  je l’ai parcourue, maculée de gouttes, imposée par des anges d’un autre ciel.

Elle n’avait été tracée que par ta rencontre, ma sœur d’âme.

Tu avais dessiné ma voie.

Celle où je m’étais résolu à demeurer.

Il me fallait vivre pourtant.

J’ai fait ce qu’il fallait faire dans ce monde qui désigne et tétanise le coupable d'être seul.

Je suis devenu étranger à tout ce qu’il croise et ce qu’il sent.

Nomade à force de vouloir  éviter le commun dénominateur.

Mais anonyme à tout. En mon nom.

 

Ce monde gomme le sacré…

J’exprime exactement ce que j’en pense : il donne un nom à celui qui s’y soumet… mais il le prive de son âme.

Dans ce monde-là ; si étrange…les cercles rouges  aux pieds des piliers de mon cœur ont été barrés d’une ligne immaculée : taisez-vous, monsieur, qui aviez trouvé une sœur.

Mutisme dans ce chemin que je me suis interdit alors que je l'empruntais.

Infraction punie de fracture.

Pas d’avocat de défense, sinon, de temps à autre, les cris d'un acrobate qui se débat sur le sol sans même imaginer  qu’il mime des éclats d’océan, de houle et d’ouragan.

Ce que j’avais, que j’ai, de plus ultime en mon plus intime.

Il m’a dit : « je vous prépare une série de gesticulations qu’il ne sert à rien d’exécuter mais que je vous ferai voir  et qu'il faut exécuter».

Chacun pour soi face au plus fort sur le calvaire,  chacun tout en soi, écroué.

 Mais les âmes ont des envergures que les vents jalousent.

J’avais une conviction,  que je croyais fragile à l’emploi répété de mots mal tus,  jusqu’à ce que ce chemin s’inverse et me fasse renaître.

C’était sans quitter ma croix.

La vie ne connaît qu'une loi : les craquelures  laissent passer les coups et les battements de cœur, ce n’est pas pour cela qu’on les écoute.

Intransigeant ego , constitution qui transcende toutes les lois.

Il faut que j’écourte le spectacle de mon au revoir.

D’un coup de lance écourter,  d’un coup, crever cette immobile errance.

Ne pas laisser échapper de râles.

La résurrection n’est pas entre les mains d’un  fils

Ma main reste tendue vers ce ciel.

Loin, trop loin. Pour cette vie-ci.

Pourtant

Les éraflures…

Oui, ma sœur, elles font souffrir."

 

 

Écrire, c'est se tenir à côté de ce qui se tait
Jean-Louis Giovannoni - extraits de Pas japonais

Louis P.
Luluberlu, il me semble en

Luluberlu, il me semble en effet pertinent d’entendre « soie » à la fois au féminin et au masculin. La soie (elle, métonymiquement) s’est éloignée, et cet éloignement est vécu comme une chute, elle est au sol, mais lui, le locuteur, l’est aussi, il en est effondré.

Par contre, l’interprétation qui consiste à voir dans le texte la perte d’une sœur ne me semble pas convenir. Bien sûr, la première phrase en italique déclare : « Ma petite sœur, tu me noues », mais s’il s’agissait effectivement d’une sœur, on ne comprendrait pas la suite, l’impression que du chagrin de cette perte pourrait se régénérer ce qui lie le frère et la sœur. Le lien de parenté entre frère et sœur ne peut se briser (on est frère et sœur pour toujours, de même que dans le rapport entre parents et enfants, le lien de parenté ne peut être brisé, contrairement à ce qui lie un mari et une femme, qui peuvent divorcer, ou encore ce qui lie deux amants), or il y a une espérance exprimée dans la dernière phrase d’une régénération d’un lien qui a été brisé à partir du chagrin éprouvé.

Elle, la femme aimée, est désignée comme une « petite sœur » pour dire, justement, que ce lien avec elle ne peut être totalement brisé, comme le lien fraternel durable pour toujours. L’éloignement, la séparation n’ont pas entièrement défait ce qui noue elle et lui, il y a attente d’une reconstitution du lien, d’une régénénation. Ce dernier terme laisse même penser à un lien toujours présent, en germe, toujours en mesure de renaître, de lever, d’éclore à nouveau.  

 

 

luluberlu
Portrait de luluberlu
Après avoir lu les

Après avoir lu les explications/interprétations des herméneutes (smiley) Louis et Jfmoods, je me suis posé une question à propos de cette « Une soie sur le sol ».

Mon interprétation diffère : il ne s’agirait pas ici d’une histoire de couple (mari et femme), mais de la perte d’une sœur (frère et sœur). Ma lecture du « soie sur le sol » est double : masculine et féminine. Une "soie" (elle) et un "soi" (lui) sur le sol. La  robe en tant que métaphore.

Quoi qu'il en soit : un très très beau poème.

Louis P.
Le contraste est frappant

Le contraste est frappant entre un ensemble d’images et d’expressions qui évoquent toutes un mouvement de chute, une tombée, et les dernières phrases du poème qui, à l’inverse, évoquent une remontée, un relèvement, un « levain ».

 

Le poème commence par un décrochage, celle de la joie, « la joie décroche ».

La joie se détache de soi, elle ne tient plus ; plus rien en soi à quoi elle pourrait se raccrocher, ainsi elle chute, elle tombe, retombe.

Puis « Une robe glisse d’un cintre », la robe aussi va tomber. Par analogie, la robe est au cintre ce que la joie est à soi.

Puis encore : « Une soie sur le sol ». La soie a déjà connu le mouvement de chute.

Ce mouvement se produit suite à une séparation : la joie se détache de soi, la robe « glisse » en se séparant du cintre, la soie au sol déjà s’est séparée de son support.

 

D’autres mouvements se mêlent à celui de la chute, un décentrement, un échappement, qui est aussi un éloignement. « La frange des mots s’échappe » ; « Dans les marges comme aux lointains ».

Les bords eux-mêmes ne sont plus des limites, des contours d’une union, le détachement s’avère un écartèlement, l’éclatement d’une unité, sa dislocation.

 

Chute, rupture, éloignement : trois mouvements douloureux. Un couple s’est brisé. Une femme est absente, que désignent métonymiquement la robe et la soie.

 

Dans l’espace entre ce qui est séparé pénètrent « le vide » et « l’absence ». Quand la joie « décroche », le vide « approche », et il s’accroche. Le vide de l’absence n’occupe pas seulement tout l’espace de la séparation, mais aussi tout le temps, « Cette absence. / Méticuleuse. / Tout le temps. » Pas de temps d’attente, « Sans minute », pas de temps vide, mais un vide dans le temps tout au long de son écoulement.

 

La partie du poème qui dit ces mouvements est faite de phrases courtes et brèves. Sans mots qui font lien entre elles. Le mouvement de séparation et de dislocation affecte aussi le langage qui le dit. Les mots sont ici des images et du mouvement, ils ne font pas texte. Le mot « texte » est de même famille que « textile », un texte tisse des liens entre les mots, il les entrelace, il tisse une étoffe de sens. La première partie du poème est une dé-textualisation.

L’être absent est désigné par du tissu, « robe » et « soie » ; le poème dans sa forme dit cette absence par la perte de ce tissu, de cette robe. La première partie du poème est une étoffe défaite, dénouée, effilée, et « la frange des mots s’échappe », et le langage se détisse, pour ne plus tenir qu’à un fil.

 

Le texte renaît sur la « page », dans l’écriture. Les phrases retrouvent le lien qui les constitue, et disent le lien : « tu me noues » ; « ce qui nous lie ». L’écriture retisse la robe, retisse la soie ; elle redonne une présence à celle qui manque par son absence. Les phrases finales en italique font texte.

Elles lient les mots et disent le lien du couple, dans la syntaxe comme dans la sémantique. Si « tu me noues » doit s’entendre comme « tu me nous », comme le fait remarquer jfmoods, « ce qui nous lie » doit aussi s’entendre comme « ce qui nous lit ». Liens des mots, liens du couple.

Ce qui noue « je » et « elle », pour constituer un « nous », est une étoffe, un tissu, une trame ; le langage écrit comme « texte » est aussi un tissu, ainsi ces deux sortes de tissu se substituent l’un à l’autre.

 

Si le mouvement du début du poème, le textuel détissé, était associé au mouvement de chute, l’écriture de la fin du poème est, elle, associée au levain, « mots de levain », c’est-à-dire à une levée, une remontée. Le texte se remonte, et l’écriture élève, redresse.

Le « je » du couple se relève dans l’écriture. L’écrit tente de retisser l’étoffe au sol, et de la relever sur son cintre, dans le même temps qu’elle relève le « je » et lui donne consistance, lui redonne de l’étoffe.       

 

Le texte final évoque le chagrin. Au mouvement de chute, de séparation et d’éloignement étaient associés le malheur, la douleur, le chagrin. Or tout se passe « comme si », comme si le passage par la conscience malheureuse était un passage nécessaire, comme si de lui seul pouvait renaître le lien qui unit le couple, « comme si de ce chagrin seul / pouvait infiniment se régénérer ce qui nous lie ».

La positivité du lien, son renforcement, semblent passer par le négatif douloureux de sa rupture. La chute semble le passage inévitable pour une « régénération » qui est une élévation, une remontée, une reconstruction, plus grande, plus forte. Il faut déconstruire le langage du texte pour le reconstruire, détisser pour mieux retisser. Le chagrin s’avère un « levain », un ferment pour le mouvement de la vie qui est élévation, reconstruction ; un remous affectif pour que tout se renoue, pour un re-nous.  

« Comme si », mais qu’en est-il vraiment ? Le texte finalement ne le dit pas, le texte ne veut pas de fin, il ne veut pas de dénouement.

 

 

jfmoods
Portrait de jfmoods
Neuf phrases nominales posent

Neuf phrases nominales posent l'aridité progressive d'un constat sans appel. Sept phrases verbales s'efforcent de rendre compte d'un cheminement intime douloureux dont le langage figure la pierre angulaire du relèvement (champ lexical : «  Levain » du titre, « frange des mots », « page », métaphore désignant les textes : « proies défroissées », autre métaphore : « mots de levain », marqueur d'opposition : « pourtant »). Doublement métonymique (« robe », « soie »), la femme absente s'impose avec force. Le présent de vérité générale (« Il ne sert à rien de les agonir. ») invite à surmonter les strates d'une souffrance. Le recours au discours direct ménage un espace d'intimité avec l'aimée, considérée par le prisme du rapport fraternel (« Ma petite soeur »). La double lecture (« Tu me noues » / « Tu me nous ») marque la densité du rapport à l'autre. Le locuteur n'apparaît pas sous sa forme sujet et, visuellement, sa présence se trouve cloisonnée. La dernière phrase du poème, remarquable par sa formation complexe, sollicite une attention particulière de la part du lecteur. La construction, qui s'apparente à un chiasme (« de ce chagrin seul... infiniment se régénérer ce qui nous lie »), la modalisation (« pouvait »), et la circonstancielle mixte (comparaison et hypothèse : « Comme si »), entérinent l'ambition prodigieuse, peut-être utopique, de l'entreprise.

Merci pour ce partage !

brume
Portrait de brume
Silence

L'atmosphère est plombante, déchirante.

les mots me fendent le coeur.

Je reçois ce chagrin intensément.

Des vers qui s'expriment sans crie, ni plainte.

"La joie décroche"

...et tout le reste...c'est fort et fragile.

plume bernache
levain

 

   Tout en douceur et délicatesse,

  tel "une soie sur le sol",

  ce poème dit la douleur de l'absence "méticuleuse"

  où "pourtant" pousse ce "levain"…

 

 C'est magnifique ! Merci.

Tinuviel
Portrait de Tinuviel
  Tout doucement... un

 

Tout doucement... un commentaire, juste un témoin de mon passage.

 

Cette absence.

Méticuleuse.

Tout le temps.

 

et

 

"comme si de ce chagrin seul

pouvait infiniment se régénérer ce qui nous lie"

 

Merci pour cette façon intime, légère et lourde à la fois, de poser les mots là-dessus.

C'est magnifiquement murmuré.

 

Oui, la joie décroche, parfois.

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